INTRODUCTION :
L'étude du pronom personnel en
français classique et en français moderne nécessite
le rappel des évènements qui, dans les siècles
précédents, ont participé à sa
régularisation dans l'usage, tel que nous avons trouvé ce
pronom dans la langue du dix septième siècle.
Si la période du moyen français,
s'étendant du début du quatorzième à la fin
du quinzième siècle, est décrite comme une
période d'instabilité de la langue française,
période où la langue reste incertaine, sans règles
fondamentales, où tous les traits de l'ancien français qui
étaient pour la plupart hérités du latin, tendent
à disparaître, le seizième siècle, par contre
arrive avec un souci d'équilibre de la langue. Les grammairiens
de cette époque ont commencé à donner à la
langue plus d'autonomie .
Tout au début, Du Bellay, dans sa
célèbre Défense et Illustration de la langue
française en 1549, préconise
l'enrichissement de la langue élevée au rang de langue
administrative et littéraire telle que l'a voulu
l'Ordonnance de Villers Cotterets en
1539. Ainsi les grammairiens du seizième
siècle vont s' appliquer dans ce domaine pour donner à la
langue
française la pureté des langues
anciennes,comme le confirme Henri Estienne
(1531-1598) dans son ouvrage intitulé
traité de la conformité de la langue
français avec le grec où il
préconise une précellence du français par rapport
aux autres langues.
Dans cette lancée, les grammairiens et
théoriciens de la langue française vont se charger
d'instaurer les règles d'usage, en fixant les traits
morphologiques, sémantiques et syntaxiques. C'est pourquoi, pour les
exigences de cette étude que nous entamons sur les pronoms
personnels, plus précisément sur ceux de la
troisième personne, nous aurons besoin de l'appui de ces
théoriciens de la langue. Ce qui nous permettra d'apporter une
plus large explication sur l'historique des pronoms qui nous occupent
mais aussi sur tous les changements qui se sont opérés
dans l'emploi de ces derniers à travers les grandes
périodes de l'histoire du français : surtout entre la
langue du dix septième siècle et celle de nos jours.
D'après une définition étymologique
le pronom est le mot qui tient la place d' un nom . Ce nom
étant souvent une personne (surtout avec les pronoms de la
première et de la deuxième personne), les morphèmes
qui tiennent la place d'un substantif (être, objet ou un fait )
et qui caractérisent les personnes du verbe sont appelés
les pronoms personnels. En effet, Ferdinand Brunot et
Charles Bruneau 1 , parlant du pronom personnel
de la troisième personne qu'ils désignent sous le terme
de lui, disent qu' il
« tient la place d' une personne ou d' une
chose absente, déjà connue ou désignée
antérieurement : c'est véritablement un
« pronom » un mot qui
tient place d'un nom. » En français,
les pronoms personnels
(1) Brunot (Ferdinand) et Bruneau (Charles), Précis
de grammaire historique de la langue française, 4e ed.
.Paris, Masson et Cie .1956. Page 267.
participent à la clarté et à la
cohérence d'un énoncé. Ils sont présents dans
la phrase pour indiquer l'être qui fait ou subit l action
exprimée par le verbe, ou qui est dans l' état
exprimée par celui-ci .Ils peuvent avoir une fonction de sujet
ou de complément .
Il n'en était pas ainsi en latin, langue
mère du français, où les désinences verbales
étaient assez distinctes pour marquer la personne .Le pronom
personnel existait déjà, mais il n' était
présent au nominatif (c'est à dire en fonction sujet) que
dans les cas où il servait :
a) à faire une opposition
de personne, lorsqu'il est utilisé dans une phrase avec deux
sujets différents .
b) à mettre en relief le
sujet du verbe, dans une phrase à la forme emphatique.
En ce sens Gilbert Etienne 2
soutient qu'« en latin, la personne du verbe est
clairement indiqué par la terminaison . Le pronom personnel
sujet n'est exprimé que si l'auteur veut insister sur la
personne du sujet : cette insistance doit apparaître en
français, par l'emploi de la forme emphatique
».
Il pouvait aussi être employé pour
débuter une phrase où le verbe est à la voix
pronominale, pour éviter que le pronom réfléchi soit
à la tête.
C'est ainsi que Nyrop
3 explique que le pronom sujet manque
ordinairement dans les plus vieux textes et donne l'exemple
suivant :
« Blanc ai le chief e la barbe ai
chenude »
St. Alexis, v.406,
(2) Etienne (Gilbert), Grammaire Latine _ De la grammaire
à la version-, éditions H. Dessain 1987- P.63
(3) Nyrop (Kr.), Grammaire historique de la langue
française, Tome V, Paris Alphonse Picard et fils, 1925. Page 206
Le système des pronoms était en ancien
français fondé sur l'opposition entre emploi de
pronom et absence de pronom .La présence de celui-ci
était comme une formule d'insistance.
Tout au cours de l' ancien français, leur usage
restait toujours peu fréquent dans les textes : le pronom
sujet pouvait ne pas être exprimé car le verbe portait en
lui même, au niveau de sa désinence, la marque de
personne.
« Et orent ce premier jour et le second
assés bon vent et... »
(Froissart, Chroniques. p.72)
En plus, à cette période, avec les
bouleversements phonétiques subis par les pronoms, s'est
développée une série de formes avec les pronoms
compléments , suivant qu'ils se trouvaient en position
accentuée ou non .Ferdinand Brunot et Charles Bruneau
4 expliquent alors que les deux formes
pouvaient être utilisées « selon des
lois phonétiques : avant le verbe, c'est toujours la forme
non accentuée que l'on trouve ; après le verbe et
après une préposition, c'est toujours la forme
accentuée. »
Dés lors le système latin sera
concurrencé par celui qui met en concurrence des pronoms atones
et des pronoms toniques.
« Et depuis li fu ramenteu, quand li
mariage fu tretiés de de lui et... »
(Froissart, Chroniques p.70)
En moyen français avec l'aplanissement des
désinences verbales dû au développement
phonétique et analogique, l'addition du pronom personnel sujet
est devenue peu à peu nécessaire voire obligatoire. En
effet, Wagner et Pinchon expliquent que les
pronoms personnels « ont
(4) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de
grammaire historique de la langue française, 4e ed.
.Paris, Masson et Cie 1956. Page 270
pour rôle de marquer la personne du verbe. Lorsque
les personnes du verbe ne sont pas phonétiquement
différenciées, ces pronoms permettent seuls de distinguer les
trois personnes du singulier et la troisième du
pluriel. »5 Mais aussi, en ce moment,
le pronom sujet a perdu toute sa force et est devenu atone.
Les pronoms personnels apparaissent alors sous
une forme atone au cas sujet et sous une forme atone ou tonique,
suivant qu'ils se trouvent avant ou après le verbe, au cas
régime.
Les formes du pronom personnel de la
troisième personne proviennent essentiellement du démonstratif
d'éloignement ille qui s'est
décliné suivant les cas du latin. En effet, selon le
latiniste Gilbert Etienne 6 , le latin ne
dispose que de se issu de
sese, pronom réfléchi, comme
forme propre du pronom personnel de la troisième personne. Ce
dernier, tout comme le démonstratif fonctionne comme un indicateur
ou comme un représentant dans l'énoncé, c'est
à dire qu'ils sont dans une phrase pour désigner un
objet, une personne ou pour renommer un nom présent dans le
texte. Ses formes se partagent en deux séries suivant leur
fonction, en français classique comme en français
moderne :
* Les formes atones
il(s) et
elle(s) se
spécialisent dans la fonction sujet.
* Les formes toniques lui,
leur, soi et
eux ainsi que les atones
le, la,
les, se sont particularisées
dans la fonction objet.
Dans ces deux dernières séries se
dégage une autre série de formes suivant leur nature
réfléchie : lui,
eux,
elle(s), se,
soi .
Dans cette dernière série
se est toujours atone alors que,
elle(s),
eux
(5) Wagner (R.L) et Pinchon (J.), Grammaire du
français classique et moderne, éd. revue et corrigée,
Paris, Hachette, 1962, p. 168
(6) Etienne (Gilbert), Grammaire Latine _ De la
grammaire à la version-, éditions H. Dessain 1987 P. 65
et soi sont toniques. Cependant
lui peut avoir une valeur atone ou
tonique, selon qu'il se trouve respectivement avant ou après le
verbe.
En dehors de ces formes, il existe des pronoms qui
sont considérés par les grammairiens comme faisant partie
des pronoms personnels de la troisième personne. Il s'agit des
pronoms adverbiaux en et y
qui sont à l'origine deux adverbes de lieu
signifiant successivement de là et
là. Ils sont aussi
parfois appelés adverbes personnels. Ces
pronoms ont, dés l'ancien français, pris la nature de
pronom personnel lorsqu'ils ont la fonction de complément d'objet
direct ou indirect. Ils traduisent ainsi les expressions de
lui,
d'elle(s),
d'eux, de ceci, de
cela pour en et les expressions
à lui, à
elle(s), à
eux, à ceci,
à cela pour y .
En plus de ces pronoms adverbiaux il y aura aussi le
pronom indéfini on dont l'emploi est
souvent entré en concurrence avec le pronom personnel
ils, depuis le latin
jusqu'à la période classique .
Ces pronoms ont aussi, d'après
Ferdinand Brunot et Charles Bruneau
7 « pris la valeur de
représentant. »Ils feront alors partie
intégrante de cette étude que nous entamons sur la place et
la référence du pronom de la troisième personne.
Notre travail consistera à faire une
étude de tous les emplois de ce pronom, d'abord en
français classique en nous servant des écrits des auteurs
de cette époque et ensuite en français moderne en
utilisant des oeuvres du français moderne . Ces emplois du
pronom personnel sont régis par des règles, que ce soit
en français classique ou en français moderne.
(7) Brunot (F) et Bruneau (Ch.), Précis de
grammaire historique de la langue française, 4e ed.
.Paris, Masson et Cie .1956. P.286
Il sera alors question d'étudier les
emplois du pronom personnel en français classique par rapport
aux règles d'usage qui ont été fixées par
les grammairiens et théoriciens de langue et de la même
manière, les emplois du pronom personnel en français
moderne. Il s'agira d'une comparaison de deux états de langue
différents.
Dans la présente étude, trois oeuvres ont
été choisies - les deux, en français classique :
Les femmes savantes de
Molière et La Princesse de
Clèves de Madame de La fayette, la
troisième en français moderne :
L'éducation sentimentale de Gustave
Flaubert - pour servir de support à l' étude
que nous ferons sur la place et la référence du pronom
personnel de la troisième personne.
S'agissant de la place du pronom, il sera question de
situer celui-ci qu'il soit en fonction de sujet ou de
complément, par rapport au verbe qu'il accompagne dans la
phrase. Et concernant la référence du pronom, il s'agira
d'étudier les règles de reférenciation d'un pronom
qui a généralement une valeur anaphorique, c'est à
dire qui a les propriétés de référer
à un mot, une proposition ou une idée déjà
présente dans l'énoncé. Cette reférenciation a
posé des problèmes dans les oeuvres littéraires, de
telle sorte qu'il y eut quelques difficultés dans le choix du
référent. Notre travail consistera aussi à trouver le
bon référent et à étudier tous les modes et
les capacités référentielles du pronom de la
troisième personne en français classique et en
français moderne.
|