I.
II. Les publics des bibliothèques musicales à Paris
A. Quelle offre pour quels publics ? 21(*)
1. De la question des usagers des discothèques.
Force est de constater qu'à la question «qui sont
les publics des discothèques ?» la réponse est on ne
peut plus vague. De fait, il y a très peu de données sur les
publics des bibliothèques musicales, leurs attentes, leurs modes de
fréquentation etc. Des études au titre pourtant alléchant
comme celle de Jeanette Casey et Kathryn Taylor : Music library
users : Who are these people and what do they want from us ?22(*) se bornent à des
enquêtes historiques, fournissant quelques esquisses du
développement des bibliothèques musicales publiques et
universitaires aux Etats-Unis. Dans son article dans le BBF de 2001, Susanne
Peters déplore l'absence d'enquêtes dignes de ce nom et avance
à cela une explication inspirée par une collègue
bibliothécaire américaine :
« les enquêtes auprès des usagers sont
habituellement menées par des stagiaires bibliothécaires au cours
de leur travail pratique, ou par des bibliothécaires débutants.
Comme les étudiants manquent souvent d'une connaissance des publics
concernés et des outils de recherche à utiliser, les
études qu'ils engagent sont rarement exploitables et, par
conséquent, restent non publiées. »23(*)
La malédiction qui semble ainsi planer sur les
enquêtes de publics des discothèques frappe hélas
également celle de Suzanne Peters, elle aussi au titre évocateur
(cf. note de bas de page) mais dont les conclusions ne contribuent guère
plus à la réflexion en la matière. Dans ce contexte,
définir une typologie des usagers des discothèques à Paris
n'est pas chose facile. On peut néanmoins dans un premier temps cerner
des grandes catégories d'utilisateurs en fonction de leur rapport direct
à la musique.
On trouve d'abord les spécialistes de la
musique : des chercheurs, historiens de la musique, musicologues,
spécialistes de la facture instrumentale, des enseignants et
élèves de conservatoires qui ont à leur disposition nombre
de bibliothèques leur étant réservées :
Départements de la Musique et de l'Audiovisuel à la BNF,
Bibliothèque de l'Opéra, Médiathèque Hector
Berlioz, Cité de la Musique, Bibliothèque Gustav Malher,
CDMC24(*) sans oublier
les bibliothèques d'UFR de musicologie. On pourrait dès lors
penser que ce public de spécialistes, pour peu qu'il soit parisien,
dispose de ressources considérables dans des établissements
offrant une grande qualité et variété de services, tant et
si bien qu'il n'a pas besoin de fréquenter les discothèques
publiques. Or il n'en est rien et l'on observe nombre d'étudiants en
musicologie ou du conservatoire dans les discothèques publiques.
Plusieurs raisons à cela, premièrement la
complémentarité des fonds, les bibliothèques de
conservatoires ne possèdent pas tout et des départements hyper
spécialisés comme celui de l'Audiovisuel à la BNF ont,
malgré un fonds immense, des carences dans leurs collections, notamment
dans les microsillons comme il l'a récemment été
constaté lors d'un inventaire test sur 1000 disques 33 tours entre la
BNF et la MMP. Dominique Hausfater parle de la `pression du public
étudiant dans les discothèques publiques' et élucide ce
phénomène par « la pauvreté des fonds en BU (qui
explique) pourquoi les étudiants en musicologie se trouvent dans
l'obligation de faire appel à des structures de substitution dont ils
tentent d'infléchir la politique documentaire. »25(*) Ce dernier point
soulève un problème majeur en matière de politique
documentaire : Faut il -face à la demande et dans une politique de
satisfaction de tous les publics- orienter les collections vers l'étude
et la recherche ou bien coller à tout prix à la mission
première de la bibliothèque à savoir la lecture
publique? Question délicate qui semble trouver dans certain cas une
solution dans l'alternance, stratégie qui a ses
défenseurs :
« Une bibliothèque musicale fait un effort
de démocratisation non seulement quand elle cherche à drainer par
la variété des supports des publics de plus en plus
diversifiés, mais aussi quand elle met à disposition de ceux qui
en ont besoin des documents parfois
spécialisés. »26(*)
Voilà en tout cas qui met un terme à la
dichotomie très forte qui existait jusqu'alors entre les
bibliothèques de conservatoire et les discothèques, leurs publics
et leurs collections étant de moins en moins spécifiques et
distincts. Les utilisateurs des bibliothèques de conservatoire ne
peuvent faire sans les discothèques publiques, d'une part du fait de la
fragilisation généralisée des bibliothèques de
conservatoire, due à de grandes disparités budgétaires
selon les territoires27(*), d'autre part du fait que les documents sonores et
audio-visuels sont généralement exclus du prêt dans les
conservatoires, laissant les bibliothèques publiques les uniques
pourvoyeurs de ce type de document en prêt. D'un autre coté, la
musique imprimée en bibliothèque publique est quasi inexistante,
tant et si bien que seuls les conservatoires sont dépositaires de tels
documents. Une situation qui paraîtrai presque complémentaire et
équilibrée si ce n'était pour les nouveaux publics de la
musique.
Les enquêtes périodiques du Ministère de
la Culture sur les pratiques culturelles des Français le montrent :
la musique fait partie des loisirs les plus pratiqués par les
Français28(*) ; c'est vrai de l'écoute
d'enregistrements, mais aussi de la fréquentation des festivals, de la
pratique directe d'un instrument ou de la fréquentation des chorales,
phénomène encore accru depuis la sortie cette année du
film Les Choristes de Christophe Barratier.
Ces pratiques amateur par opposition aux
spécialistes que l'on vient de voir, recouvrent des
réalités extrêmement diverses, du mélomane simple
emprunteur au `fan' d'un artiste ou style précis, en passant par
l'instrumentiste amateur de quelque niveau technique qu'il soit (du guitariste
débutant à la recherche d'une méthode au pianiste
confirmé). Une variété nouvelle d'usages qui a fait
exploser les traditionnelles catégories de publics, de fait de plus en
plus difficiles à identifier, comme l'exprime Gilles Pierret :
« le musicien n'était plus seulement issu d'un conservatoire,
mais pouvait être un autodidacte d'un excellent niveau
technique »29(*). Le discothécaire se trouve ainsi face au
double défi de satisfaire non seulement un public croissant mais aussi
de plus en plus diversifié, d'où la mise en place d'une
réflexion aboutissant à un nouveau principe de logique
thématique qui remplace l'ancienne logique des supports.
« La satisfaction de ces pratiques multiformes, qui
s'exprime par l'intermédiaire des médias les plus divers (de
l'imprimé au virtuel), implique en effet la mise en oeuvre d'une
politique documentaire qui s'exerce plus seulement sur les contenus mais doit
intégrer aussi une réflexion sur les
supports. »30(*)
* 21 Titre emprunté
à Gilles Pierret
* 22 In Music Reference
Services Quarterly, vol. 3, n° 3, 1995, p.3-14
* 23 Les publics des
bibliothèques musicales par Susanne Peters, Odile Riondet, Antonina
Gutta, in Bulletin des Bibliothèques de France,
n°2, 2001
* 24 CDMC = Centre de
Documentation de la Musique Contemporaine
* 25 La
médiathèque musicale publique : évolution d'un
concept et perspectives d'avenir. Dominique Hausfater. Paris : AIBM,
1991.
* 26 Les publics des
bibliothèques musicales par Susanne Peters, Odile Riondet, Antonina
Gutta in Bulletin des Bibliothèques de France,
n°2, 2001.
* 27 Voir à ce sujet
l'article de Clément
Riot : Requiem pour la musique dans les bibliothèques in
Ecouter Voir n°60 décembre 1996.
* 28 Olivier Donnat,
Les pratiques culturelles de Français, Paris, La Documentation
française, 1998.
* 29 In Bulletin des
Bibliothèques de France, n°2, 2002
* 30 In Musique en
bibliothèque. Sous la direction de Yves Alix et Gilles Pierret.
Paris, Editions du Cercle de la Librairie, 2002.
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