conflits de compétence judiciaire et arbitrale( Télécharger le fichier original )par Sana Soltani Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis - Mastére en droit privé 2005 |
INTRODUCTIONLa justice qui a d'abord été un adjectif ( ce qui est « juste ») avant de devenir un substantif (le « juste »), puis de s'élever au rang d'un concept organique s'observe aujourd'hui comme un phénomène universel : elle répond à un besoin exprimé de tous temps et en tous lieux par l'Homme dès l'instant où celui-ci a renoncé à obtenir lui-même par la force la satisfaction de ce qu'il estime lui être dû (1(*)). L'État à travers le juge assure sa mission sécuritaire, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. Il assure la sécurité des transactions et la sérénité du monde des affaires. A un moment où la justice étatique est vivement critiquée on assiste à une déliquescence des systèmes judiciaires et où l'on diagnostique « La crise du juge » (2(*)). L'éventuelle relance de l'arbitrage constitue peut être, non une panacée, mais un des aspects d'une reforme et d'un renouveau de l'institution. Cet institution, l'arbitrage, a été présentée comme une notion moniste. Le législateur Tunisien définit l'arbitrage comme étant « un procédé privé de règlement de certaines catégories de contestations par un tribunal arbitral auquel les parties confient la mission de les juger en vertu d'une convention d'arbitrage »(3(*)).Dans une définition très proche, M. Ch. Jarrosson affirme que « l'arbitrage est une institution par laquelle un tiers règle le différend, qui oppose deux ou plusieurs parties, en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles- ci »(4(*)). Rarement une institution a été comme l'arbitrage, objet de controverses aussi accentuées, l'arbitrage bouleversa à lui seul tout l'ordre juridique. Les législateurs et les juges ont souvent vu avec une certaine réticence l'arbitrage, qui leur paraît constituer une menace pour le monopole étatique de l'administration de la justice et pour le droit étatique. La magistrature voyait dans l'arbitrage « une anormale dérogation à la juridiction ordinaire » ; une institution qui était née pour donner aux controverses une solution rapide et économique. Les magistrats et juristes en général, ont modifié leur comportement face à l'arbitrage et ont pris le parti de le favoriser en considération de l'intérêt qu'il présente pour l'activité commerciale. Les juristes ont donc cessé de le combattre et de le considérer comme un danger pour la justice et pour le droit. Pour reprendre une image allégorique, la justice arbitrale et la justice étatique sont comme deux soeurs jumelles qui veulent plaire à leur mère, la justice. Le plus grand service qu'elles veulent rendre n'est pas de s'épier mais de se souder pour combattre un ennemi commun, l'insécurité judiciaire. Face a cet élan de faveur pour l'arbitrage de la part des législations, la naissance du code tunisien de l'arbitrage avait illustré la théorie de l'enfant endormi du droit musulman (5(*)). Deux tentatives avaient échoué : la première lors de la promulgation du code de procédure civile et commerciale(6(*)), atteint de sénilité précoce ; la seconde mort-née dans les années 70. La troisième a été la bonne puisque le code a déjà plusieurs années (7(*)) . De l'ensemble des chapitres que l'on peut distinguer dans le droit de l'arbitrage ; et qui comprennent ainsi la constitution du tribunal arbitral, l'instance arbitrale, la loi applicable au fond par les arbitres, la sentence arbitrale, les voies de recours, la reconnaissance et l'exécution forcée de la sentence , le chapitre de la compétence est le premier dans l'ordre logique et en même temps le plus fondamental. Il détermine la soumission du litige à l'un ou l'autre de deux types de justice: la justice étatique et la justice arbitrale. Et d'abord, l'expression (8(*)) en elle même est - elle appropriée ? S'agissant des arbitres, la notion de compétence, instrument de répartition(9(*)) au sein d'une organisation judiciaire, est hors de propos : La seule question serait de savoir si l'arbitre a ou non la qualité de juge, autrement dit le pouvoir juridictionnel, vis-à-vis du litige qui lui est soumis(10(*)). La vérité paraît, plutôt être que la distinction entre pouvoir de juger et compétence, énoncée à propos des juridictions étatiques ne peut être transposée à l'arbitrage que moyennant certaines adaptations. Tout d'abord, par un glissement sémantique, compétence et pouvoir des arbitres ont été confondus. Dans une acception plus large, la notion de compétence est intimement liée à celle de juridiction. Elle est « l'aptitude d'un tribunal à connaître d'une prétention(11(*)). Aussi la compétence désigne la possibilité qui est reconnue à une juridiction de connaître de telle ou telle catégorie de litiges ou selon une autre expression « la portion de juridictions confiée au tribunal »(12(*)) ou encore « la mesure dans laquelle le juge doit exercer son pouvoir de juridiction » (13(*)). A l'intérieur de cette compétence, la juridiction possède un certain nombre de pouvoirs pour trancher les litiges (14(*)) . A ce stade de présentation, il faut introduire la distinction de la compétence et du pouvoir juridictionnel qui est le pouvoir propre du juge de trancher les litiges(15(*)). Ce pouvoir est indivisible parce qu'il est également accordé à toutes les juridictions. Au contraire, la compétence est le résultat d'une division du travail judiciaire. Distinctes, les deux notions sont aussi indépendantes l'une de l'autre. Cette approche est d'ailleurs approuvée par la cour de cassation le 9 octobre 1990. L'arrêt rapporté illustre de façon remarquable la délicate distinction entre les notions de pouvoir de juridiction et de compétence judiciaire(16(*)). Peut - on, du moins parler d'une compétence de l'arbitre ? A première vue, pas davantage. Les règles de compétence, dit - on, ont pour objet d'assurer le fonctionnement d'une organisation judiciaire comportant une pluralité des juges, en répartissant entre eux les litiges. Or les arbitres ne font pas partie de l'organisation judiciaire étatique, et ne constituent pas eux - mêmes une organisation parallèle préexistante aux litiges. Par ce biais, on arrive à considérer que les questions de compétences sont étrangères aux arbitres puisque leur droit de juger est la conséquence d'une convention, et non de l'organisation judiciaires. Il est vrai que l'appréciation de la compétence de l'arbitre subit fortement l'influence de son origine contractuelle mais il est excessif de ne voir dans la mission conférée aux arbitres qu'un simple pouvoir de nature contractuelle mais il faut se prononçant en faveur du son caractère juridictionnel. On trouve dans certains ouvrages et dans un nombre de décisions qui affirment que « la juridiction arbitrale n'a pas de compétence propre et n'a jamais qu'une compétence d'emprunt (17(*)) mais d'autres décisions ne suivaient pas cette voie. Elles reconnaissent que les arbitres sont détenteurs d'une véritable fonction juridictionnelle (18(*)). Cependant, il n'est pas difficile en l'élargissant légèrement, de rendre utilisable la notion de compétence. Dès lors, en admettant que l'arbitre régulièrement investi est un juge, les tribunaux ont dû reconnaître l'existence d'une véritable compétence arbitrale. Il est donc conforme à un usage correct du vocabulaire juridique de parler de la compétence arbitrale. C'est d'ailleurs une expression communément employée par les législateurs étatiques ; c'est aussi celle qui a été retenue dans le code de l'arbitrage Tunisien à plusieurs reprises surtout dans l'intitulé de la section IV de chapitre III(19(*)). Il suffit à cet égard de n'en retenir que l'idée maîtresse qui est celle de répartition : La fonction des règles de compétence est de répartir des pouvoirs entre diverses personnes (20(*)). La notion de compétence est aussi rarement définie que son usage est constant parfois même abusif. Elle a pourtant été présentée de manière éclairante par Eisenman en partant de l'hypothèse de la « table rase »,celle d'un législateur à qui incombe de résoudre a priori la question du traitement des litiges. La solution simple consiste à instituer une juridiction unique pour tous les types de procès. Difficile à mettre en oeuvre dans un pays tant soit peu étendu. Elle appelle presque toujours une variante, c'est-à-dire, l'institution de plusieurs juridictions identiques pour des raisons de commodité géographique. L'option la plus complexe réside dans la création des juridictions spécialisées en fonction d'un type de contentieux qui peut se combiner avec la précédente. S'il n'existe qu'une seule juridiction, la question de compétence ne se pose pas puisque tous les procès sont portés devant la même juridiction. En revanche, lorsqu'il existe une organisation judiciaire, il faut des règles de compétence qui permettent de choisir entre les juridictions qui la composent celle qui pourra trancher un litige donné. Ce choix s'opère, par exemple, en fonction d'éléments de localisation (compétence territoriale), d'éléments tenant à la nature du litige (compétence matérielle) ou à la valeur des intérêts en jeu. Les règles de compétence permettent ainsi de répartir les litiges entre les juridictions à partir des critères préétablis. Telle est du moins leur fonction dans un ordre juridictionnel homogène qui consiste à régler les rapports entre les différentes juridictions avec un double effet d'attribution (juridiction compétente) et d'exclusion (les autres juridictions). Au juge et à l'arbitre, la question de compétence se pose toujours en termes de conflits : moi ou un autre ?
A ce stade, il faut distinguer entre « conflits » et « concurrence ». La concurrence se diffère de conflits. La concurrence laisse entendre qu'elle suppose nécessairement des juges également compétents. En réalité, elle tient simplement au fait que toutes les juridictions ont été instituées pour remplir le même rôle. Dans cette perspective Mme Niboyet- Hoegy estime qu'il n'aurait pas « de concurrence possible (...) entre les justices étatiques et arbitrales, par l'effet élusif ]de la convention d'arbitrage[ »(21(*)). Toute règle de compétence produit ainsi, d'une manière ou d'une autre, un effet d'exclusion. En matière d'arbitrage, la convention d'arbitrage est un mécanisme d'institution qui confère à un particulier un pouvoir de juger occasionnel, raison pour laquelle il est légitime de parler de prorogation de compétence. La convention même qu'elle joue un rôle plus large, elle soulève également des difficultés particulières, d'une double nature. S'agissant d'un acte juridique, mais d'un acte juridique particulier et qui met en cause, par hypothèse, différents Etats, l'inévitable conflit de lois apparaît, et son acuité sera d'autant plus grande que les lois nationales se montrent parfois rigoureuses quant aux conditions de validité de cet acte ; mais son effet essentiel- soustraire aux tribunaux étatiques la connaissance de certains litiges pour le confier à des arbitres (22(*)) - pose un autre problème : la délimitation des compétences des tribunaux et des arbitres, qui est une forme de « conflits de juridictions » particulière, ou plutôt de conflits de compétence judiciaire et arbitrale. Même ainsi compris de façon étroite, le domaine du droit de l'arbitrage choisi d'être étudier « conflits de compétence judiciaire et arbitrale » revêt une importance ou intérêt considérable aussi bien de côté pratique que théorique. Il est extrêmement fréquent que soient soulevées, au seuil des instances arbitrales, des questions de compétence. Des multiples raisons incitent à étudier la question de conflits ; d'abord la nature hybride de l'arbitrage donne également à la compétence arbitrale un régime original lorsqu'elle est confrontée à la compétence des juridictions officielles. La répartition des compétences entre les tribunaux arbitrales et judiciaires est, en effet, régie par des règles différentes de celles applicables aux conflits classiques de compétence ; ces règles invitent à distinguer la compétence d'attribution et la compétence territoriale. Ces deux notions ne sont pas utilisables en matière d'arbitrage. La convention d'arbitrage rend compétente une juridiction sans que l'on puisse faire la distinction habituelle entre la compétence d'attribution et la compétence territoriale(23(*)). En outre la jurisprudence, les auteurs sont loin d'avoir édictés des solutions harmonieuses sur tous les problèmes suscités par la répartition de compétence entre tribunaux ordinaires et juridictions arbitrales, c'est précisément le domaine où elle est le plus partagée et où l'on assiste aux revirements les plus fréquents(24(*)). Les contradictions dans son attitude tiennent à deux causes. Tout d'abord, la compétence des arbitres étant admises en principe, il reste que son étendue et son existence même sont conditionnées par le compromis ou la clause compromissoire. Et il s'avère erroné, une fois de plus, de vouloir opérer une séparation radicale entre la convention originaire, oeuvre des parties, et la sentence oeuvre des arbitres. La source contractuelle de l'arbitrage influe fortement sur l'exercice du pouvoir juridictionnel conféré à ceux- ci. La seconde source des contradictions que l'on peut relever dans la jurisprudence semble être d'ordre sentimental. C'est en matière de compétence que l'éviction de la juridiction ordinaire au profit de la juridiction arbitrale se manifeste de la façon la plus sensible car le domaine de l'une est directement déterminé et limité par celui de l'autre(25(*)). Les plaideurs peuvent de bonne foi hésiter sur la juridiction à saisir, et provoquer des conflits de compétence qu'il importe de savoir. Comment les Conflits entre les deux compétences : compétence judiciaire et compétence arbitrale ont pu être résolus ?
Des auteurs mettent ainsi l'accent sur l'idée qu'il existait un ordre normale des compétences, un cours ordinaire de la justice qui serait dévolu aux juridictions de l'État, et un cours exceptionnel et dérogatoire qui serait celui de l'arbitrage par l'effet de la volonté des parties dans la convention d'arbitrage. Dans le même chemin s'est penchée la cour d'appel de Tunis dans un arrêt récent(26(*)). Cette singularité donne un régime original à la solution de conflits naissant entre la compétence des juridictions étatiques et des juridictions arbitrales. Répondre à la problématique, de ces deux genres de compétences : compétence arbitrale et compétence judiciaire, lequel est le plus important ? La question peut sembler oiseuse car on discerne mal, à première vue, comment on pourrait séparer les deux faces de la médaille. Le problème de conflits entre les deux ordres de juridictions ont subi le contre - coup de la promulgation de code de l'arbitrage Tunisien. Le choix de notre code n'est pas isolé, il est même affecté par la force du vent des orientations nouvelles en droit comparé. Les législations fournissent la réponse. Il importe, afin d'éviter le conflit, le dessaisissement des tribunaux judiciaires en présence d'une convention d'arbitrage (Partie I) et inversement l'attribution de la compétence à la juridiction arbitrale (Partie II). Partie (I) : Dessaisissement des tribunaux judiciaires en présence d'une convention d'arbitrage. Partie (II) : Attribution de la compétence à la juridiction arbitrale en présence d'une convention d'arbitrage. * 1 OPPETIT (B.), « Justice étatique et justice arbitrale », Etudes offertes à Pierre Bellet, p.415 et s. * 2 Titre d'un colloque organisé par le centre de philosophie de droit de l'université catholique de Louvain à la fin de 1989, ses actes édictés sous ce titre par J. LENOBLE, Paris, L.G.D.J, 1990,cité par FOUCHARD (PH.), « L'arbitrage judiciaire », Etudes offertes à Pierre Bellet, p. 168 * 3 Article 1 code de l'arbitrage Tunisien. * 4 JARROSSON (CH.), « La notion de l'arbitrage », L.G.D.J 1987,p.372 * 5 AMMAR (M.), « L 'arbitrage en Tunisie depuis l'édiction du code de l'arbitrage », Rev. arb. 2000, p. 248 * 6 Le C. P.C.C. promulgué par la loi n° 59- 130 datée du 5 octobre 1959. * 7 Loi n°93- 42 du 26 avril 1993, portant promulgation du code de l'arbitrage. JORT n° 33 du 9 mai 1993, p.580 * 8 Compétence * 9 MAYER (P.), « L'autonomie de l'arbitre international dans l'application de sa propre compétence », R.C.A.D.I,1989, V, p.328 * 10 THÉRY (PH.), « Pouvoir juridictionnel et compétence (étude de droit international privé) », thèse dactyl., Paris II, 1981,note 2 , p. 20 * 11 VINCENT (J.), GUINCHARD (S.), « Procédure civile, » , 22e éd., n°6-1, Dalloz 1978, p.10 * 12 LOQUIN (E.), « Compétence arbitrale », juris- cla. Pro. Civ., Fasc. 1030, p.1 * 13 PERROT (R.), SOLUS (H.), « Droit judiciaire privé »,T.2, Sirey, Paris,1961, n°1 * 14 LOQUIN (E.), « La compétence arbitrale », juris-cl. Pro.civ., Fasc. 1030, p.1 * 15 CADIET (L.), « Droit judiciaire privé », Litec, 2e éd., 1998, n°312 * 16 C.cass. française, 1re civ., prince M.Ben Seoud Bin Abdul Aziz et autre c/ banque Rivaud et autres, 9 octobre 1990, Rev. arb.1991, p.305, note Niboyet-Hoegy (M.-L.). * 17 Paris, 14 mai 1959, Rev. arb. 1959, p.119, note Robert (J.) * 18 Com.10 nov. 1947, J.C.P 1947,II, 3968, note Cavarroc * 19 En ce sens la convention européenne de Genève sur l'arbitrage international, du 21 avril 1961 et dans celui de la loi type sur l'arbitrage international élaborée en 1985 par la CNUDCI. * 20 En ce sens MAYER (P.), « Droit international privé et droit international public sous l'angle de la notion de compétence », Rev.crit.dr.int. pr., 1979,I, p.10 * 21 V. arrêt cité supra note n° 16 * 22 Dans ce sens : ãÍãÏ íÕá Èä ÌÚÑ "ÎæÇØÑ Íæá ÇáÈÚÖ ãä ÇáÌÏíÏ í ÇáÊÍßíã ÇáÏæáí ÇáÊæäÓí" ÇáãÌáÉ ÇááÈäÇäíÉ ááÊÍßíã ÇáÚÑÈí æ ÇáÏæáí ÇáÚÏÏ ÇáËÇãä Õ 50 . * 23 LOQUIN (E.), art. précité , p.3 * 24 RUBELLIN-DEVICHI(J.),« L'arbitrage, nature juridique, droit interne et droit international privé », Paris, L.G.D.J 1965,p.178 * 25 V. supra, n°23. * 26 C.A de Tunis, n° 12926, 19/10/2004 (inédit). |
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