222. Justification de la perestroïka
Au début des années 80, après la mort de
Brejnev, les décès des secrétaires généraux
du PCUS se succèdent à un rythme élevé,
révélant la prégnance de la gérontocratie à
la tête de l'URSS : Brejnev meurt le 12 novembre 1982, Andropov le 9
février 1984 et Tchernenko le 10 mars 1985. Pour mettre fin à
cette série, Mikhaïl Gorbatchev est élu nouveau
secrétaire général du PC le lendemain de la mort de
Tchernenko. A la différence de ses prédécesseurs, c'est un
homme jeune (54 ans) qui accède au poste de commandement. En un peu plus
de trois ans, Gorbatchev rajeunit l'équipe des cadres politiques et des
dirigeants économiques pour mettre en place sa politique de
modernisation de l'économie.
Il faut avant tout bien noter deux points importants
concernant la forme des réformes : le premier est que la mise en
oeuvre de la perestroïka n'a pas été immédiate et que
sa version élaborée ne date que de juin 1987 (premières
lois sur l'autonomie accrue des entreprises). La seconde particularité
concernant la forme réside dans le fait que la politique
gorbatchévienne recèle en elle même une certaine
discontinuité. Cela signifie que devant l'ampleur de la tâche et
certaines contestation de ces réformes, Gorbatchev a eu tendance
à revenir sur certaines décisions et ce afin d'arrondir les
angles et de faire en sorte qu'elles soient acceptées par le plus grand
nombre.
Ainsi le personnage de Gorbatchev ne semble a priori pas
marquer une rupture avec le passé et les dirigeants
précédents (malgré son jeune age) car il a fait partie lui
aussi de ces leaders qui ont amené le pays dans le triste état
dans lequel il se trouve en 1985. Ainsi, il reste fidèle aux principes
socialistes fondamentaux que sont la dictature du prolétariat et la
propriété étatique des biens de production.
Pourtant, le diagnostic qu'il fait progressivement de
l'état de la société soviétique tranche avec celui
de ses prédécesseurs, et s'appuie sur un pragmatisme
inédit. En effet, si son langage reste proche de la rhétorique
traditionnelle, son approche du problème tranche fondamentalement avec
le passé en ce sens qu'elle privilégie une approche
systémique des problèmes de l'économie soviétique.
Sa remise en cause concerne l'ensemble de l'économie. Ainsi lors de son
accession au pouvoir il aborde les grands thèmes que sont la
mentalité d'assistés de la population, la coupure entre la
société et le parti et surtout les défauts structurels de
l'économie. Il précise par la suite son propos en remettant en
cause plusieurs traits majeurs de l'économie soviétique
abordés dans la première partie du mémoire parmi lesquels
le développement extensif, le retard technologique, le gaspillage des
ressources, l'économie de pénurie et affirme leur rapport avec le
fonctionnement intrinsèque de l'économie planifiée ainsi
qu'avec le comportement des divers acteurs économiques, faisant
notamment référence au système de stimulation.
La démarche réformiste de Gorbatchev s'inscrit
donc dans la lignée d'initiatives passées tendant à
rénover le système soviétique mais la différence
majeure consiste dans le fait qu'il souhaite donner à l'économie
une direction qui ferait cohabiter plan et marché et mettre ainsi un
terme à un déclin amorcé depuis plusieurs décennies
(plutôt que d'apporter de légères modifications sans
changer le système dans son ensemble.) Depuis 1985, le mouvement de
réforme porte sur l'ensemble des domaines critiques de l'organisation
économique et s'articule autour de trois termes essentiels :
accélération (ouskoreni), publicité (glasnost) et
restructuration (perestroïka).
La perestroïka (restructuration, du titre de
l'ouvrage de M.Gorbatchev) est le nom donné à l'ensemble des
réformes devant concilier, à ses yeux, socialisme et
démocratie. Concrètement, il s'agit sur le plan économique
de permettre une accélération (ouskoreni) de la croissance. Au
plan politique, il faut construire un Etat de Droit et faire en sorte
d'établir une séparation entre l'appareil d'Etat et le Parti. Le
but étant de se donner une légitimité pour réformer
le pays avec l'appui des masses. La glasnost répond à un souci de
rétablir un fonctionnement démocratique à un pays qui
s'était accommodé depuis des décennies à vivre sous
la domination d'un parti et privé de certaines libertés (de la
presse notamment). Il convient néanmoins de préciser que le but
de recherché dans ces réformes était de sauvegarder le
système en le réformant.
La particularité de la réforme de Gorbatchev
réside dans le fait qu'elle se veut radicale et s'attaque à
plusieurs composantes de la société soviétique. Les
réformes antérieures s'attaquaient à des problèmes
localisés du système économique et se heurtaient
fatalement à un manque de vision globale du problème. A
l'inverse, les réformes de Gorbatchev avaient le mérite de
s'attaquer en plus des problèmes économiques, aux
problèmes sociaux, administratifs, institutionnels et politiques. Ainsi
nous différencierons le volet économique du volet non
économique de sa réforme. (cf. réformes
périphériques)
Des réformes qui ont précédé, il
ressort que les gains d'efficacité ne pourraient être obtenus
durablement que par une réforme économique réelle
doublée d'une orientation des priorités vers la consommation. La
perestroïka et la glasnost devaient aider à sortir de la crise
grâce à une réforme qui, nous l'avons dit, déborde
le strict champ de l'économie.
Abel Aganbegyan, conseiller économique de Gorbatchev
justifie la réforme de la façon suivante : « La
perestroïka signifie une mutation profonde et engendre d'énormes
transformations qualitatives. La perestroïka est indispensable lorsque le
système économique ne répond plus aux nouvelles
conditions, à la maturité des besoins de la
société, aux problèmes de l'avenir. Il faut alors modifier
de manière radicale un tel système. Au cours d'une telle
opération, ce ne sont pas des parties ou des éléments
isolés qui sont touchés, mais le système économique
tout entier. Il faut restructurer la totalité de ses aspects et de ses
éléments pour obtenir une qualité nouvelle. Au fond, c'est
une forme révolutionnaire de changements qui se distingue ici de la
forme évolutive. Et le terme de refonte caractérise justement ces
transformations qualitatives révolutionnaires. Ce concept a plusieurs
aspects : il est synonyme de réforme radiale, reconstruction
profonde, mutation capitale, passage à une qualité nouvelle,
rupture. » Ce discours illustre ainsi de façon significative
la volonté de changer le cours de l'histoire.
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