b) Aménager son habitation mobile : une entreprise
ambidextre.
Quand les formalités administratives sont
terminées, le propriétaire du véhicule peut
procéder à son aménagement, si ce n'est pas
déjà fait. D'une part, dans la majeure partie des cas, les
personnes commencent les premiers bricolages sur l'extérieur du
véhicule (traitement anti-corrosion, mise en place de baies et
d'ouvertures, peinture, maintenance mécanique); d'autre part, vient
ensuite l'aménagement intérieur. On isole, on confectionne du
mobilier, on y installe parfois l'électricité, on agence des
systèmes d'évacuation des eaux usées, on décore.
Ainsi, toutes ces installations sont fondamentales
puisqu'elles viennent déterminer l'intérieur du véhicule
et sa fonctionnalité domestique. Nous pourrons voir dans les chapitres
suivants, combien la notion d'intimité importe dans la confection
interne de l'habitat mobile. Par ailleurs, entre chaque étape de
l'aménagement, le propriétaire est nécessairement conduit
à effectuer différents achats. Néanmoins, le recours
à la récupération est tout aussi fréquent, tant le
coût de s différents matériaux demeure important. Le don,
le troc ou même la vente au rabais via des sites Internet rendent compte
de réseaux d'entraide venant alléger les dépenses. Pour
les travellers qui n'ont pas rompu leurs liens familiaux, il arrive
aussi que l'entourage prête main-forte, souvent sur le plan financier,
mais également à proprement parler dans l'ouvrage même.
L'aménagement représente alors un réel
investissement pour son propriétaire et parfois même pour son
entourage. Les travellers y investissent du temps libre, de l'argent
et même de l'affect. Communément synonyme de liberté,
l'habitat mobile une fois aménagé, permet donc à son
occupant d'être relativement autonome et indépendant, quand bien
même comme me le rappelle une adepte : « [É] Vivre en camion
c'est aussi savoir vivre avec peu. » 29
Bryan a 39 ans. Il est originaire de Glasgow en Grande-
Bretagne. Il a pendant longtemps fait parti, en tant que DJ, du sound
system Desert Storm avec lequel il s'est rendu en Europe de l'Est pour la
mission des World Travellers Adventures. Aujourd'hui, il a
intégré la troupe de cirque Bassline Circus avec
laquelle il compose la musique des spectacles. Lors d'un entretien, il
m'explique comment s'est passé la première acquisition d'un
camion aménagé.
Une bière dans une main et un joint dans l'autre, il me
raconte comment il était tombé amoureux d'un vieux camion
Bedford. A 21 ans, Bryan a son permis. Il se met à la recherche d'un
fourgon à aménager pour y installer une partie de son
sound-system et de quoi organiser sa vie quotidienne en camion. C'est
grâce à un ami squatter à Londres qu'il repéra le
Bedford. Le camion, rouge et blanc cassé, avec ses formes rondes et son
moteur usé mais toujours en état de marche, est parqué
dans l'entrepôt du squat. En ce l ieu, de nombreux véhicules sont
garés, certains en garage mort, d'autres habités ou
temporairement stationné le temps d'une bricole mécanique. Bryan
découvre alors son future premier camion. Le propriétaire
était un vieux squatter d'une cinquantaine d'années. Il parle de
son fourgon comme d'une ancienne compagne en expliquant qu'avec lui, il a tout
fait: les festivals de Stonehenge, les premières raves, les routes
29Lolita , 24 ans, couturière. Entretien du
23/11/2007.
interminables vers l'Ecosse, les campements de travellers, les
premiers jobs etc
Tout en discutant, Bryan inspecte le véhicule, le fait
démarrer. Il part au quart de tour me dit-il: «quel bruit, ce
moteur! ». Les mains sous le capot, il scrute la mécanique
vérifiant si l'ensemble du moteur fonctionne bien. Les pneus sont
quelque peu usés mais praticables. Puis, il va observer
l'intérieur du fourgon. Dedans, l'aménagement est sommaire: un
matelas déposé à l'arrière, une petite cuisine de
quoi faire la vaisselle et cuisiner et un coffre en bois qui servait de
banquette. Bryan m'explique qu'il est tout excité car il commence
à se dire que c'est le bon, et qu'il va passer à l'étape
suivante : négocier le prix de vente. Le vieux squatter lui annonce
650£, soit l'équivalent de 800 euros. Avec les quelques points de
rouilles, les pneus usés et l'ancienneté du véhicule,
Bryan réussit à faire descendre le prix à 580£, soit
environ 730 euros. Marché conclu, le camion appartient désormais
à Bryan. Ils rédigent ensemble les papiers du véhicule et
l'acte de vente. Enthousiaste, Bryan s'installe au volant du camion et prend la
route. «Quelle drôle de sensation ! » me raconte t-il. «A
peine sorti du squat, je me suis senti libre et heureux, j'avais non seulement
un vrai chez-moi mais surtout de quoi transporter mon matériel pour les
raves. Je me sentais extrêmement indépendant.» Il
ramène sa nouvelle acquisition dans un autre squat où loge le
reste des membres des Desert Storm et montre fièrement à ses
camarades technoïdes, «son petit bijou » comme il dit.
Par la suite, après avoir vidé l'ensemble des
anciens mobiliers, Bryan commence à aménager sa maison mobile en
y agençant un coin pour dormir, un coin cuisine et salon, et un espace
suffisamment spacieux pour disposer ses platines, ses affaires
électroniques. Aujourd'hui, Bryan ne possède plus le vieux
Bedford, il l'a revendu quelques années plus tard. Comme il me
l'annonce: « Je suis passé à l'étape
supérieure. Avec ma femme, on s'est payé un camion caisse
Mercedes et une grande caravane car plus ça allait, et plus on avait de
matériel. Maintenant avec Bassline, c'est pratique d'avoir le camion et
la caravane comme ça, je pose la caravane dans les
festivals et ça ne m'empêche pas de pouvoir me rendre où je
veux avec mon camion aménagé.»
Journal de terrain, 27 août 2007.
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