b) L'expérience technomade aujourd'hui, en
France.
Les travellers techno issus du mouvement des
fêtes clandestines sont pris dans une double législation: d'une
part, celle concernant l'organisation des free-parties et d'autre
part, la loi, plus ancienne, définissant les personnes circulant en
France sans domicile ni résidence fixe. C'est la loi votée le 3
janvier 1969, sous Charles De Gaulle, relative à l'exercice des
activités ambulantes et au régime applicable aux personnes
circulant en France.
«Les personnes âgées de plus de seize ans
[É] et dépourvues de domicile ou de résidence fixe depuis
plus de six mois doivent, pour pouvoir circuler en France, être munies de
l'un des titres de circulation [É] si elles logent de façon
permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile.
»23
Pris sous le coup d'un couple de lois organisant leurs
pratiques, on constate aujourd'hui que les travellers s'inscrivent
dans une pluralité d'identités qui ne les réduit pas
à un groupe totalement singulier. En effet, hormis les travellers
exerçant une activité dite « ambulante» (forain,
artisan, saisonnier), ils sont une minorité à posséder un
carnet de circulation. La plupart ne logeant pas de façon permanente
dans un véhicule aménagé.
Exerçant souvent des emplois précaires, les
travellers français peuvent être considérés
comme des nomades effectivement, six mois sur douze. Or, ces mêmes
personnes sont aussi souvent dans une situation de recherche d'emploi, de
chômage, vivant du RMI.
23 Article 3 de la loi du 3 janvier 1969, Annexe page
88.
Ainsi, il apparaît clairement qu'une part importante des
travellers techno oscillent entre l'itinérance et la
sédentarité.
«Je me sens semi-nomade. J'ai un point d'attache pour
mon
24
travail et je voyage dès que je suis libre de tout
engagement.»
En France, les travellers partagent ainsi leur
existence entre deux modes de vie: d'une part, grâce à leur
mobilité, ils prennent part à l'organisation des fêtes
techno et d'autre part, ils tentent de garantir cette partie de leur
existence en travaillant et en épargnant.
De nos jours, les travellers anglais vivent dans des
squats ou sur des terrains acquis collectivement. Parmi les plus
renommés avec lesquels j 'ai réalisé l'enquête de
terrain, certains anciens membres actifs des sound-systems Spiral
Tribe, Desert Storm et Sound - Conspirancy sont
aujourd'hui réunis en troupe de cirque. Sous le nom de Bassline
Circus , ils continuent à propager leur musique et l'idée
des fêtes techno libres sous la forme plus officielle des arts
du cirque. S'improvisant dans des festivals en Angleterre et en Europe, ils
tentent de réconcilier les profanes à leurs pratiques
culturelles. Par le biais des arts du cirque, ils essayent ainsi de rompre les
préjugés séculaires sur les raves et les
travellers. Aussi, en dehors de leurs productions artistiques, ils
aménagent des ateliers ouverts à tous: apprentissage des
pratiques du mix sur platines, du live-visuel, des
différents arts du cirque, du maquillage.
Avec leurs spectacles basés sur de la musique de
rave et composés de talents éclectiques, j 'ai
constaté que ces anciens routards des fêtes techno
s'attirent la sympathie d'un public de tout âge. Cependant, c'est
une fois le show terminé, que l'on retrouve la
réalité des a priori. En dehors du chapiteau, la censure
était palpable. J'entendais d'une part, les réactions
extrêmement positives de la jeune génération (soit des 7-25
ans) et d'autre part, les critiques des plus âgés rappelant
à leurs progénitures qu' « avant d'être des artistes,
ces gens ne sont que des drogués. » 25
24 Sébastien, 27 ans, musicien. Entretien du
12/10/2007.
25 Propos recueilli sans entretien, à la sortie
d'un spectacle des Bassline Circus, le 24 août 2007, lors du
festival Greenbelt à Cheltenham, en Grande-Bretagne.
Logo de la troupe de cirque contemporain Bassline
Circus.
Or, que ce soit au regard du contexte actuel français
ou du contexte anglais, le constat est le même: la population des
travellers du mouvement des fêtes techno clandestines
est exotique pour l'imaginaire collectif.
L'ensemble des activités des travellers reste
inexploré par le corps scientifique. Avec ce panorama de l'histoire
courte des travellers en Grande-Bretagne et en France, je rends compte
de leurs diverses expériences sociales, culturelles et politiques. Je
réalise que les travellers ont traversé quatre
décennies de tensions relatives à leur mode de vie insolite et
à l'organisation de festivités prohibées.
Ici, exposer partiellement les mémoires des
différents travellers des années 1960 à nos jours
est une manière de contribuer à la compréhension de cette
population. En effet, j'estime que sans cette perspective historique, il serait
vain de proposer une approche critique du mode d'habiter des travellers
d'aujourd'hui.
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