b) La grande déviation : la confluence entre les
travellers et les punks.
Dans le même temps, la scène punk
londonienne sort de l'ombre. Les premiers groupes apparaissent dans les
années 1975-1976 et affichent ainsi leur volonté de tabula
rasa, et leur liberté de création maximale, comprise
notamment à travers le vocable Do It Yourself ou DIY
[Faites-le vous-même]. Ils s'approprient la notion
d'autogestion, comprise comme la gestion par soi-même. Dans les faits,
les punks investissent les espaces abandonnés des villes
9
[squats ], créent des fanzineset des
labels autonomes et indépendants, organisent des concerts
gratuits dans les bas-fonds des quartiers déshérités
[Inner cities].
9 Un fanzine (contraction de fan et de
magazine) est un périodique indépendant, créé et
réalisé par et pour quelques passionnés. Les fanzines
sont souvent liés à des mouvements musicaux.
Tout comme l'annonçait un tract de Positive
Force, un groupuscule punk de la scène londonienne, en
1985 : le punk « Ce n'est pas une mode, un certa in style de
vêtement,
une phase passante de rébellion instinctive contre tes
parents, la dernière tendance «cool» ni même une forme
ou un genre particuliers de musique. Réellement, c'est une idée
qui guide et motive ta vie. La communauté punk ayant
subsisté, existe pour soutenir et réaliser cette conception
à travers la musique, l'art, les fanzines et d'autres
expressions créatives particulières. Et quelle est cette
conception? Penser par toi-même, être toi -même, ne pas te
contenter de prendre ce que la société t'a donné,
établir tes propres règles, vivre ta propre
vie. »10
Le mouvement punk illustre ainsi l'exemple
extrême de la jeunesse. Pour mieux envisager la notion de jeunesse, je
reprendrais la définition du concept de Giovani Levi comme: «fait
social instable et réalité culturelle lourde d'une foule de
valeurs et d'usages symboliques» (Levi & Schmitt, 1994: 8).
Avec l'exemple des punks, la jeunesse comme
construction sociale et culturelle renvoie à la mise en
indépendance d'individus. Formant un «réceptacle
idéologique des espoirs et des angoisses diffus qui traversent la
société» (Galland, 2004: 57-59), les jeunes punks
et leur conception autonomiste de l'individu viennent ainsi s'inscrire
dans un modèle abouti de la quête identitaire. Or, loin de moi
l'idée d'amalgamer le mouvement punk à une crise
d'adolescence.
Le DIY vient ainsi partiellement illustrer la
volonté des jeunes d'être indépendants, sans coercition
parentale ou sociétale. Cependant, là où les punks
représentent un mouvement culturel singulier ne pouvant se
confondre avec un autre, c'est bien dans leur mode d'occupation de logements
vacants. Et l'on ne peut évidemment pas prétendre que l'ensemble
de la jeunesse dans les années 1970 en Grande-Bretagne était
affilié à l'habitat en squat et à l'errance.
Pendant plusieurs années, les groupes punks représentent
des citadins ambulants, menant leurs vies sur le mode d'une «errance
active ». Le chercheur et travailleur social François Chobeaux
s'est particulièrement consacré à cette population et
indique que l'errance active «permettrait dès lors de souligner la
part de volonté, de revendication qui fait la particularité de ce
public [É ]» (2001: 2).
10 Texte qui trouve son origine dans un tract de
Positive Force, rédigé par Mark Anderson en 1985.
Mais lorsque ces individus n'errent pas en ville, ils
squattent et c'est bien ce qui a posé problème aux
autorités. Pour faire face à la multiplication des espaces
occupés sans droit ni titre, le Housing Act11 [Acte
sur l'habitat] est voté en 1988. Sous l'impulsion de Margaret Thatcher
le Premier ministre, ce texte vient légiférer l'accès au
logement et fait par conséquent fermer les squats. Le texte
autorise notamment les expulsions des squatters et vient interdire l'occupation
de logements vacants. C'est ainsi que de nombreux jeunes squatters se
retrouvent à la rue, expulsés du lieu qui abrite leurs
pratiques.
Une fois de plus, le conflit émergeant entre l'ordre
public et le mode de vie d'une catégorie de la jeunesse, (ici les
punks) donnent à voir les liens d'interdépendances entre
marginalité et législation. Les interactions entre le
squat et le monde urbain peuvent être mises en parallèle
avec d'une part, le lien entre marginalité et clandestinité
propre au squat, et d'autre part, la normativité comprise dans l'ordre
public urbain.
En ce sens, la législation qui vient
réfréner les squats en Angleterre réprime dans le
même temps l'exercice des activités culturelles
autogérées par les squatters . Autrement dit,
l'idée d'une contre-culture véhiculée par le mouvement
punk, est d'autant plus étouffée qu'elle prône des
valeurs opposées à celles de la culture dominante. Par exemple,
l'autogestion semble représenter pour la culture dominante, une
chimère qui vient détériorer les modes d'organisation
traditionnelle d'une société.
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