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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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b) Les travellers, une existence ébranlée entre injonction à la mobilité et à la sédentarité.

En considérant le mode d'habiter des travellers, nous avons creusé le rapport qu'ils entretiennent à la société et à ses normes. En évaluant le degré d'autonomie et de dépendance des usagers d'habitation mobile, nous avons compris que l'initiative à résider dans un véhicule aménagé était sujette à controverse. On a ainsi envisagé la part d'implication des travellers dans leur mise en habitat mobile mais aussi la part de contraintes sociales qui a motivé ce choix.

Aussi, en examinant à l'échelle des populations nomades, les permanences et les discontinuités politiques, nous pouvons admettre que le mode de vie des travellers est complexe. Tant dans leur rapport aux institutions (pour les fêtes techno et pour le stationnement de leur maison mobile) que dans leur rapport aux populations locales, les travellers cohabitent ainsi difficilement avec la société locale et globale. Ces constats nous amènent alors à réfléchir sur deux injonctions sociétales : d'une part, l'injonction à la mobilité et d'autre part, l'injonction à la sédentarité.

Nous l'avons vu, nos sociétés industrialisées sont de plus en plus mobiles. La circulation des Hommes, des matières et des idées est toujours plus rapide et crée ainsi tout un panel de mobilités différentes. L'intérêt majeur d'appréhender les groupes sociaux par leurs mobilités spatiales, réside ainsi dans la compréhension d'impératifs comme la nécessité à être mobile. Ici, en étudiant les mobilités vécues des travellers, j 'ai saisi non seulement les déplacements et le rapport au territoire mais aussi, le poids des mesures coercitives venant accélérer le rythme de vie de cette population. Rendre compte des espaces saisis par les travellers m'a donc permis de réaliser que cette formation sociale mobile est régie par une injonction à la mobilité.

La flexibilité de la mobilité des travellers semble mieux les caractériser que leur simple mobilité. Autrement dit, nous nous intéressons à une mobilité particulière, une mobilité que nous pouvons justement qualifier de flexible dans la mesure où elle permet l'adaptation à l'injonction à la mobilité spatiale et à la flexibilité professionnelle.

Par flexibilité, j'entends l'adaptation continue aux contraintes exogènes. La mobilité flexible est donc celle qui permet une telle adaptation permanente. Cela correspond notamment à la mobilité nécessaire pour se rendre sur des lieux de travail changeants comme c'est le cas pour les intérimaires, les travailleurs saisonniers ou pour les commerçants ambulants.

Or, questionner le rapport des travellers à la division du travail aide autrement à relativiser cette mobilité flexible, en notant que cette population est en réalité souvent prise entre désoeuvrement et occupation salariale temporaire. Les travellers ne sont pas carriéristes. Dès lors qu'ils mobilisent des compétences à l'adaptabilité professionnelle, la discontinuité de leurs emplois entraîne un autre rapport à la valeur travail. Ils accordent ainsi davantage d'importance à la valeur temps libre qu'à la valeur travail, quand bien même ils sont contraint d'exercer une activité salariale.

«C'est un avantage professionnel quant à la mobilité. »53

En comprenant l'adaptabilité de la personne mobile, on peut dès lors estimer toute la complexité de sa mobilité. Pour les intérimaires par exemple, les indicateurs de flexibilité témoignent de la variabilité des lieux de travail et de contrats précaires. Les missions d'intérim reflètent ainsi les exigences de mobilité flexible et amènent donc de nombreuses personnes, comme les travellers, à s'installer dans une résidence mobile de manière à s'adapter. La diffusion de la norme de mobilité est avérée. Elle montre comment les individus, en conjuguant mobilité flexible et adaptabilité, mettent en oeuvre leur intégration à la société globale et à l'exigence de mobilité professionnelle.

Or, si les travellers peuvent être qualifiés de mobiles flexibles, ils sont également pris sous le coup d'une injonction à la sédentarité domiciliaire. Opter pour une résidence mobile relève d'un choix contraint par l'injonction à la mobilité professionnelle mais aussi par le déni de l'exigence sociétale de logement standard fixé. La situation des travellers se comprend alors comme une négociation entre un besoin de sédentarité lié à l'injonction du travail, et le désir d'itinérance. L'impératif à la sédentarité peut être donc lu sous deux aspects : d'une part, c'est par les formes transitoires de salariat que les travellers sont contraints de fixer leur mobilité ; d'autre part, le rejet des normes en matière d'habitat traditionnel les conduit à résider dans un logis mobile.

53 Emilie, 23 ans, maître-chien.

Ainsi, c'est notamment, au regard de la situation infra du logement standard, que les travellers ont opté pour une mise en habitation mobile, réglant par là même la question du mal logement. Nos sociétés sont malades du logement. Les événements de l'hiver 2006 -2007 avec l'installation des tentes destinées à loger des sans-abri le long du canal Saint -Martin puis le vote d'une loi portant sur le droit du logement opposable n'ont fait qu'accentuer la prise de conscience qui s'exprime depuis maintenant plus de quinze ans. Dans la presse, les reportages sur les sans-abri alternent ainsi avec ceux sur les squatters expulsés. Les difficultés d'accès au logement des jeunes remplacent les incendies dans les immeubles insalubres tandis que des considérations sur la flambée des prix de l'immobilier viennent relayer des chroniques sur le phénomène des ménages ayant élu résidence de façon permanente dans des habitations mobiles.

Face à cette apparente crise du logement, il peut donc être mentionné l'important développement des « formes dénaturées de logement » (Vanoni & Robert, 2007: 9). À savoir, l'habitat mobile terrestre est en ce sens une réponse au non-accès au logement traditionnel et par conséquent, une solution face au mal-logement. Or, indépendamment du constat de malaise sociétal du logement, les usagers d'habitation ambulante comme les travellers semblent revendiquer leur mise en mobilité, contestant ainsi l'injonction à la sédentarité domiciliaire. En résidant dans un habitat mobile, les travellers concrétisent ainsi les atouts de cette initiative.

«Le camion m'a permis de vivre à moindre coût [É] »54

Même si un véhicule aménagé en logis représente un coût financier dans l'acquisition même puis dans son aménagement et sa maintenance mécanique, ce type d'habitat demeure économique. Aussi, devenir propriétaire d'un appartement ou d'une maison est un projet d'ordinaire réalisé sur le long terme (crédit sur trente ans), a contrario, l'acquisition d'un fourgon ou d'un camion, même s'il représente un coût, permet à son acquisiteur d'être propriétaire plus rapidement. Les travellers peuvent alors se décharger des charges locatives et du paiement d'un loyer.

54Pierre, 26 ans, saisonnier.

«Pas de loyers, ni d'abonnement à payer et l'assurance d'avoir toujours un chez-soi [É] »55

«C'est un choix anti-propriété privée. »56

Par ailleurs, comme l'exprime mon interlocuteur dans l'extrait d'entretien ci-dessus, vivre dans une résidence mobile peut être compris comme une forme de résistance face à l'injonction de stabilisation spatiale, à l'exigence d'être domicilié dans un logement standard. La non-accession au logement de droit commun semble ainsi être mise de côté au profit d'une revendication d'un droit à l'instabilité spatiale et à un habitat alternatif. Le mode d'habiter des travellers est donc légitimé par ses usagers et, tend même à devenir une mode. En effet, dans la population juvénile technoïde, nombreux sont ceux qui se lancent dans la vogue de l'aventure de l'habitation mobile.

«Être traveller, c'est devenu une mode. Avant, c'était vraiment rattaché aux teufs et aux voyages électroniques, aujourd' hui, ça fait bien d'aller en free, d'écouter de la techno et de se considérer comme des travellers. En gros, si t'as pas un chien, un camion, des piercings et des platines pour mixer, ben t'es pas un vrai [É] Du coup, au final, les gens savent plus très bien ce que c'est qu'être traveller. Ils n'en connaissent pas l'histoire et c'est bien dommage [É] Franchement, c'était mieux avant! »57

Ce type de discours, rétroactif, est fréquent chez les personnes, travellers ou non, qui ont une certaine expérience du milieu technoïde des fêtes clandestines et du mode de vie qui en découle. Si de tout temps, le traveller a par contrainte «choisi» d'élire domicile dans un véhicule aménagé, c'est au quotidien qu'il a appris à se défaire du mode d'habiter traditionnel.

Ainsi, sur les quarante dernières années parcourues, le traveller expérimente l'habitation mobile terrestre et se dresse alors contre l'exigence à la sédentarité domiciliaire, revendiquant le droit à un logement différent. Conjuguant mobilité flexible et habitation ambulante, les travellers semblent aujourd'hui s'être dispensés d'un logement standard traditionnel. Le véhicule aménagé en logis représente ainsi une réponse concrète dans une société en carence de logement bon marché et où l'on aspire à être de plus en plus mobile et mobilisable.

55 Bastien, 30 ans.

56Mark, 35 ans, intermittent du spectacle.

57François, 32 ans, salarié dans une entreprise de prestations culturelles.

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