b) Le pêle-mêle sociopolitique de la mise en
habitat mobile.
Selon le code de la construction et de l'habitation, le
logement principal ne peut être que sédentaire. Ainsi, la
non-reconnaissance juridique de la résidence mobile comme logement est
un frein pour l'accès aux prestations sociales. En outre, l'absence de
reconnaissance juridique de l'habitat mobile comme logement permanent dans les
documents d'urbanisme élaborés par les communes (Plan
d'Occupation des Sols) empêche l'installation durable des
véhicules aménagés sur des terrains privés, mettant
les habitants dans des situations d'occupation parfois pr écaires.
D'autre part, le déni de cette forme d'habitat exclue les usagers des
aides sociales, notamment pour le logement mais aussi aux prêts bancaires
préférentiels.
En ce sens, la mobilité des travellers est de
facto qualifiée de pratique déviante, sa contrepartie, le
stationnement ou la sédentarité temporaire pose également
problème. En effet, les pratiques nomades sont, depuis le XVème
siècle, visées par des textes réglementant la
présence de vagabonds, de commerçants ambulants,
d'itinérants, de routards susceptibles de perturber l'ordre public. Sous
le régime de Vichy, c'est encore l'itinérance qui fait l'objet de
rapports et de décrets relatifs à l'interdiction de circulation
des nomades sur la totalité du territoire français.
46
La loi Bessondéterm ine les obligations d'accueil des
gens du voyage incombant aux communes de plus de 5000 habitants. Elle
prévoit d'une part, d'assurer la libre circulation des biens et des
personnes et de répondre à l'aspiration des gens du voyage
itinérants à séjourner dans des lieux d'accueil dans des
conditions décentes. D'autre part, la loi répond au souci des
élus locaux d'éviter les stationnements illicites. Mais
l'installation prévue d'une aire d'accueil déclenche souvent le
soulèvement de la population locale. Les discours communs autour des
gens du voyage refont surface et donnent l'occasion aux élus de stopper
leurs démarches, inquiets des répercutions électorales de
ce choix.
On pourrait rapprocher cette tendance des autochtones au
phénomène américain «NIMBY [Not In My Back
Yard] », étudié par le politologue Arthur Jobert (Jobert,
1998). Ce phénomène traduisible textuellement par [Pas dans mon
arrière -cour] caractérise initialement l'opposition des
riverains à l'implantation d'équipements polluants. Cette
théorie peut s'appliquer à de nombreux projets imposés au
nom de l'intérêt général mais
considérés comme porteurs de nuisances. Autrement dit, avec
l'exemple des aires d'accueil, le syndrome NIMBY explique que les personnes
«n'ont rien contre, mais qu'elle ne veulent pas de ça chez
elles.» Pour le chercheur du CÉVIPOF47 : «La
multiplication des conflits d'aménagement a un sens politique : elle
traduit l'émergence d'un nouveau modèle de construction de
l'intérêt général » (Jobert, 1999).
Or, de manière générale , bien qu'il
existe des similarités entre travellers et les gens du voyage,
les travellers techno ne se réclament pas comme faisant parti
de cette communauté, si vaste soit-elle. Effectivement, les gens dit du
voyage regroupent de multiples catégories de populations
itinérantes. On compte parmi elle, les populations immigrées de
l'Europe de l'Est, plus connues sous le nom de roms ou de tsiganes, mais aussi
des itinérants venus d'Espagne (gipsy) ou encore des
communautés familiales françaises. Parmi eux, nous ne trouvons
donc pas la trace de travellers. Refusant la mise en ghetto que
constitue les aires d'accueil des gens du voyage, les travellers
optent pour le stationnement libre mais illicite.
46 Loi Besson du 5juillet2000.
47 Cévipof: Centre d'études de la vie
politique française.
Cependant, le mode d'habiter des travellers est
soumis aux mêmes législations. Juridiquement, vivre dans une
résidence mobile terrestre implique, nous l'avons vu des restrictions
spatiales, mais également des restrictions budgétaires. En
effet,
par exemple, toute personne ayant élu domicile
principal dans une résid ence mobile, doit s'acquitter d'une taxe
d'habitation.48 De manière à égaliser les
devoirs du contribuable à l'ensemble de la population, cette taxe vient
désormais s'appliquer aux usagers d'habitation mobile. Or, aujourd'hui,
élire domicile principal dans un logement ambulant ne donne pas droit
aux prestations sociales en matière de logement et d'aide à
l'habitat. L'acquittement de cette taxe pose alors problème aux
populations résidant dans un logis mobile.
Néanmoins, pour les travellers, il est rare
qu' ils s'acquittent de cette taxe puisqu'ils ne vivent réellement dans
leur véhicule aménagé qu'une partie de l'année. En
effet, nombreux sont les travellers qui possèdent une adresse
postale fixée (chez les parents ou des amis) leur permettant ainsi de
faire valoir une résidence principale sédentaire. Dès lors
qu'un usager possède une adresse (par boîte postale ou par
particulier), il peut prétendre à bénéficier des
aides sociales, notamment en matière de logement.
Ceci étant dit, il n'en reste pas moins que les
travellers, comme toutes les populations itinérantes, sont
largement assimilés non seulement à la marginalité mais
aussi à la précarité. Vivre dans un véhicule
aménagé en logis représente pour la majorité des
sédentaires un signe de grande précarité. Or, la question
que les travellers posent à la société est celle
de sa capacité à imaginer, concevoir, accepter des modes
d'habiter divers, collectifs ou individuels, fixes ou mobiles.
Si la mobilité est comprise comme une activité
productive plus que comme simple déplacement, et l'habitat mobile, comme
une solution ad hoc face au mal-logement, alors nous pouvons concevoir
le mode de vie des travellers techno comme une «mobilité
socialement consacrée» (Clément, 2004: 175) et comme une
forme de résistan ce face à l'injonction de
sédentarité domiciliaire.
48 Loi des finances de 2006, du Code
Général des Impôts.
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