La théorie de la correction symétrique des bilans( Télécharger le fichier original )par Mohamed Ben Mahmoud faculté de droit et des sciences politiques de TUNIS - mastère en droit des affaires 2005 |
B/. Position « contre-révolutionnaire » de l'Administration fiscale françaiseC'est une véritable révolution qu'a connue la jurisprudence française. Un essor qui a été illustré par une décision du 7 juillet 2004304(*) rendue en formation d'Assemblée, le Conseil d'Etat a mis fin à la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture et démontre s'il était besoin qu'il n'est pas insensible aux principes d'équité et de sécurité juridique. En l'espèce, une société à la suite d'une erreur comptable non délibérée, calcule son résultat à partir des encaissements et non des créances acquisses, l'Administration est fondée pour rectifier chaque exercice redressé à prendre en compte les créances acquises au cours de celui-ci et à retrancher celle acquises au cours de l'exercice précédent mais ne peut pour le premier exercice non atteint par la prescription refuser de déduire les sommes perçues au titre de cette dernière année et dont le fait générateur se rattache à un exercice prescrit. Revenant à la position antérieure à 1973 le Conseil d'Etat réaffirme donc les grands principes fiscaux : la spécialité des exercices pour la détermination du bénéfice imposable et l'inviolabilité des règles de prescription. De surcroît, le Conseil d'Etat pourvoit dorénavant que l'Administration n'est plus en droit d'opérer sur le premier exercice non prescrit la rectification d'erreurs ou omissions trouvant leur source dans des exercices prescrits. Cette jurisprudence, par une approche à la fois préventive et protectionniste, met les contribuables de bonne foi à l'abri des redressements fiscaux portant sur des opérations réalisées au cours d'exercices prescrits, ce qui constitue une réelle avancée au profit des entreprises et accroît leur sécurité juridique et fiscale. Dès lors, les erreurs comptables corrigées dans le bilan de clôture d'un exercice doivent être dans les bilans des exercices précédents qui ont enregistré les mêmes erreurs « alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue notamment aux articles L168 et L169 du livre des procédures fiscales »305(*). Un exemple illustratif permet d'expliquer cette nouvelle position : en 2004, un vérificateur vérifie les exercices 2003, 2002 et 2001. Au titre de l'exercice 2003 il met en évidence que ce contribuable a sous-estimé en 2000 la valeur d'inscription d'un bien à l'actif (non comptabilisation des frais accessoires). Cette omission entache également les bilans des exercices 2002 et 2001. Les conséquences de l'application ou non de la règle de l'intangibilité au regard de la correction symétrique des bilans et du droit de reprise de l'Administration sont les suivantes. Dans le cas de la correction symétrique des bilans non limitée : la correction de chaque bilan est effectuée et ce jusqu'à l'exercice au cours duquel l'erreur trouve son origine, soit 2000. L'Administration fiscale ne peut donc effectuer aucun redressement cet exercice étant atteint par la prescription. Dans le cas contraire c'est-à-dire l'application de la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit : la correction symétrique s'effectue jusqu'à l'exercice 2001 au titre de 2001, l'Administration constate une variation positive d'actif net et effectue un redressement égal à la valeur des frais accessoires omis. Le contribuable ne pourra bénéficier de la correction symétrique des bilans jusqu'au bilan d'origine de l'erreur que si celle-ci n'a pas été commise délibérément. Si tel n'est pas le cas l'Administration fiscale pourra appliquer lors de ces opérations de vérifications, la règle ancienne de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit306(*). Le dernier volet de cette évolution jurisprudentielle est malheureusement « décevant ». En d'autres termes, c'est une véritable réaction « contre révolutionnaire » de l'Administration fiscale qui peut être expliquée par l'importance des contraintes budgétaires307(*)que suscite le principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture. En l'occurrence, cette réaction se manifeste à travers l'article 43 de la loi de finance rectificative pour 2004 relatif à la légalisation du principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture qui dispose : « Dans un arrêt du 7 juillet 2004, le Conseil d'Etat a remis en cause la règle d'intangibilité du bilan d'ouverture mais pas le mécanisme de la correction symétrique des bilans. Le législateur revient sur cette jurisprudence et légalise la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Ainsi pour les exercices ouverts à compter du 1er Janvier 2005 pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous estimation ou une surestimation de celui-ci. En cas d'exercice coïncidant avec l'année civile, le premier exercice concerné par la règle légale de l'intangibilité du bilan d'ouverture est celui ouvert à compter du 1er Janvier 2005 »308(*). Conclusion de la deuxième partie Le Code de Droit et des Procédures Fiscaux confère explicitement à l'Administration la faculté d'établir l'impôt et de rectifier les déclarations. Le principe est que ces opérations s'effectuent dans le cadre d'une vérification respectant la procédure contradictoire. Plus précisément, c'est dans le cadre d'une vérification de comptabilité que le fisc évoque l'application de la théorie de la correction symétrique des bilans et la concrétise via la notification des redressements. Par cette notification l'Administration détecte les erreurs comptables involontaires et les décisions de gestion irrégulières que pourraient les rectifier en exerçant son droit de reprise. Le contribuable concerné peut lui-même prendre l'initiative de demander une rectification symétrique soit par voie de réclamation dans les délais de réclamation, soit en vertu du droit de compensation ou par le biais d'une déclaration rectificative dans les délais de répétition. Toutefois, dans la mise en oeuvre de la correction symétrique, l'Administration et le contribuable ne sont pas placés sur le même pied d'égalité. L'application de cette théorie a pu permettre à l'Administration fiscale d'imposer des recettes qui avaient leur origine dans des exercices prescrits. Mais à l'inverse, l'Administration prive discrétionnairement le contribuable du droit à la correction symétrique du bilan dans un cas où celle-ci pourrait lui être favorable309(*). De surcroît, la théorie de la correction symétrique connaît une importante limite qui résulte de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, théorie élaborée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 31 octobre 1973. Aux termes de celle-ci l'Administration était en droit de prendre en compte dans les résultats du premier exercice non prescrit (faisant nécessairement l'objet du contrôle fiscal), les erreurs ou omissions trouvant leur source dans des exercices qui normalement auraient dû être prescrits, et donc non susceptibles de faire l'objet de redressement à quelque titre que ce soit. Il décide que la règle des corrections symétriques ne doit s'appliquer que pour les exercices autres que le premier exercice non atteint par la prescription. Toutefois, la théorie de l'intangibilité du bilan d'ouverture connaît une double exception. En effet, le Conseil d'Etat a appliqué la théorie de la correction symétrique dans le cas d'un report déficitaire et ce en dérogeant à la limite de la prescription, qui voit l'erreur commise pendant une période prescrite, une erreur couverte par « la loi d'oubli »310(*). De plus, la théorie de l'intangibilité ne peut bénéficier au contribuable lorsque l'anomalie procède d'écritures « délibérément irrégulières ». Il faut tout de même signaler que le « butoir » du premier exercice non prescrit, jouant, le plus souvent, au profit de l'Administration, est fort discutable car il aboutit à la paralysie des règles de prescription et à la méconnaissance du principe de la spécialité des exercices. Vu les graves critiques formulées à son encontre, l'abandon de la théorie de l'intangibilité parait plus que souhaitable. Ce souhait a été vérifié par la jurisprudence française et dénié par l'Administration. Conclusion générale Théorie d'origine française, la correction symétrique des bilans a connu dans ce droit une évolution dynamique. Nous avons choisi d'examiner en détail le droit français où cette théorie a vu le jour au sein du Conseil d'Etat. Ce choix n'est ni arbitraire, ni le fruit d'un hasard. Notre but est de dégager les heurs et les malheurs de cette théorie. Notre souhait est d'appeler à une intervention législative et à défaut une consécration jurisprudentielle qui prend en considération les atouts de la théorie de la correction symétrique des bilans tout en évitant ses imperfections. En effet, si l'erreur entraîne une surestimation ou une sous-estimation de l'actif net d'une entreprise, elle peut être corrigée dans les bilans de clôture des exercices non couverts par la prescription à l'initiative du contribuable ou à celle de l'Administration à la suite d'une vérification de comptabilité et elle doit, corrélativement, l'être aussi dans les bilans d'ouverture des exercices suivants. C'est la logique de théorie de la correction symétrique des bilans, oeuvre prétorienne du Conseil d'Etat français. Cette logique n'est pas vérifiée si vigoureusement en droit fiscal tunisien où on assiste à une consécration timide de la théorie qui se manifeste à travers un fondement jurisprudentiel fragile et à une intervention administrative démuni de valeur juridique. Toutefois, l'application de la théorie de la symétrie des corrections supporte deux limites principales. En premier lieu, seul le contribuable de bonne foi peut en profiter. Cette notion de bonne foi est bien établie en droit français et ceci grâce à une jurisprudence riche. Ce n'est pourtant pas le cas en droit tunisien. En effet, l'Administration a assimilé les erreurs volontaires à des décisions de gestion. C'est une vraie confusion car les erreurs volontaires sont des décisions de gestion irrégulières. De plus, l'Administration voit dans la répétition des erreurs comptables une présomption de la mauvaise foi du contribuable le privant de bénéficier de la théorie de la correction symétrique des bilans. Cette conception est critiquable dans la mesure où l'Administration ne doit pas se contenter seulement de l'existence de la répétition des erreurs pour écarter le mécanisme de la correction, elle doit apporter la preuve fondamentale de la mauvaise foi. En second lieu, la théorie des corrections symétriques doit être combinée avec le régime de la prescription. La jurisprudence française a été amenée à poser une limite importante : la valeur de l'actif net du bilan de clôture du plus récent des exercices prescrits doit être regardée comme définitive. Ainsi, si ce bilan comporte des erreurs au détriment ou à l'avantage du contribuable, ces erreurs ne peuvent plus ultérieurement être réparées. Le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit soumis à vérification est ainsi intangible. Toutefois, le principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit porte atteinte aux principes du droit fiscal. En d'autres termes, on constate une méconnaissance du principe de la spécialité des exercices et une entorse aux règles de la prescription. Il semble que les causes de l'échec de ce principe résident dans le mécanisme même de la théorie des corrections symétriques qui exige le respect de deux principes qu'il est parfois difficile de les concilier à savoir le principe de la spécialité et le principe de la solidarité des exercices surtout lorsqu'on les confronte avec les règles de la prescription. De cet examen du principe de l'intangibilité un souhait de tirer des leçons de l'expérience française est avéré. En fait, le juge fiscal et l'Administration doivent être conscients du risque majeur de ce principe qui peut affecter la vertu de la théorie de la correction symétrique en la détournant de son objectif initial pour lequel elle a été crée. D'autant plus, vu la complexité du mécanisme de la correction symétrique, il est tout de même important de dessiner avec soin son fondement, son domaine, et ses limites. Comme l'a si bien dit le professeur COZIAN « le maniement de la théorie des corrections symétriques - admirable création prétorienne au demeurant - n'est pas toujours aisée et qu'il faut être fiscaliste averti pour en saisir toutes les nuances et subtilités »311(*). Est-ce que la jurisprudence ou le législateur tunisien tiendront compte de ces voeux ? Seul l'avenir nous le dira. * 304 C.E, 7 juillet 2004, req. n°230169. * 305 C.E. 7 juillet 2004 (précité). * 306 Notons que l'application de cette nouvelle jurisprudence est source de difficultés pour l'administration puisqu'il lui appartient d'apporter la preuve du caractère délibéré de l'erreur, ce qui peut s'avérer difficile dans le cas par exemple d'une sous évaluation de stock. * 307 La perte budgétaire en résultant était évaluée en 1987 à 2 milliards de francs pour les caisses de l'Etat. Voir: DE GIVRE (Y), « La théorie des corrections symétriques et de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit », op. cit, p.138. * 308 www. fiscalonline. com * 309 FAKHFAKH (N) : « Le déficit fiscal », op.cit, p. 138. * 310 SERLOOTEN (P) : « Le temps et le droit fiscal », Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, 1997 n°2, p.179 à 201. * 311 COZIAN (M): « Les grands principes de la fiscalité des entreprises », op.cit, p.178. |
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