La théorie de la correction symétrique des bilans( Télécharger le fichier original )par Mohamed Ben Mahmoud faculté de droit et des sciences politiques de TUNIS - mastère en droit des affaires 2005 |
Paragraphe 2 : Vers l'abandon du principe de l'intangibilitéEn théorie, cette règle devrait pouvoir jouer aussi bien en faveur des redevables291(*) que des services fiscaux. Mais dans la pratique elle ne joue, le plus souvent, qu'en faveur de l'Administration. A titre d'exemple, l'Administration peut taxer des profits non déclarés au cours de la période prescrite. Il pourra s'agir de la sous-évaluation d'un élément de l'actif292(*) ou de la comptabilisation au premier exercice non prescrit d'une créance qui avait dû être comptabilisée au cours d'un exercice prescrit. Il pourra s'agir aussi d'une dette provenant d'un exercice prescrit mais qui a été maintenue à tort dans un exercice non prescrit. La correction symétrique permet de la rattacher au bilan de sortie du premier exercice non prescrit, mais le bilan d'entrée de ce même exercice étant intangible, il en résulte une augmentation de résultat de cet exercice293(*). La règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit est également applicable lorsque son application est favorable au contribuable294(*). On peut prendre l'exemple295(*) d'une société dont le stock immobilier avait fait l'objet d'une réduction par constitution d'une provision pour dépréciation reconnue non justifiée. Cette réduction se retrouvait dans le bilan d'ouverture de l'exercice 1975. La société soutenait qu'elle était sans incidence sur les résultats de ce même exercice car la valeur du stock de clôture devait être affectée de la même manière par cette réduction. Le Conseil d'Etat a répondu que la valeur du stock à la clôture de l'exercice 1975 avait été déterminée par évaluation directe opérée par l'Administration et sur la base de l'inventaire dressé par la société elle-même. Cette évaluation directe et réelle n'avait donc rien à voir avec la réduction opérée précédemment à la clôture de l'exercice précédent et à l'ouverture de l'exercice considéré296(*). Mais l'ampleur de la théorie de la correction symétrique n'est pas toujours vérifiée, chose qui peut être démontrée dans les deux situations suivantes : l'omission de certaines charges ou produits et la sous évaluation des éléments d'actifs. Dans le premier cas, l'application de ce principe profitera au contribuable dans l'hypothèse où il aurait omis de comptabiliser des charges durant leur exercice normal d'imputation. Elle permettra, dans ce cas, la déduction de ces charges au titre du premier exercice non prescrit. Mais, à l'inverse, s'il a omis de comptabiliser des produits297(*), l'Administration pourra, éventuellement, les rattacher aux résultats du premier exercice non prescrit. Toutefois, comme l'a souligné le commissaire du gouvernement SHRICKE dans ses conclusions « il est clair qu'en pratique les contribuables omettent plus souvent de déclarer des produits que de déclarer des charges, de sorte que la jurisprudence du 31 octobre 1973 est nécessairement, plus souvent favorable au Trésor qu'au contribuable »298(*). Dans le second cas, si le contribuable a sous évalué des éléments d'actifs, la théorie des corrections symétriques permettra à l'Administration à son tour d'effectuer un redressement au titre du premier exercice non prescrit299(*). Vu toutes ces conséquences désagréables, le droit français n'a pas été si homogène pour admettre le renoncement au principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture (B). Par contre, le droit tunisien a le mérite de n'accepter la théorie des corrections symétriques que si elle est purgée d'un mécanisme fort contestable, celui de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, même si son abandon parait équivoque (A). A/. Renonciation ambiguë du principe de l'intangibilité par le droit tunisienLe droit comptable tunisien ne retient pas la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture. « Le traitement comptable retenu pour la comptabilisation des effets significatifs de changement des méthodes et la correction des erreurs fondamentales abandonnent la règle fortement contestée de l'intangibilité du bilan d'ouverture » 300(*). En effet, la norme comptable n°11 a instauré une nouveauté de grande envergure. Cette nouveauté consiste dans le traitement des changements des méthodes comptables et la correction d'erreurs fondamentales de façon « rétrospective ». Ainsi, l'application rétrospective d'une nouvelle méthode conduit à appliquer la nouvelle méthode aux éléments comptables concernés comme si la méthode avait été appliquée dès l'origine301(*). Le droit fiscal tunisien n'est pas si étincelant pour admettre l'abandon du principe de l'intangibilité du premier exercice non prescrit. Il n'a pas évolué par une jurisprudence abondante en la matière ou par une doctrine administrative qui peut contester le principe de l'intangibilité. On peut seulement se suffire de nier toute tentative de transposition de ce principe et ce, pour une raison primordiale. La règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture risque de se heurter aux dispositions impératives de l'article 26 du CDPF qui interdit catégoriquement à l'Administration en cas de vérification de périodes prescrites, de réclamer au contribuable des impôts supplémentaires au titre de ces périodes302(*). Cette interdiction est absolue. Elle s'étend même à l'exception qui concerne le contrôle des déficits reportés, des amortissements différés ou des crédits d'impôt. En effet, l'Administration est toujours incapable de notifier des redressements supplémentaires au titre des périodes couvertes par la prescription. Si elle permet d'exhumer des exercices prescrits, l'exception prévue par l'article 26 du CDPF se limite uniquement à redresser le montant des déficits fiscaux ou des crédits d'impôt lorsque ces déficits ou crédits sont reportés pour la période prescrite303(*). Le juge fiscal tunisien peut se référer à cet article afin de purifier au mieux l'application de la théorie de la correction symétrique des bilans en éliminant le mécanisme discutable de l'intangibilité du bilan d'ouverture. Le souhait d'une intervention jurisprudentielle se renforce surtout que le mécanisme de la symétrie des corrections, « bénéfique » pour le contribuable, doit toujours être délimité avec précision. Ceci semble le centre d'occupation du Conseil d'Etat français. Toutefois, sa position « révolutionnaire » a été « malheureusement » déniée par l'Administration. * 291 Le Conseil d'Etat a admis qu'un contribuable puissent obtenir la déduction, au titre de la première année non prescrite, d'une charge exposée au cours d'une année prescrite et non comptabilisée à cette époque : C.E. 2 décembre 1977. Dans le même sens, décision du 25 janvier 1984, req. n°34.642, R.J.F., 3/84, p.146. * 292 C.A.A. Bordeaux 19 décembre 2000 n° 97-1986 R.J.F 4/01 n° 441. * 293 De même, peuvent être réintégrées au titre du premier exercice non prescrit les dotations aux amortissements non déductibles du résultat fiscal, alors même qu'elles auraient été comptabilisées au titre d'exercices prescrits. C.E. 28 décembre 1988 n° 57390: R.J.F 3/89 n°260 TA Toulouse 21 mars 2000 n° 95-2632 SA Pierre Fabre: R.J.F, 6/00 n° 752. * 294 Une lecture attentive et à priori exhaustive de la jurisprudence du conseil d'Etat publiée à ce jour montre en effet que dans trois affaires seulement le contribuable a pu se prévaloir favorablement de la théorie de l'intangibilité du bilan d'ouverture. Ce constat est vérifié lorsque le Conseil d'Etat s'efforce de rééquilibrer le jeu de la correction symétrique, ou encore dans le cas où l'Administration, dans certaines espèces, maîtrise mal son application. Voir : LOUIT (C), « Décisions de gestion et erreurs comptables correction symétrique des bilans », op.cit, p.29. * 295 Exemple cité par LOUIT (C), « Décisions de gestion et erreurs comptables correction symétrique des bilans », op.cit.p.28 * 296 C.E., 27 Janvier 1986 précité, n°82. « La situation faite à l'Administration et au contribuable n'est pas égale dans la mesure où la première peut s'affranchir du jeu rigoureux de report des correction opérées à partir du bilan de clôture du premier exercice non prescrit en recourant à des évaluations directes ». * 297 « En cas de contrôle fiscal, les services de l'Administration peuvent procéder à des rectifications symétriques. A ce titre, ils peuvent soustraire les produits (objet de l'omission ou de l'erreur) des produits de l'exercice de leur comptabilisation pour les incorporer aux produits de l'exercice de leur réalisation. », Prise de position (98) du 19 février 1993. * 298 C.E., 13 mars 1981, n°12508, concl. , SCHRICKE (C), R.J.F., 4 / 81, p. 161. * 299 DAVID (C), FOUQUET (O), RACINE (P-F) et PLAGNET (B), « Grands arrêts de la jurisprudence fiscale », op.cit, p.320. De plus, M. BARDET note qu'une créance née au cours d'un exercice prescrit et non comptabilisée pourra faire l'objet d'un redressement de la part de l'Administration fiscale alors qu'une entreprise qui a omis de déduire une charge au cours d'un exercice prescrit ne pourra plus en demander la déduction au titre des résultats du premier exercice non prescrit, sauf dans l'hypothèse où la dette correspondante n'a été comptabilisée ou réglée que sur la période non prescrite. BARDET (H), « Intangibilité du bilan, critiques et propositions », op.cit., p.365. * 300 YAICH (A), « Manuel des principes comptables », Tunis, Raouf Yaîch, 1997, p.559. * 301 Voir sur ce point : - KAMMOUN (Z), « Les implications de la nouvelle législation comptable des entreprises sur le droit fiscal », mémoire de D.E.A., Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, 1999, p.34. - CHAABANE (A), « La prescription en matière fiscale », mémoire de D.E.A., faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis, 2000-2001, p.139 et 140. * 302 L'article 26 dispose que : « Toutefois, ce contrôle ne peut, en aucun cas, aboutir à la réclamation d'un impôt supplémentaire au titre des périodes prescrites ». * 303 CHOYAKH (F), « La correction symétrique des bilans », RCF, n°66, 2004, p.58. |
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