La théorie de la correction symétrique des bilans( Télécharger le fichier original )par Mohamed Ben Mahmoud faculté de droit et des sciences politiques de TUNIS - mastère en droit des affaires 2005 |
Chapitre II : Le « butoir » discutable des corrections symétriques : L'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescritEn France, une importante restriction a été apportée par le Conseil d'Etat à l'application de la théorie de la correction symétrique des bilans du fait de l'opposabilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Etant crée pour concilier le mécanisme des corrections symétriques avec celui de la prescription (section 1), le principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit a échoué sur plusieurs plans, et doit par la suite être abandonné (section 2). Section 1 : La mise en oeuvre du principe de l'intangibilitéPendant longtemps, la Haute Assemblée a considéré que l'amnistie ou la prescription ne faisant pas obstacle à la correction du bilan d'entrée du premier exercice non prescrit, c'est-à-dire en fait du bilan de clôture du dernier exercice prescrit253(*). Cette solution « particulièrement libérale »254(*), a fait couler beaucoup d'encre, dont la principale critique était la possibilité accordée au contribuable de tirer profit de l'erreur qu'il avait commise en excipant de la prescription. Il était souhaitable, dans ces conditions, qu'un « butoir » temporel puisse être fixé à la correction symétrique. Nous réserverons cette section à l'étude du mécanisme de l'intangibilité du bilan d'ouverture (paragraphe 1) et ses exceptions (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Le mécanisme de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescritLe jeu normal de la correction symétrique des bilans devrait par la remontée d'exercice en exercice qu'elle entraîne, conduire dans certains cas, à une modification du résultat d'un exercice prescrit. Or, lorsque la rectification provient d'une insuffisance d'imposition, cela aurait pour conséquence de faire échapper à l'impôt le résultat de la rectification. C'est pourquoi, il convient de corriger la règle de la correction symétrique afin de tenir compte de l'incidence de la prescription.255(*). Le Conseil d'Etat dans un arrêt de plénière en date du 31 Octobre 1973, auquel restera à jamais attaché le nom de Mme. LATOURNERIE, avait consacrée un principe fondamental : les corrections symétriques se heurtent à « butoir » constitué par le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit256(*). Avec cet arrêt, que confirmera à la lettre l'arrêt d'Assemblée du 13 mars 1981257(*), le Conseil d'Etat confirme l'existence de l'exercice butoir, premier exercice non prescrit, sur lequel « buteront » l'ensemble des corrections visant à éviter des sous- estimations ou de la surestimation d'actif net, interrompant ainsi la remontée dans leur temps vers leur exercice d'origine et le droit à la prescription258(*). Le fondement juridique de ce principe est que le bilan de clôture du dernier exercice prescrit était aussi le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, ce bilan d'entrée est considéré comme intangible259(*). Ceci aboutit, en pratique à rattacher au premier exercice non prescrit une rectification qui concerne un exercice prescrit260(*). Ce faisant, ce principe « n'a fait qu'exhumer un courant jurisprudentiel ancien car datant de 1952 que l'on croyait abandonné »261(*). De plus, c'est pour éviter qu'un contribuable puisse se servir de la prescription à la seule fin de corriger symétriquement les rectifications effectuées par l'Administration, sur la période non prescrite, qu'une jurisprudence française est venu affirmer l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, et par conséquent refuser d'appliquer à ce premier exercice non prescrit « le principe du parallélisme des rectifications »262(*). La principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture est également justifié par l'idée que le maintien à tort, du poste de comptabilité litigieux au bilan de clôture du premier exercice non prescrit, constitue en droit, une opération de cet exercice au sens de l'Art 38 I du CGI qui dispose que le bénéfice imposable est le bénéfice net déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Il faut tout de même signaler que le dernier exercice prescrit, qui détermine le bilan d'ouverture intangible, est celui dont l'imposition est devenue définitive en raison de l'expiration du délai de répétition ouvert à l'Administration et non le dernier exercice à l'égard duquel le délai de réclamation du contribuable est expiré263(*). De surcroît, le Conseil d'Etat264(*) a précisé comment devait être déterminé le premier bilan intangible notamment en cas de contrôles successifs: il correspond à l'ouverture de l'exercice pour lequel l'Administration a encore un droit de reprise, dans la stricte limite quantitative de ce droit. On peut donc constater que l'Administration dispose, grâce à ce mécanisme, d'un véritable « privilège » pour la détermination du premier exercice non prescrit265(*). M. SCHRICKE évoquait même, dans ses conclusions précitées, les risques de « machiavélisme » de l'Administration choisissant le moment opportun pour interrompre la prescription par l'envoi d'une notification de redressement. * 253 C.E., 23 janvier 1961 (précité), C.E., 10 juillet 1968, req. n°64769. C.E., 29 janvier 1969, req. n°74290. Cités par PERCEVAUX (R), « Les prescriptions en matière fiscale », Thèse, Université de Paris, 1986, p.409. * 254 Ibid, p.409. * 255 SERLOOTEN (P), « Droit fiscal des affaires », op.cit, p.86. * 256 DAVID (C), FOUQUET (O), RACINE (P-F), PLAGNET (B), « Grands arrêts de la jurisprudence fiscale », op.cit. p.316. * 257 Il s'agissait dans cette affaire d'un établissement financier qui comptabilisait à la clôture de l'exercice non seulement les intérêts échus sur les crédits qu'elle avait accordés, mais encore les intérêts connus pendant l'exercice ainsi le veut la règle de la spécialité des exercices comptables. * 258 AMEDEE-MANESME (G), « Principes et pratiques du droit fiscal des affaires », op.cit.p.154. * 259 « ....la valeur d'actif net du bilan d'ouverture du plus ancien exercice non prescrit est intangible car elle est identique à la valeur d'actif net résultant du bilan de clôture du dernier exercice prescrit. Or cette valeur doit être considérée comme définitive car elle a servi à asseoir une imposition devenue définitive », in SERLOOTEN (P), « Droit fiscal des affaires », op.cit, p.86. * 260 C.A.A. Nancy 23 octobre1990, n°1.051 et 1.052 ; R.J.F. 3/1191 n°339, cité par TORREL (R), « Les clés du contrôle fiscal par la jurisprudence », Paris, Maxime, 1995, p.253 * 261 DE GIVRE (Y), « La théorie des corrections symétriques et de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit », op.cit, p.134. En effet, « une volonté d'encadrer cette possibilité de rectification symétrique dès 1952, le conseil d'Etat avait admis la possibilité pour l'administration de redresser, sur une période non prescrite des variations d'actifs net non prises en compte au titre de la période prescrite (C.E., 20 décembre 1952 n° 86821, RO P. 141 C.E., 27 Octobre 1958) », in, SOLLIER (J), DE LA RUE (C), « Une application critiquable de la théorie de l'intangibilité : la réintégration au titre du premier exercice non prescrit du coût d'acquisition d'une immobilisation passée à tort par frais généraux », op.cit., p.433. * 262 KORNPROBST (E), « La notion de bonne foi application au droit fiscal français », op.cit. p.223. * 263 « Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions (CGI art 1932-1, 1966-1 et3) qu'une imposition ne devient définitive qu'à l'expiration du délai de répétition ouvert à l'Administration et non du délai de réclamation ouvert au contribuable ». C.E. 2 mars 1977, req. n°97397, D.F., 1977 ; n°23, comm.885. * 264 C.E. 14 juin 1989, req. n°54770. Société industrielle et commerciale de l'ouest de France, cité par LOUIT (C), « Décisions de gestion et erreurs comptables correction symétrique des bilans », op.cit. p.30. * 265 DAVID (C), FOUQUET (O), RACINE (P-F), PLAGNET (B), « Grands arrêts de la jurisprudence fiscale », op.cit. p.318. |
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