5.1.2. Face à la pluralité de mémoires
au Québec
Contrairement à nos attentes, la pluralité des
mémoires revendiquées au Québec n'est aucunement
perçue chez les leaders africains et afro-descendants comme un obstacle,
ni même comme un facteur de complexification. Loin de là, ils se
représentent leur revendication comme étant parfaitement
alignée sur la logique de toutes les autres revendications :
certains le perçoivent comme faisant partie intégrante des
droits des minorités, le comparant même aux droits des
autochtones, et d'autres le perçoivent comme un simple
rétablissement de la vérité des faits historiques. Ils ne
revendiquent pas un statut particulier comme les autochtones - qu'ils ne
perçoivent d'ailleurs pas comme privilégiés et ne prennent
pas ombrage de leurs «réserves». Les requêtes des
Africains et Afro-descendants sont fondamentalement
différentes :
Pour les Noirs c'est autre chose: on ne demande pas des
positions privilégiées, on demande qu'on nous reconnaisse des
choses qui ont été faites. D'ailleurs tout le monde pense que
tous les Noirs sont des imbéciles ; on n'entend pas parler des Noirs qui
sont des inventeurs. Les Blancs, les Occidentaux apparaissent comme si ce sont
eux qui sont les maîtres du monde, comme si ce sont eux qui ont tout
inventé. Ce n'est pas vrai: ils ont récupéré
beaucoup de choses (HTI01).
Pour d'autres leaders, la pluralité n'annule pas la
singularité, et l'égalité des droits qui est
évoquée pour demander un traitement égal aux autres
groupes composant la société, n'est pas à être
interprétée comme une similarité : la comparaison aux
autres cas exclut le mélange des cas.
À mon avis, c'est difficile d'essayer de faire des
groupements, c'est-à-dire grouper ça d'un coup et dire «oui:
les Chinois, les Indiens et les noirs vont se regrouper», non. Chaque
communauté a eu ses problèmes de façon différente,
a été discriminée de façon différente, a
été traitée de façon différente. Il revient
à chaque communauté de revendiquer (AFR01).
On retient comme fond commun à tous ces discours que la
multiplicité des revendications de mémoires qui ont cours au
Québec et au Canada n'hypothèque en rien la démarche des
Afro-Québécois. Ils se représentent comme un groupe
minoritaire ayant des revendications historiques légitimes et même
nécessaires pour leurs communautés, revendications qui sont
elles-mêmes représentées comme utile à l'harmonie
dans le reste de la société. Elles demandent donc à
être formulées et portées sur les lieux de pouvoir,
là où elles auront réponse, c'est-à-dire le terrain
politique, mais pas sans défis.
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