4.1.2. La contribution à l'histoire du
Québec
Si l'on met en perspective le facteur «immigration»,
on comprend que la différence revendiquée est un marqueur
d'identification, mais pas nécessairement un marqueur
d'identité. L'extériorité par rapport à
l'histoire du Québec est à peine assumée qu'on cherche
à la dépasser. En effet, comme nous l'avons vu dans le cadre
d'analyse (allégorie du bateau de Thésée), la
différence en matière d'identité n'est pas
toujours un état statique et figé ou définitif. Les
leaders n'ont semblé voir aucun paradoxe dans le fait de revendiquer
à la fois leur particularité historique et leur statut de
«partie intégrante» de l'histoire du Québec. Dans ce
cadre, même si la nuance entre histoire et
mémoire fut éludée lors des entrevues pour les
besoins de l'enquête, elle s'impose à nouveau : ce qui est
apparemment revendiqué par les leaders africains et afro-descendants,
c'est la mémoire, avec toute sa charge affective et subjective, mais pas
nécessairement - ou exclusivement - l'histoire, leurs
histoires, nationales, ethniques ou raciales, diverses et variées. L'un
d'eux dira par exemple :
I think I have played different roles in Quebec. I feel I
am part of the reforming, I'm feeling part of the development of the history,
the progressive history of Quebec. So yes, I feel that part of me, because part
of, most of my life has been in Quebec, so I feel a sense of belonging, I feel
a sense of, I'm part of that history, I'm part of that formation
(ANG04).
Dans cette logique, la durée de leur expérience
québécoise devient un paramètre fondamental quant au
sentiment de participation à l'histoire globale du Québec. Nous
le verrons, dans les lignes qui suivent, à travers la variation de
discours entre Haïtiens et Africains. Nous avons constaté que le
temps prolonge la mémoire vers un sentiment nouveau, celui de la
participation (active), de la contribution, pour dépasser la
différence (statique) ; ce sentiment grandit avec le nombre des
années et des expériences vécues au
Québec :
Maintenant, notre histoire aussi est liée à
l'histoire contemporaine du Québec. C'est-à-dire ce qui a
marqué les Québécois nous a tout aussi bien
marqués : que ce soit l'Expo, que ce soit... l'arrivée du PQ
au pouvoir, que ce soit le référendum, nous sommes tous
marqués par cette histoire contemporaine. Nous, nous nous sentons
peut-être beaucoup moins liés, tout en comprenant aussi que les
Québécois se souviennent de cette histoire de 350 ans, si notre
histoire ne s'enracine pas aussi loin ici, donc quelque part pour moi, nous
sommes en train de participer à la construction d'un Québec de
demain (HTI03).
En dépit de cette logique, les leaders africains,
immigrés bien plus récemment et n'ayant participé à
aucun des grands moments de l'histoire québécoise, affichent
pourtant la même volonté d'identification, au prix de se doter
d'un symbole identitaire, d'un point d'ancrage historique plus
éloigné et plus large encore, mais profondément
québécois :
...je commence à sentir après toutes ces
années que le Québec m'appartient aussi. On dit que quand Samuel
de Champlain était venu, Mathieu Da Costa était là avec
d'autres, qui étaient des interprètes ; nous avons conquis aussi
le territoire à travers ces Noirs là. Et vu que moi je sais que
je n'irais plus vivre en Afrique, mon nouveau pays, c'est ici. Donc, j'ai
besoin de racines. Sinon, je vais fonctionner à moitié. Et en
connaissant mieux l'histoire, je me dis que, à quelque part, nous avons
une histoire commune (AFR04).
On observe dans ce discours un appel de reconnaissance de la
contribution de ce «nous» africain et afro-descendant à
l'histoire québécoise. Reste désormais à
déterminer concrètement le contenu de cette contribution. Quels
sont les faits et événements qui sont objets de cet appel
à la reconnaissance?
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