Quel questionnement philosophique sur les conflits en Afrique ?( Télécharger le fichier original )par Emmanuel MOUTI NDONGO Grand seminaire - Fin cycle de philosophie 2006 |
CHAPITRE 6LES CAUSESIDENTITAIRES ET CULTURELLESSouvent négligée ou même ignorée, la question de l'identité et de la culture se révèle aujourd'hui comme le berceau des conflits en Afrique. La considération que l'Africain a de lui-même et le regard qu'il pose sur son frère caressent des éruptions de violence. Celles-ci se situent au niveau intersubjectif, ethnique et religieux. II.6.1. le repli sur soi et le rejet de l'altéritéL'Africain est soumis dans la relation qu'il entretient avec l'autre à des égoïsmes. Les échanges qu'il a avec son semblable sont marqués et teintés d'individualisme et du rejet de l'autre. Pour l'homme africain, l'autre est un ennemi et non une source d'enrichissement et d'épanouissement. C'est pourquoi, il cherche à assimiler son frère, à l'absorber et même à l'annihiler. L'Africain cherche au quotidien par tous les moyens nécessaires à se conserver, il « trouve son compte dans le malheur d'autrui »33(*), la disparition de celui-ci fait sa prospérité. A l'égard de l'autre, l'Africain entretient des préjugés dévalorisants et dégradants qui, loin d'élever son frère, le rabaissent et le diminuent. Tout ceci vise à ravaler le mérite que l'autre peut avoir. Chacun se croit au-dessus de l'autre et entretient un complexe de supériorité et une grande outrecuidance34(*). Ceci est une attitude réciproque que les hommes africains ont entre eux. Les différences et les divergences sont plutôt des fonds de commerce pour des oppositions et des luttes violentes. Ainsi, naissent des rivalités incessantes qui se justifient par le fait que l'Africain n'admet pas que l'homme dans sa constitution métaphysique est limité et imparfait. Il est nécessaire pour lui de s'ouvrir à l'altérité pour être finalisé et atteindre son accomplissement. L'homme africain refuse d'admettre l'autre, de le reconnaître comme son semblable et son alter ego. Il se replie et se referme sur lui-même. Il ne reconnaît pas l'autre comme personne humaine et le regarde à travers le prisme déformant d'un subjectivisme déshumanisant et diabolisant35(*). Chacun voulant valoriser son humanité et exprimer son instinct de conservation, l'Afrique ne peut que se transformer en pugilat géant. II.6.2. Le mythe de la culture et de la tribuA la suite de l'enfermement sur soi qui caractérise l'Africain, la question tribale et culturelle, manifeste de façon retentissante les égoïsmes de l'homme africain. L'allégorie et l'amplification que l'Africain cultive autour de sa tribu et de sa culture est une donnée essentielle dans la compréhension des facteurs qui agitent l'Afrique36(*). En effet, l'Africain tient à sa culture, à sa tribu et ne s'en cache point. Il voue à celle-ci un véritable culte. Faisant d'elle un mythe, l'Africain pense que la culture à laquelle il appartient est supérieure à toutes les autres et ne peut rien recevoir d'elles. Convaincu de la pureté et du caractère immaculé de sa culture, l'homme africain s'enferme dans celle-ci et s'oppose à toute ouverture. Il pense que c'est sa culture qui devrait être imposée aux autres. Ce refus de l'interculturalité enferme l'Africain dans un isolement culturel ; réalité qui ne peut que renforcer les clivages entre les peuples et accroître le sectarisme, le népotisme et le tribalisme. Cette exacerbation de la conscience culturelle nourrit chez l'Africain le préjugé ombilical. Celui-ci fait croire que les autres cultures relèvent simplement du barbarisme. C'est pourquoi au niveau social, chacun « se sent une responsabilité extrême pour sa région [culturelle] et s'emploie à la développer de façon préférentielle »37(*) au détriment des autres. Même le partage d'une aire géographique par des tribus de cultures différentes n'est pas sans oppositions. Ressemblant davantage à un dîner avec le diable, ces ethnies ne partagent ni les valeurs, ni les émotions encore moins des productions spirituelles. La réticence très vivace à donner sa fille en mariage dans une entité culturelle autre que la sienne illustre cette hostilité ad libitum. C'est cette animosité que le poète a entrevue quand il écrit : « Le kota n'aime pas le téké Qui n'aime pas le vili Qui ignore le Kassaï Ils ont la chrétienté Qui les rattache à Rome »38(*) mais point à l'Afrique leur mère. Cette coloration ethnique et culturelle des relations entre africains « dresse des barrières de préjugés qui renforcent l'isolement social »39(*) et qui entretiennent les antagonismes dans les rapports quotidiens. La diversité et la différence culturelles qui doivent être des sources d'enrichissement humain sont plutôt des armes d'opposition. * 33 J.-J. ROUSSEAU,
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi
les hommes, Paris, * 34 Ceci s'illustre par le
mépris et la condescendance que les uns ont vis-à-vis des autres.
Chacun voulant * 35 L'Africain se prend
pour la norme et le nombril du monde à partir de desquels tout devrait
se rapporter. * 36 Chaque Africain
considère la culture et la tribu auxquelles il appartient comme des
acquis hérités d'une * 37 Z. BERE,
« Quelle culture pour le devenir de l'homme aujourd'hui en
Afrique ? », in G. Ndinga, * 38 TCHIKAYA U TAM'SI
cité par J. P BIYITI BI ESSAM, « Le défi de la
vie », in G. MENDO ZE, * 39 G. MENDO ZE,
« Le défi des mentalités », in G. MENDO ZE,
20 défis pour le millénaire, Paris, |
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