II- Les conséquences de l'acculturation
A partir des causes que nous avons évoquées,
nous pouvons en déduire que l'acculturation est un mal pour l'Afrique et
qui prolifère sans bruit Nous allons voir les changements
engendrés par l'acculturation qui touchent non seulement l'individu mais
aussi l'environnement social et surtout la culture.
1- La perte de l'identité
La conséquence de l'acculturation sur l'individu est
phénoménale car elle attaque directement la psychologie de la
personne et on assiste soit à une perte partielle de son
identité, soit à une perte totale. Mais dans tous les cas, la
victime est toujours entre deux cultures différentes,
africaine et européenne, et soit il se balance entre la culture des
colonisateurs et sa propre culture, soit il est complètement
désorienté et étranger aux deux cultures qu'il ne saura
plus vraiment où est sa vraie place dans la société
traditionnelle ou moderne. Qu'ils soient grands ou petits, hommes ou femmes,
tous ont tendances à changer de mode de vie, et dans ce roman de Mongo
Béti, on assiste à une déculturation19, mais
aussi à une reculturation qui est le retour vers une culture
originelle.
Parmi tous les personnages du roman, Medza est le plus
touché par cette perte de l'identité puisqu'il est allé en
ville et cela depuis son plus jeune âge pour étudier dans les
écoles coloniales. Par rapport aux jeunes de même âge que
lui mais qui sont restés dans la brousse, il est bel et bien très
avancé intellectuellement car il a passé toute son enfance et
toute son adolescence à étudier. Du coup, il n'a plus eu le temps
de savourer sa jeunesse parce que l'école l'avait tout pris. Il
n'était donc en contact avec la vie traditionnelle que rarement, plus
précisément pendant les vacances où il rentrait chez lui,
d'où le fait qu'il ne comprenait que peu de chose de cette vie. Medza
n'a plus rien à voir avec un africain, sauf sa couleur, et se comportait
exactement comme un Blanc. Si un africain se réservait en signe de
respect face à un aîné qu'il soit Blanc ou Noir, Medza lui
n'a aucun complexe devant les autres et ose les tenir tête jusqu'au bout.
C'est ce qui s'est passé entre lui et Kritikos le grec qui tout le long
du trajet vont discuter, ce qui est chose inimaginable puisque ce n'est pas
tous les jours que l'on puisse voir un petit Noir s'engager dans un
débat avec un Blanc (p.16). Son geste est même poussé
jusqu'à l'arrogance puisqu'il se croit tout permis avec ses
connaissances et prend la parole au village pour défendre sa cause. Dans
le roman, c'est lui le seul jeune ayant osé faire cet acte, et le plus
étonnant c'est la réaction des grandes personnes, plus exactement
des hommes, face à ce qu'il avait fait. Comme nous le savons, les femmes
et les enfants n'ont pas droit à la parole dans cette
société, et toute personne transgressant cette règle sera
sévèrement punie ; or ils se sont laissés faire sans
aucune réaction violente de leur part. On assiste donc ici à un
commencement du non respect de la tradition dans les deux camps,
c'est-à-
19 Dégradation culturelle sous l'influence d'une culture
dominante
dire chez les jeunes et chez les adultes. Si Medza ne suit
plus les règles, les grandes personnes eux déforment cette
sagesse traditionnelle afin de tirer des profits personnels. L'amitié,
la fraternité sont devenues par exemple des moyens pour faire d'une
personne ce que l'on veut, autrement dit comme un chantage. C'est ce que le
chef de village de Kala fait lorsqu'il a besoin de quelque chose auprès
des autres (p.178). Le père de Medza lui joue sur la
générosité pour avoir des bénéfices en
prêtant son argent à ceux qui en ont besoin mais qui n'en ont pas.
Ne pouvant pas rembourser, l'équivalent de la somme est rendu soit sous
forme de grand service à longue durée indéterminée
en travaillant au champ de cacao, soit le père de Medza usait du troque
en prenant les bétails à prix cassé (solde) en
échange de la somme due pour être revendus au prix
élevé en ville (pp.233-234). Toute la mentalité des Noirs
est alors en train de se transformer à cause de leur ambition
démesurée. La fierté n'est plus alors d'être un
simple Noir, mais être un Noir vivant et ressemblant aux Blancs que ce
soit au niveau professionnel ou intellectuel car être comme un Blanc
c'est l'idéal, c'est automatiquement avoir réussi sa vie, tandis
que rester en tant que Noir conservateur sous-entend tout le contraire. Il est
donc impératif de changer de mode vie si l'on veut réussir dans
la vie et devenir riche. C'est la raison pour laquelle les parents poussent
leurs enfants « comme on pousse des troupeaux vers un abattoir
» (p.23 1) vers les établissements coloniaux afin qu'ils
puissent bénéf icier de tous les atouts pour réussir leur
vie. Dès qu'ils optent pour ce chemin, une partie de leur
identité s'effaceront pour faire place à une nouvelle qui est
l'opposée de l'autre. Tel est le prix à payer pour vouloir
réussir sur ce chemin et par conséquent, chacun agira selon
l'enseignement qu'il a reçu. Ceux qui choisiront l'école comme
Medza seront amenés à obéir et agir selon les disciplines
de l'enseignement en appliquant non plus la pensée et la logique
africaine mais uniquement la logique cartésienne. Les autres qui n'ont
pas choisi la voie de l'école iront vers l'armée où ils se
soumettront à tous les ordres qu'on leurs donneront. Dans cette
institution, on obéi sans penser ni discuter ; la seule chose à
faire c'est exécuter les ordres de son supérieur sans se poser de
questions. La raison n'a
pas sa place dans l'armée surtout pour les simples
soldats non gradé qui sont en majorité des Noirs car leur
situation ne le permet pas.
Si le Noir n'est pas rentré ni à l'école
ni à l'armée, il lui reste encore la voie du Seigneur,
c'est-à-dire la religion chrétienne. Ici aussi il n'est pas
question de discuter puisqu'il n'y a rien à discuter concernant Dieu. Le
Noir est conduit à aller vers le bon et le droit chemin en adoptant la
religion chrétienne qui est monothéiste et en laissant
complètement tomber leur religion traditionnelle qui est
polythéiste. La religion importée apparaît comme un moyen
de persuader les populations d'accepter le nouvel ordre que le colonisateur
leur impose par l'intermédiaire de Dieu. La personne est donc
transformée par la foi, et là encore il ne sera plus comme les
autres puisqu'il va aller à l'église et sera qualifié de
chrétien croyant et/ou religieux.
Toutefois, si on avait développé que
l'acculturation provoque la perte de l'identité par l'influence d'une
autre culture, définit par déculturation, elle peut aussi
entraîner la reculturation mais cela par la volonté de
l'individu.
Comme on avait mentionné auparavant, Medza est le
personnage le plus acculturé dans le roman puisque lui avait
habité en ville et a fréquenté l'éducation
européenne. Mais lorsqu'on analyse le parcours du héros, on
constate que son voyage à Kala pour retrouver et ramener l'épouse
Niam n'est qu'un prétexte ; sa vraie mission est en fait de rechercher
et de retrouver sa vraie identité qu'il avait perdue à cause de
l'école. Grâce à son voyage à Kala, il a pu, par
exemple, pour la première fois fréquenter des adolescents de
même âge que lui tout en découvrant la joie de vivre dans la
jeunesse, c'est-à-dire goûter (pour la première fois)
à tout comme le sexe, l'alcool et les fêtes entre jeunes.
Même sous la forme de débauche, Medza a pu savoir ce que c'est la
solidarité entre ami ; mais cette solidarité est poussée
encore plus loin avec ses entretiens avec l'oncle Mama (pp.124-1 26) car il y a
encore ce qu'on appelle la « communauté du sang » qui
lie involontairement tout le monde par le sang même sans avoir un seul
lien de parenté. A part la solidarité, à Kala, Medza a
vraiment su ce qu'est l'hospitalité des gens de l'arrière pays,
surtout celle de l'oncle Mama qui d'après Bikokolo « [...] ne
se compare à aucune autre ; [...] » (p.31). Effectivement,
Medza ne manqua de rien, surtout au niveau de
l'alimentation, pendant son hébergement chez l'oncle
Mama. Cette hospitalité envers Medza est aussi perçue chez les
autres familles bien qu'elle se présente sous la forme d'invitation dans
le but de se faire considérer par les autres puisque inviter Medza chez
soi, avoir un hôte intellectuel est devenu un grand honneur (p.122) car
il est très estimé et est considéré comme un dieu
favorable, que l'on ne jure plus que par son nom dans chaque foyer (p.74).
C'est aussi à Kala que Medza a pu découvrir ce
qu'est vraiment la vie à la traditionnelle, différente de ce
qu'il a vécue en ville. Pendant tout son séjour, il a pu observer
la vie quotidienne et monotone des villageois qui se résumait à
travailler les champs à la machette du matin jusqu'au soir pour vivre.
Toutefois même si c'est une dure vie, Medza en est fasciné car
comparé à ce qu'il a enduré en ville, la vie à la
campagne n'est rien ; pour lui, elle est le symbole de la pureté, le
dernier paradis sur Terre car elle est encore éloignée de la
modernité et de ses problèmes. Mais Kala ne va pas
échapper à cette modernisation ; un commencement de
déformation de la culture originelle est déjà
aperçu.
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