2- Déracinement culturel
La venue de la culture européenne dans la vie des
africains a transformé beaucoup de choses. Dans le roman, deux domaines
bien distincts sont touchés par cette transformation dont
l'éducation et le mariage.
Depuis l'introduction de la culture européenne en
Afrique, l'éducation n'est plus la même car elle subit aussi la
pression venant de la culture dominante. Comme nous l'avons mentionné
auparavant, les parents sont de plus en plus intéressés par
l'éducation européenne et ont tendance à délaisser
l'éducation traditionnelle. Les parents se tuent à tout faire
pour pouvoir envoyer leurs enfants dans une école coloniale. Par
conséquent, dans les brousses, les vieux ne trouvent plus d'enfant
à qui transmettre leurs précieux savoirs qui se transmettaient
depuis toujours de bouche à oreille. Or les connaissances acquises
venant de l'école coloniale n'ont rien à voir avec celles
délivrées des vieux du village et ne sont d'aucune utilité
à la réalité de l'Afrique sauf si, plus tard, le jeune est
admis dans une institution.
Si auparavant donc les enfants se cultivaient à partir
des conseils des vieux, dans le roman, il n'en est plus de même car
l'arrivée de Medza à Kala va changer le cours de l'histoire.
Complètement désintéressé des vieux, les enfants se
ruent vers Medza pour apprendre à lire, à écrire et
à faire les quatre opérations. Tellement ils ont soif de
nouvelles connaissances qu'ils se sont amenés avec les matériels
nécessaires comme des livres et des ardoises, et ne laissant aucun
répit à Medza car dès la matinée il étais
pris d'assaut (p.129). L'élève qui a échoué
à son examen de baccalauréat est donc devenu un enseignant
arrivée à Kala, et est toujours considéré comme le
grand intellectuel du village. A partir de ce fait, c'est-à-dire
enseigner les enfants, nous pouvons dire que Medza a pris la place des vieux en
leur prenant le rôle qu'il leur été attribué depuis
toujours face aux enfants. Les vieux sont donc temporairement remplacés
par Medza dans le domaine de l'enseignement et ils se laissent faire. Si les
enfants veulent s'instruire, les grandes personnes eux sont aussi comme eux
parce que malgré leur âge, ils sont toujours avides de
connaissances et sont surtout curieux de savoir ce qui se passe en dehors de
Kala ; C'est la raison pour laquelle Medza se fait toujours inviter par les
pères de famille de Kala. Tous les jours, les conférences de
Medza s'ensuivent chez différentes familles, et à chaque fois il
y a toujours plein de monde, l'auditoire gagne en nombre et en
variété puisque tout le village est mobilisé par la
situation ; on voit de plus en plus des jeunes gens, des enfants et même
des femmes. Tout cela pour dire que tous, sans exception, sont
intéressés par les informations (nouvelles pour eux)
apportées et développées par Medza. Nous pouvons justifier
cela quand Medza était en train d'exposer à l'auditoire la
Russie. Tous étaient intéressés sur le sujet que tout le
monde enviait le mode de vie des russes, chacun donnait leur point de vue sur
le sujet et rêvait d'avoir la même vie qu'eux (pp.98-100). Si face
aux enfants Medza est devenu le maître, face aux grandes personnes, il
est devenu en quelque sorte le patriarche, le chef de village puisqu'il est
écouté de tous. Medza occupe donc une place spéciale dans
la hiérarchie traditionnelle à Kala puisqu'il est placé
audessus de tous alors que sa situation matrimoniale ne devrait pas le
permettre d'avoir ce privilège. Medza était donc comme le
patriarche aux yeux des
villageois, et le plus impressionnant c'est que même le
chef de village éprouve un grand respect envers lui et le
considère comme son supérieur. Lors de la cérémonie
de mariage du chef par exemple, le chef s'est donné la peine de recevoir
en personne l'oncle Mama, Zambo, mais surtout Medza, qui sont
considérés comme d'importants invités d'honneur. Comme dit
le texte sur ce sujet :
« A notre entrée, le chef se leva avec
empressement et vint à notre rencontre, comme si nous avions
représenté auprès de sa majesté une grande
puissance digne de toutes les préséances. [...] les gens
s'étaient tus en nous voyant arriver. Le chef me promena à
travers la salle et me fit toucher la main de tous les assistants [...]
»
(p.183).
Et pour montrer qu'il a affaire à d'importants
personnages, le chef est même allé jusqu'à donner les
meilleures places à ses invités de marque, et veilla à ce
qu'ils ne manquent de rien. Et en parlant de mariage, on constate aussi qu'il
n'est plus le même depuis l'arrivée de la culture occidentale en
Afrique.
En Afrique, la polygamie est de tradition. C'est pourquoi,
dans le roman on retrouve des hommes qui ont en leur possession plusieurs
femmes comme le
cas du chef de canton qui « possédait les six
plus belles femmes de la région et s'apprêtait à en
acquérir d'autres » (p.34), et le chef de village de Kala
« qui venait d'épouser une femme - sa septième
[...] » (p.177). Et entre ces femmes
qui ne se partagent qu'un seul homme, tout va pour le mieux,
elles vivent en parfaite harmonie et aucune ne s'en plaint de sa situation,
aucune ne songe au divorce, du moins avant l'arrivée des Blancs. C'est
donc à partir de la venue des Blancs que tout a changé car si
auparavant aucune femme ne quittait son mari, dorénavant on voit des cas
de divorce. D'après le roman, les Blancs ont
décrété, en imposant leur loi tout en intégrant
avec, une partie de la tradition africaine que, désormais « [...]
une épouse pouvait quitter son mari - à la condition
toutefois de lui rembourser sa dot. » (p.208). C'est ce qui
s'était passé pour l'épouse Niam qui avait quitté
son mari pour un autre. Et pour être en règle envers la loi et
surtout aux yeux des villageois, l'amant doit payer la dot qui
s'élève selon la loi à deux mille francs
pour avoir pris la femme de Niam ; c'est donc là la partie
imposée par la loi coloniale, mais elle peut changer car si l'amant n'a
pas les moyens de payer en espèce, la somme sera remplacée par
quatre gros béliers ou deux jeunes brebis : c'est le règlement
traditionnel qui est mis en vigueur ici. Avec tout ce qui a été
évoqué donc, on peut dire que le mariage, voire les femmes ne
sont plus les mêmes, car l'arrivée de cette loi, d'après le
chef, « rend les femmes désobéissantes, mauvaises
épouses » (p.208) car plus rien ne les retiennent et elles
peuvent quitter leur mari à tout moment. Le mariage s'est donc
modernisé avec la venue de cette loi ; mais ce qui n'est pas
évoqué dans le roman alors que le cas existe bel et bien dans la
réalité c'est que lors du mariage, le maire demande aux
époux quelle option ils choisissent « Polygamie ou Monogamie
». L'option choisie est alors inscrite sur l'acte de mariage. Si le couple
choisi la monogamie, l'homme n'a plus le droit d'avoir une autre femme, tandis
que si le choix est la polygamie, il a le droit d'épouser d'autres
femmes. Et puisque tout se tend à se modifier et à se moderniser,
l'environnement est aussi en train de changer de forme.
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