3- L'attrait de la ville
La présence de la ville est l'une des causes de
l'acculturation. L'exode rural, c'est-à-dire la migration
définitive des habitants des campagnes vers les villes accentue
rapidement le phénomène d'acculturation car qui dit ville suppose
modernité et nouveauté, donc s'oppose totalement à
tradition et
16 « il mêlait d'une façon très curieuse
les notations réalistes à la légende, (...) »
Mission Terminée, p.30
campagne ou « arrière-pays » comme Kala
; or de plus en plus de personnes sont attirées par la ville pour
plusieurs causes.
Dans le roman, l'une des principales causes qui oblige les
paysans à se déplacer vers la ville est l'insuffisance, voire
l'absence d'une infrastructure comme l'école européenne. Ceux qui
veulent suivre des enseignements à l'européenne seront
obligés de quitter la campagne et devront s'installer en ville car dans
la majeure partie des cas, les villages sont éloignés de
plusieurs kilomètres de la ville où pourrait se trouver une
école. Toutefois, cette longue distance à parcourir ne
découragea point les Noirs car
« Des villages de brousse, éloignés de
plus de cinquante
kiomètres, arrivaient de tout jeunes enfants,
conduits par leurs
parents, pour s'inscrire à une école, n'importe
laquelle.» (p.23 1).
Ce voyage de l'individu Noir de la brousse vers la ville
signifie tout simplement le passage du traditionnel vers la modernité,
mais aussi et surtout de la culture originelle vers une
déculturation17 même si son objectif est autre que
d'étudier dans une école. Ce qui est sûr c'est que la vie
dans cette nouvelle société moderne l'oblige à suivre
certaines règles et conventions qu lui permettront de s'adapter dans ce
« monde qui ne lui appartient pas, un monde qu'il n'a pas fait, un
monde où il ne comprend rien. »(pp.250-251). Plus l'individu a
été introduit très tôt dans ce nouvel univers comme
le cas des enfants livrés à l'école dès leur plus
jeune âge, et y restera longtemps, plus il s'habituera à cette
nouvelle vie et l'adoptera pour ne plus rien retenir et/ou se souvenir de sa
vie antérieure à la fin ; nous assistons alors à un cas
d'assimilation18 que l'on peut retrouver dans les comportements de
Medza qui diffèrent beaucoup de ceux qui n'ont pas été en
contact avec la ville, ici Ongola, et qui sont restés dans les villages
lointains comme Kala. Toutefois, nous ne pouvons pas dire que le village natal
de Medza est aussi un village identique à Kala qui suit encore les
traditions sans trop de déformations car ce n'est plus un village
isolé mais un village rural que l'on appelle milieu
détribalisé c'est-à-dire un village qui ne suit plus les
règles des tribus, donc plus avancé que Kala.
17 Dégradation culturelle sous l'influence d'une culture
dominante
18 Abandon de son identité culturelle pour adopter la
culture dominante
Si la recherche d'une école est l'une des raisons qui
attire les paysans vers la ville, la ville est aussi le dernier lieu de refuge
pour fuir les durs travaux des champs à très faible rendement et
les mauvaises conditions de vie. Tous veulent quitter la campagne pour avoir
une vie meilleure en ville car cet endroit est pour eux signe de richesse et de
réussite, et ils croient surtout que la ville va leur procurer
facilement leurs bonheurs ; or ce n'est pas le cas parce que tous paysans
n'ayant pas étudié à l'école européenne
ignoreront des règles à suivre dans cette nouvelle culture
moderne pour avoir un peu de respect envers les autres et afin de vivre sans
trop de difficulté. Par conséquent, ils seront voués
à un échec et n'auront aucune chance de survivre. Ils seront
écrasés car ils sont tout simplement des ignorants aux yeux des
Blancs qui détiennent le pouvoir, mais aussi des Noirs
éduqués à l'européenne qui veulent aussi avoir une
bonne place dans la société. A leur arrivée en ville
alors, ils seront tout simplement rejetés, ignorés et mis
à l'écart par ce nouveau monde civilisé. Devenu
individualistes par la vie en ville, plus aucun lien que ce soit familial ou
fraternel ne pourra réunir les Noirs entre eux en ville ; « la
communauté du sang » qui depuis toujours liait en bloc tous
les Noirs dans une grande et même famille n'existe plus. Tout de
même, certains, comme les amis de Medza doutent déjà ce qui
pourra leur arriver quand un jour, à l'improviste, ils le rendront
visite en vi l le.
Dans le roman, si seul le personnage principal, Medza, est
attiré par le charme de la campagne qui est encore pure, intacte, calme,
..., tous les autres que ce soit les grandes personnes ou les jeunes, les
hommes ou les femmes sont fascinés par la ville et veulent fuir la
campagne. Pour les femmes, cette envie de découvrir la ville est
seulement annoncée par la petite amie de Medza, Edima, qui le questionne
sur son départ, pour en arriver au but : la ville (p.150). Si cette
envie des femmes d'aller en ville s'exprimait par la parole et se faisait
indirectement, dans une stricte intimité, chez les hommes, ce
désir se manifestait surtout par les multiples invitations et
fêtes organisées par les chefs de famille, et aussi par les amis
de Medza (le Palmipède, le Désossé, Fils-deDieu et
Endongolo) afin de créer ou renforcer les liens qui les unit avec Medza
pour qu'ils ne soient pas oubliés par ce dernier. Il y a aussi le cousin
Zambo,
qui pour manifester son désir de voir la ville, rendait
service à Medza tout au long de son séjour à Kala. Et
toujours dans le but de lui rendre service, il décida, sans attendre
l'approbation de Medza, de le suivre à Ongola en disant
simplement : « Je viens avec toi, petit cousin ? Je
ne peux pas rester seul avec
les vieux. » (p.249) juste après la
brouille entre Medza et son père.
La ville attire donc tout le monde, tous sont sûr que
là-bas ils vont gagner leur vie. L'arrivée de Medza à Kala
est comme qui dirait une sorte de preuve de réussite pour les
villageois. Pour devenir comme lui alors, il était impératif de
quitter la campagne pour la ville. Tous sont alors
désintéressés par la campagne et interrogent Medza sur les
boulots que l'on peut faire en ville et s'ils pourraient rapporter beaucoup
d'argents (pp.117-118). A partir du moment donc que quelqu'un
s'intéresse à la ville, automatiquement il ne pensera plus
qu'à gagner de l'argent. Or l'argent est l'une des choses qui
détruit l'unité des Noirs puisque même la «
communauté du sang » (p.125) n'existera plus car ce sera
chacun pour soi. Même en revenant de la ville, la personne ne sera plus
la même puisqu'elle a perdu toutes les sagesses ancestrales à
cause de toutes les vicissitudes de la vie moderne menée en ville ;
cette vie qui transforme quiconque ose s'en aventurer ne serais-ce que pour une
simple visite car il suffit juste de voir le contraste entre la ville et la
campagne pour être transformé une bonne fois pour toute. Et
lorsqu'on a pris goût, il est très difficile, voire impossible de
rebrousser chemin car on voit en la ville l'idéal.
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