2- L'influence de l'être hybride sur les individus
L'être hybride, c'est-à-dire le Noir est celui qui
est issu de l'école européenne, comme notre héros, Medza.
Il est appelé ainsi car il n'est ni
profondément dans le sol ». p.14, Mission
Terminée
13 A. Hampaté Bâ, Aspect de la civilisation
africaine, éditions Présence Africaine, 1972, p.27
africain, ni européen étant donné qu'il a
perdu sa propre culture et ne fait que suivre approximativement et
bêtement celle des Blancs bon gré mal gré.
L'être hybride issu de l'éducation
européenne est en effet une des causes de l'acculturation. G'est un
système indépendant où les Blancs sont absents et
n'interviennent plus directement aux objectifs qu'ils ont fixés car ils
ont déjà cette machine à leur service qui, va
réussir là où ils ont pu échouer, qui s'infiltrera
sans peine là où ils ont eu beaucoup du mal à passer, dans
les arrières pays qui leurs sont difficiles d'accès comme Kala.
Aux yeux des Noirs, Medza est vu comme l'école, c'est-à-dire
comme étant une nouvelle et la meilleure chose qui leur est
donnée dans leur misérable vie car il est très rare de
voir tous les jours un jeune Noir éduqué à
l'européenne. G'est pourquoi, dans le roman, il est dit : « En
fait de garçon instruit et habitant la ville pardessus le marché,
[...], devait être une marchandise rare sur le marché de Kala
» (p.73) pour montrer la valeur importante d'une personne qui a suivi
les enseignements des européens. Medza est qualifié de «
marchandise rare » car les garçons comme lui ne sont pas nombreux
dans le pays. G'est vrai car ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre
ce luxe, le fait d'envoyer son enfant à l'école des Blanc. En
plus, cela n'est pas gratuit et nécessite beaucoup d'argent durant
toutes leurs études, or tous les parents veulent et rêvent que
leurs enfants entrent dans une telle école. Get estime des Noirs face
à un être Noir éduqué à l'européenne
est un signe de réussite pour les Blancs, mais aussi pour les Noirs car
si Medza était alors comme tous les jeunes de son âge qui ne
fréquentaient pas l'école, il ne serait qu'une personne banale
à leurs yeux et ne représentera aucun intérêt pour
eux, mais aussi et surtout pour les Blancs. G'est cette
spécificité d'avoir pu fréquenter l'école et les
Blancs alors qui seront les potions magiques qui vont permettre de changer,
transformer la vie de toute communauté où passera Medza car il
est toujours considéré comme étant une perle rare, et
surtout, un brin de nouveauté qui vient apporter la modernité aux
membres de la société traditionnelle comme ceux de son village
natal mais aussi ceux de Kala où il effectuera sa Mission.
Il a donc en lui toutes les faveurs et tous les bagages
nécessaires pour enculturer14 ses proches par le biais de ses
nouvelles connaissances acquises, ses points de vue différents de ceux
des autres, sa nouvelle façon de raisonner qui sont très
convoités.
La venue, la vue de Medza à Kala et son contact avec
ces habitants vont changer le cours de leur vie. Tout le monde est
émerveillé par lui dès seulement le premier coup d'oeil,
un jeune «gars de la ville» qui est de passage et que l'on ne trouve
pas tous les jours à Kala ; tous veulent le voir, l'admirer, le
consulter à tout prix que ce soit les grandes personnes ou les jeunes,
et chacun y trouve son compte. Les jeunes garçons souhaitent apprendre
à lire et écrire comme à l'école, les vieux et
adolescents veulent s'informer sur les villes et les progrès, que ces
villes soient africaines ou occidentales, et les jeunes filles et femmes,
elles, en sont tout simplement fascinées, amoureuses qu'elles sont
là dans le seul but de l'admirer et le contempler de plus près.
Nous assistons donc au début de l'acculturation à Kala, et si
nous entrons dans les détails, nous trouverons que cette transformation
de Kala qui semble passagère est bel et bien le commencement d'une
acculturation puisque toutes les habitudes coutumières ont
été modifiées par l'arrivée de Medza.
Tout Kala est fasciné par la modernité. La venue
de Medza, par exemple pour les petits garçons, est une occasion rare
dans leur vie de pouvoir apprendre les mathématiques et de sortir de
l'analphabétisme en tentant d'apprendre à lire et écrire
le français (mais non pas leur langue maternelle) car ils veulent
devenir des intellectuels comme Medza. Cependant leurs parents n'ont pas les
moyens financiers de les envoyer à l'école, et l'apprentissage
traditionnel ne leur fournit pas ces nouvelles connaissances qui les fascinent
tant et qu'ils veulent acquérir. C'est comme un rêve qui ,
brusquement peut devenir réalité pour eux que, même Medza
n'a plus de temps libre dans le village étant donné que
dès la matinée, il est déjà pris d'assaut par ces
jeunes élèves qui ne s'intéressent plus à
présent qu'aux connaissances modernes. Le fait de prendre Medza en
assaut est déjà un signe de détermination et d'un
14 Processus de socialisation de l'individu qui, par
l'éducation, l'instruction, les disciplines du groupe en
général, transmettent à chacun des membres du groupe les
modèles, les normes, les systèmes de valeurs caractérisant
la culture dominante.
désir violent de vouloir apprendre. Ils ne viennent
même pas les mains vides et se donnent la peine d'amener avec eux des
livres et des ardoises (p.129) pour que cela soit plus sérieux. Si les
jeunes garçons sont avides de connaissances et veulent être
intellectuels comme Medza, les adolescents eux voudront tout simplement avoir
la chance qu'a le « gars de la vile », c'est-à-dire
Medza, qui fait un malheur sur les filles de Kala sans même le savoir.
Toutes les filles ou jeunes femmes du village sont folles de lui et toutes
veulent l'avoir à leurs cotés que ce soit pour une simple
aventure ou en vue d'un mariage car il est exceptionnel et très
différent des garçons du village qu'elles ont
fréquentés qui ne sont que des paysans comme elles- mêmes.
Aux yeux de tout Kala, il n'est pas issu de la classe paysanne et n'est pas
aussi considéré comme campagnard ; lui ne cultive pas la terre,
ne garde pas les bétails, n'est pas pauvre ... mais va à
l'école des Blancs pour devenir riche et puissant comme ces derniers.
Les amis de Medza l'envient à cause de cette chance qu'il a sur les
filles, que ce soit Yohannès le Palmipède, Petrus Fils-de-Dieu,
Abraham le Désossé ou tout simplement son célèbre
cousin Zambo qui lui déclare : « [...] tu
en as une chance toi : je voudrais être à ta
place. », et, « Ce qu'elle doit en pincer pour toi !
[...]. Aions donc, tu le sais bien, que tu plais à toutes les toutes
femmes. Pourquoi feindre de l'ignorer ? Tu devrais en être heureux.
» (pp.80-
82). Etant ignoré ou négligé
périodiquement par le sexe féminin, la seule solution pour eux
d'avoir une chance de se faire à nouveau des petites copines face
à cet adversaire de taille est d'essayer de côtoyer le plus que
possible le héros. Fréquenter Medza est une
nécessité pour pouvoir attirer l'attention des filles et pour se
faire remarquer, mais c'est aussi un honneur et un atout d'être ses amis
car il est toujours à leur disposition pour discuter et se
défouler à tout moment . Un grand avantage que les autres
adolescents qui veulent l'inviter afin de lier amitié avec lui n'ont pas
puisque dans la société traditionnelle, « il
était essentiel d'être marié pour
avoir droit aux honneurs et à la considération »
(p.141) or eux ne le sont guère. Donc normalement, ils
n'ont pas droit comme les autres adolescents d'avoir le privilège
d'inviter Medza qui est un signe d'honneur et que seuls les grands devraient
avoir droit avant eux.
Si les adolescents se préoccupent surtout de leur
conquête des filles et de leur amitié pour Medza, les adultes eux
voient en notre héros une ressource inépuisable de connaissances
modernes qu'ils veulent connaître. Avides de nouveauté comme tous,
les vieux eux, plus précisément les pères de famille, ne
sont pas indifférents à l'arrivée de Medza à Kala ;
tous veulent tour à tour inviter notre héros dans leur foyer
respectif que dès son quatrième jour passé à Kala,
il reçut déjà sa première invitation de
dîner- conférence dans une famille. Cela consistait à
manger et à répondre aux questions posées par
l'assistance. Pendant toutes ces veillées, les questions tournaient
toujours autour des nouvelles technologies, le rapport entre les Blancs et les
Noirs, mais surtout sur l'école. Toutes les habitudes à Kala ont
vu une transformation depuis l'arrivée de Medza car il est de coutume
maintenant d'inviter Medza chez soi pour soutirer des renseignements et
s'informer. Il est devenu tellement admiré que maintenant on ne jure
plus que par son nom (p.74).
Si l'arrivée de Medza à Kala a apporté
des transformations au niveau des individus et du groupe même, dans son
village natal on assiste aussi à une acculturation du groupe due
à son influence que l'on constate à travers et à partir du
discours de Bikokolo, le patriarche du village. Si au début,
l'idée du patriarche Bikokolo pour convaincre Medza d'aller à
Kala était tout simplement
«d'aller se montrer là-bas, d'aller faire peur
à ces péquenots [...] » (p.28) , et
quand le héros répliqua à son tour et ne
comprit pas pourquoi on l'avait choisi pour une telle mission qu'il croit ne
pas pouvoir mener à bout car il n'a pas les critères requis et
juge que c'est un problème qu'entre les vieux, non pas les
jeunes,15le discours de Bikokolo se précisait, se
détaillait de plus en plus et à la fin, pour ne plus mettre Medza
dans l'embarras et afin qu'il accepte, le patriarche décide de tout lui
expliquer :
« Fils, termina le patriarche, cette
histoire-là, lorsqu'on la contera plus tard, après ma mort, c'est
toi qui en seras le héros. Mais tu es un homme terrible ! Et tu parles
toi aussi avec la voix du tonnerre. Et tu ne soupçonnes même pas
ta puissance ! Ta voix du tonnerre, sais-tu ce que c'est ? Tes diplômes,
ton instruction, ta
15 « pourquoi moi [...] Quel pouvoir ai-je, moi ?... »
p.29, Mission Terminée
connaissance des choses des Blancs. Sais-tu ce que
s'imaginent sérieusement ces bushmen de l'arrière-pays ? Qu'il te
suffirait d'adresser une lettre écrite en français, de parler en
français au chef de la subdivision la plus proche, pour faire mettre en
prison qui tu voudrais ou pour lui faire obtenir n'importe quelle faveur ...
Voilà ce que s'imaginent ces péquenots chez lesquels nous
t'envoyons... » (p.31).
A travers ces paroles, nous voyons déjà
l'importance, l'intérêt que suscite un individu ayant suivi
l'éducation à l'européenne non seulement aux yeux du
patriarche, mais aussi de toute la communauté Noire. Ici l'être
hybride, c'est-àdire Medza, est devenu comme une arme de persuasion
très efficace et qui devrait faire terreur à Kala. Tellement
l'école et ses éléments comme l'être hybride avec
ses diplômes et ses nouvelles connaissances, représentent des
traits valeureux qu'ils sont devenus une nouvelle force de manipulation, aussi
bien chez les Blancs que chez les Noirs. Ces éléments permettent
en effet d'imposer et de s'imposer partout sans l'intervention directe des
Blancs, et peuvent, sans aucune aide extérieure, vaincre et convaincre
une tribu toute entière et faire modifier les règles
traditionnelles instaurées depuis toujours qui assurent l'ordre dans la
communauté comme la hiérarchie (le fait d'envoyer Medza, un
enfant, à la place d'un adulte pour une mission inadéquate), la
philosophie16 (le fait de mêler le modernisme du traditionnel
dans le discours de Bikokolo). Face à n'importe quelle forme de
modernité, le traditionnel ne peut faire que de se transformer à
son tour. Et en parlant de modernité, la dernière cause de
l'acculturation que nous allons traiter est l'attrait de la ville qui est
à la fois signe de modernisme et cause d'acculturation.
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