2- Le pouvoir colonial
Face à cette société traditionnelle, le
pouvoir colonial est très bien organisé bien que sa
présence ne soit pas mentionnée directement dans le roman. Le
pouvoir colonial se manifeste sous différentes formes, et tout au long
du récit on ne retrouvera point un seul Blanc (à l'exception de
Kritikos le grec)
qui essayera d'imposer quoi que ce soit à un Noir. La
raison en est que les Blancs n'interviennent plus directement dans la vie des
Noirs mais sont remplacés soit par des représentants Noirs, soit
par des institutions dirigées aussi par des Noirs.
En lisant le roman, on croit avoir sous les yeux une oeuvre
où l'on ne retrouve pas de conflits entre Blanc et Noir. Mais
après l'analyse du contenu, nous réalisons qu'il y a bel et bien
des indices qui révèlent la présence des colons. Comme dit
Daniel, l'ami de Medza « Partout où il y aura un Noir, il se
trouvera toujours quelque colon pour lui rôder autour. »
(p.14).
Dès que l'on aborde le sujet concernant le pouvoir
colonial en Afrique, la première chose qui nous vient en tête est
la domination des Blancs sur les Noirs et ses conséquences sur les
Noirs. Toutefois, l'arrivée des Blancs sur le continent Africain n'est
pas toujours néfaste mais peut être aussi bénéfique
pour les Noirs. Sans les Blancs par exemples, les pistes ne seraient pas
devenues des routes goudronnées, bien que ces dernières soient en
très mauvais état au Cameroun comparées à ce que
les Belges ont fait au Congo (pp.15-16). Mais comme nous le savons, cette
modernisation de l'Afrique traditionnelle par les colons a un but précis
qui est de dominer les Noirs sur tous les plans. Et si on analyse très
bien cette modernisation, nous constatons et nous nous en rendons compte
qu'elle a été instaurée non pas pour aider les africains
mais pour qu'ils soient dépendants des Blancs, et surtout pour mieux les
maîtriser. Le pouvoir colonial est donc une machine bien
rôdée où tout est planifié afin de maîtriser
les Noirs. C'est le pouvoir colonial qui oblige indirectement les enfants
à aller à l'école, à cesser de cultiver les
cultures vivrières pour planter du cacao et du café aux paysans,
hommes et femmes, et à dicter au patriarche ou chefs de village ce
qu'ils devront faire.
L'instauration de l'école, plus
précisément d'un Internat Indigène, est faite pour
éduquer les jeunes Noirs afin qu'ils puissent avoir de nouvelles
pensées, à peu près identiques à celles des Blancs,
c'est-à-dire cartésiennes. Eduquer à l'école donc
permet de former les africains dès leurs plus jeunes âges en leur
apprenant l'idéal, en traçant leur route et en donnant le
modèle qu'ils devront
suivre. Tout cela dans le seul but de faciliter leur
manipulation plus tard. Eduquer n'est donc pas le mot adéquat dans ce
cas parce qu'on a affaire ici à un vrai lavage de cerveau par le biais
de l'éducation venant des colons. Ce lavage de cerveau exercé sur
les Noirs, nous pouvons le percevoir à travers ce que Daniel a dit :
« Moi, mes ancêtres furent non point Gaulois,
mais Bantous ; ils le sont d'ailleurs restés depuis. Et apparemment, il
n'y a pas de raison qu'ils veuillent changer de parti aujourd'hui. »
(p.14).
Le bureau administratif, le commissariat de police et la
prison (p.18) sont réservés pour ceux qui n'ont pas
été transformés par l'éducation coloniale ou qui ne
veulent pas suivre ou se soumettre aux normes imposées. La
présence de ces institutions à Vimili n'est donc pas seulement
d'ordre esthétique pour moderniser le paysage mais a une fonction
ré éducationnelle des Noirs afin de préserver l'ordre
imposé par les Blancs. Tous ceux qui ont échappé au lavage
de cerveau de l'école seront donc corrigés et «
normalisés » par ces établissements coloniaux. Ceux des
petites villes comme Vimili seront alors sur la bonne voie comme ceux qui ont
suivi des études à l'école parce qu'ils ont la police, la
prison, et le bureau administratif comme équivalences de l'école.
Par contre dans la brousse où il n'y a ni école, ni commissariat
de police, ni prison pour marquer la présence coloniale, les Blancs sont
remplacés par des Noirs. Ils ont pour tâche de représenter
l'autorité coloniale, surveiller, voire espionner leurs proches et
surtout faire régner l'ordre selon les lois en vigueur dans le village
où ils sont établis. Dans le roman, ces représentants
coloniaux Noirs ne sont rien d'autres que le chef de canton pour le village
natal de Medza, et le chef de village à Kala. Que ce soit le chef de
canton ou le chef de village, tous les deux détiennent une place
symbolique dans la société traditionnelle parce que même le
patriarche du village comme Bikokolo est sous leur autorité et doit se
plier devant eux. Ils sont au sommet de la pyramide et n'ont plus rien à
voir avec la vie traditionnelle des villageois. Ils mènent une vie
aisée due aux privilèges donnés par les colons comme
habitant dans des villas imposantes, mais surtout parce qu'ils se sont
affranchis et ne respectent plus la hiérarchie traditionnelle de la
tribu (p.34). Ayant donc l'appui des colons et affranchis des
traditions, ils se permettent de tout faire jusqu'à en
abuser. Ainsi, ils n'arrêtaient d'harceler un homme que lorsque celui-ci
leur aurait fait la promesse formelle de venir à leur rescousse, soit
ils vont directement à l'intimidation administrative si les chantages
basés sur les sentiments ne passent plus (p.178). Et s'il y a encore
quelqu'un qui doute du pouvoir réel de ces gens là,
c'est-à-dire du chef de canton et du chef de village, si leur bel
habitat et leurs nombreuses femmes ne suffisent pas à affirmer leur
richesse et leur supériorité, ils sont prêts à
laisser tomber les costumes traditionnels en échange d'un uniforme de
chef de groupement avec les galons aux épaules et les décorations
sur la poitrine pour faire bien savoir à tout le monde que c'est lui le
chef suprême du village (p.183). En tout cas, ils sont là pour
remplacer et prendre la place des colons pour les aider à tenir la
population bien en main et cela par tous les moyens.
Mais si l'école et la force ne fonctionnent pas
à faire convertir les Noirs en de bons citoyens, il reste toujours la
religion chrétienne qui est elle aussi importée par les colons et
qui est devenue une arme efficace pour transformer l'individu. Toute personne
ayant été en contact avec cette nouvelle religion se voit
transformé psychologiquement et devient facilement obéissant. Il
suffit juste d'attribuer quelque chose avec Dieu pour avoir un résultat
immédiat. Nous constatons cela par exemple pour le cas de Fils-de-Dieu
qui, s'il veut mériter le ciel devait exécuter strictement les
ordres venant de Yohannès le Palmipède comme accourir chaque fois
qu'il l'appelle, remplir le verre de Medza chaque fois qu'il sera vide (p.56).
Ceux qui ont des connaissances sur la religion catholique seront donc
amenés à diriger les autres vers le droit et bon chemin. C'est
donc ce qui se passe quand Zambo fut accusé de voler le vin de Le
Palmipède. Et afin de convaincre qu'il a tort de voler les biens des
autres, le Désossé, le seul qui s'y connaît en terme de
religion catholique, fût désigné pour lui faire la morale
en usant de son savoir (pp.161 -1 62). La dernière chose importée
par les étrangers Blancs et qui pourrait être aussi un instrument
pour désorienter les Noirs est l'alcool. Dans le roman, nous avons deux
sortes d'alcool dont le vin de palme traditionnel et le whisky
américain. Si le vin de palme est pour les Noirs une sorte de
médicament équivalent de la pénicilline et pouvant
guérir les maladies (p.144), le whisky américain par contre est
un
refuge contre les problèmes difficiles à
surmonter comme vaincre sa timidité face à la fille que l'on aime
(p.190). Mais le pire c'est qu'il peut servir à dévoiler ce qui
est enfoui dans la tête puisqu'il rend les gens à demi conscients
et leur fait délier la langue petit à petit (p.120).
Mais comment est donc la femme dans cette
société où les hommes règnent en maître et
où tout le monde est soumis aux exigences coloniales?
|