II- Les pouvoirs en activité
Si dans le premier chapitre nous avons vu les
particularités de chaque groupe de personnes, voire de chaque individu,
dans ce second chapitre intitulé « les pouvoirs en activité
» nous analyserons la position de chaque groupe par rapport à la
société présente dans le roman. Pour cela, nous allons
voir en premier lieu « La domination de l'homme », en second lieu
« Le pouvoir colonial » et en dernier lieu « Le statut de la
femme ».
1- La domination de l'homme
Quand on parle ici d'homme, il s'agit de tout individu de sexe
masculin qualifié de grande personne, c'est-à-dire les
grands-pères et pères de famille, mais non pas les jeunes
garçons encore dépendants de leurs parents.
On constate tout au long du roman la domination totale de
l'homme, et cela dans tous les domaines. Tout homme vieux ou ayant fondé
une famille est automatiquement respecté par le village tout entier ; et
pour mériter cette place honorifique, il était essentiel
d'être marié parce que dans la société
9 NDONGO FAME Jacques, L'esthétique romanesque de
Mongo Béti, Présence Africaine, 386 p.
traditionnelle « la femme est un signe infaillible
d'aisance, comme le frigidaire ou l'automobile en Amérique »
(p. 141). Sans la femme donc, l'homme n'est
rien puisqu'il n'a rien et est considéré par
conséquent comme un vaurien. Mariés, les hommes deviennent
pères et sont chefs de famille; ils font ce qu'ils veulent de leurs
femmes et de leurs enfants. Et sur ce plan, ils ont la réputation
d'être violents, des tyrans et des dictateurs. Pour se faire entendre, se
respecter ou tout simplement pour éduquer quelqu'un, les hommes
n'hésitaient pas à maltraiter les femmes et les enfants. Cette
violence est déjà un rituel et est incluse dans la culture
traditionnelle car si on se réfère à ce que le texte
dit
dans la page 237, « [...] chez nous, on se
tançait sans arrêt : le père tançait tout le monde,
la mère tançait les enfants, [...] Quant aux enfants, les
garçons tançaient les filles, et la fille aînée
tançait sa cadette [...] ». Cette violence
perpétuelle, surtout au niveau des hommes s'explique
par le fait que la société traditionnelle que nous
étudions en ce moment s'agit des tribus pahouins. Selon les
étymologistes, "pahouins" vient de "m'pawin" et signifie "sauvage". Ils
existent toujours entre Gabon, Guinée équatoriale et Cameroun,
mais on les appelle aujourd'hui Fang ou Beti ; et jusqu'à
présent, ils vivent toujours en véritables enfants de brousse,
c'est-à-dire ils passent leur temps à chasser, pêcher, .
.., mais surtout aiment ou battent leurs femmes, font la guerre avec les tribus
voisines. Toutefois, même avec cette manie de battre, de dominer les
autres, il y a toujours le respect entre les individus du même groupe. Le
patriarche comme Bikokolo par exemple est l'homme sage du village et exerce un
pouvoir absolu sur tous les villageois, même sur les pères de
famille. Tous doivent le respecter et lui obéir vu son âge et son
statut. Il règne sur tout le village et assurent plusieurs fonctions
à la fois comme dirigeant, conseillé et guérisseur, et
dans tout cela, ses décisions ne sont jamais contestées par qui
que ce soit. Et le pire dans tout cela c'est que cette place,
c'est-à-dire chef de village ou patriarche, est exclusivement pour les
hommes et se transmet de père en fils, c'est-à-dire par
hérédité. Personne ne peut accéder à ce
poste s'il est en dehors de la famille du chef, même s'il a le
privilège d'avoir pu fréquenter l'école comme Medza
(p.116). Et si le patriarche commande tout, les hommes pères de famille
(qui sont aussi sous son autorité) eux sont les maîtres dans
leur foyer respectif. Pour l'oncle Mama par exemple, on voit
à travers ses comportements qu'il est un homme ferme car il parlait peu
et ne riait jamais. Et comme dit Medza sur ce sujet: « ces gens qui ne
savent ni n'aiment parler ont un fort penchant pour la dictature »
(p.89) puisque lui-même subit cette pression bien qu'il soit choyé
à la maison ; l'oncle Mama, sans demander son avis ni attendre une
réponse, impose des choses sans que l'autre ait le temps de pouvoir
réagir (p.147). Et cette tension entre « père » et fils
ne s'arrête pas seulement entre Medza et son oncle, mais continue aussi
entre Medza et son vrai père. Medza accuse son père d'être
autoritaire, un tyran, un dictateur puisque depuis sa tendre enfance, il ne
faisait que suivre les désirs de ce dernier tels que aller à
l'école non pas vraiment dans le but de l'éduquer mais pour s'en
débarrasser par l'intermédiaire de l'école. Les
professeurs constatent cette réalité mais le père
s'obstine et défend jusqu'à la fin ses idées en disant :
« Oh I De toute façon, que ferait-il à la maison ? [...]
Alors qu'il reste à l'école... » (p.231) ; et la
mère, plus proche du père, sentait quelque chose qui venait mais
ne peut pas intervenir. « Il a une idée derrière la
tête, moi je le sais bien, parce que je le connais. »(p.231)
dit la mère en guise de protestation face à ce qui se passe.
Tellement le père est vu de mauvais oeil par tous qu'il s'est fait
qualifier « d'un dieu suprême, un dieu terrible »
(p.22 1) puisque tout le monde le craint. A part cela, on sent vraiment cette
place élevée de l'homme lorsqu'on analyse ce qui se passe dans la
société car à chaque fois ils se mettent toujours à
l'écart, de préférence dans un endroit élevé
pour affirmer leur supériorité. Par exemple au moment du repas,
les hommes mangent à part et ne se mélangent pas avec les femmes
qui sont considérées comme des êtres inférieurs (p.
64). Le même scénario se répète aussi lors de la
baignade où il est inadmissible pour les sexes masculins que les femmes
aient une place en amont et eux en aval car ils doivent/veulent
préserver leur statut dans tous les cas. C'est donc ce qui se passe
à la page 70 quand les hommes entendirent que les femmes vont chercher
une belle place en amont pour se baigner :
«Le mot « amont » produisit un effet
véritablement magique.
Les garçons sortirent précipitamment de
l'eau, leur visage exprimant
comme un dégoût. [...] les femmes en amont et
nous ici ? Ah non, alors... ».
La domination se fait aussi sentir au niveau des jeunes
garçons puisque entre Medza et Zambo par exemple Medza se fait
très respecter par son cousin alors que Medza est son cadet. Or
normalement cela devrait être Medza qui devrait le respecter étant
donné que Zambo est son aîné. Medza confirme
même que « [...] le respect dû à
un individu est directement proportionnel à son âge [...]
» (p.140) mais ce n'est pas le cas ici. « Je suis heureux et
surtout honoré de pouvoir te parler aujourd'hui ! Tu ne peux pas savoir.
» (p.44) ; Tels
sont les mots de Zambo face à son petit cousin Medza ;
des mots qui signifient tant de choses car à travers eux on
perçoit la position de chacun, c'est-à-dire de Medza et de Zambo,
où Zambo est dominé, tel un subalterne face à son
supérieur, et cela à cause du fait que Medza vient de la ville,
donc quelqu'un qui connaît beaucoup de choses. Toutefois, si
l'intellectuel domine ses proches à cause de ses connaissances, le
pouvoir total sera toujours détenu par les vieux puisqu'ils ont les
moyens et la chance de l'appliquer vu « le système
économique, juridique et coutumier » (p.140) qui les
privilégient, ne laissant aucune chance aux jeunes de les rivaliser. La
seule chose qu'ils peuvent faire face à cette situation est de se plier
comme les autres, sinon se révolter contre le père comme Medza
l'avait fait pour se libérer de ce mal. Toutefois cela ne changera rien
puisque si lui est libéré, la société elle, n'a
guère changé puisqu'elle restera toujours une
société patriarcale où « il y a des gens qui ne
perdent jamais » (p.254) qui sont les vieux, et où les plus
forts voudraient toujours dominer les plus faibles et les moins
âgés. Mais dans tout cela, que devient l'autorité coloniale
puisque les colonisateurs ont aussi leur place dans cette société
traditionnelle ?
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