3- Les jeunes
Comme les hommes et les femmes, les jeunes ont aussi leur mot
à dire dans la société, dans le roman. N'oublions pas non
plus que même s'ils sont en majeure partie dépendants de leurs
parents, ce seront eux qui assureront la relève mais surtout l'avenir.
Elément significatif de la société, la classe des jeunes
joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la
société car tout repose sur eux. Donc dans cette partie du
devoir, nous allons étudier quelques jeunes dans le roman, surtout des
jeunes garçons dont Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le
Désossé et Yohannès le Palmipède qui forment un
trio, Endongolo, Zambo et enfin Medza.
L'adolescence est la période entre l'enfance et
l'âge adulte pendant laquelle les jeunes sont en phase de transformation
grâce à la découverte et l'exploration de la vie en
essayant de tout faire que ce soit bon ou mauvais car c'est à partir de
ce point là qu'ils forgeront leur vie future. Et dans le cas du trio,
c'est-à-dire Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le Désossé et
Yohannès le Palmipède, la vie d'adolescent passe sans trop de
soucis à faire. A part travailler dans les champs, la majeure partie du
temps ils ne font que se divertir comme chercher des filles et/ou boire du vin
de palme jusqu'à ce que tout le groupe soit ivre, ou que les
réserves et les ressources soient vides, à sec. C'est à
cause de cette période transitoire, c'est-à-dire l'adolescence,
que les jeunes apprennent tout. C'est comme un temps où la
personnalité de l'individu n'est pas (encore) bien définie
puisqu'il est dans une phase de sa vie où il se détache petit
à petit du passé pour construire sa vie future sans tout autant
délaisser complètement le passé. C'est par ce raisonnement
que nous allons
démontrer pourquoi les personnages qui composent le
trio ont des noms composés mais non pas des noms simples.
Puisqu'ils sont tous dans l'adolescence, ces jeunes là
ne sont encore très bien définis, que ce soit au niveau
psychologique ou au niveau morphologique parce qu'ils sont en train de se
métamorphoser. Tout ce qui les concerne dans cette période n'est
que dérisoire et peut changer au fil du temps ; mais ce sera la base, le
fondement de l'avenir. Toutefois, il est nécessaire de faire savoir que
pendant cette période de l'adolescence, on a deux phases bien distinctes
dont le passage de l'enfance vers l'adolescence et le passage de l'adolescence
vers l'âge adulte. Dans le cas de Petrus Fils-de-Dieu, Abraham le
Désossé et Yohannès le Palmipède, ils sont tous les
trois dans le début de la deuxième période de
l'adolescence, c'est-à-dire dans la période de passage de
l'adolescence vers l'âge adulte.
Si on analyse donc les noms que portent ces trois personnages,
à première vue et à partir des données dans le
texte du roman, nous pouvons dire que ce ne sont pas leurs vrais noms mais des
surnoms. Dans le récit du roman il est bien dit que, pour le cas de
Yohannès le Palmipède, il s'appelle Albert Bidzo, mais
Yohannès le Palmipède n'est qu'un surnom que les petits enfants
emploient pour l'appeler (p. 54). De même pour les autres, comme Petrus
Fils-de-Dieu qui n'est qu'un surnom (selon le roman) qu'on lui a
attribué après des évènements qui s'étaient
produits auparavant (p. 55). Pour le dernier personnage, qui est Abraham le
Désossé, ce n'est pas non plus son vrai nom mais un qualificatif
qui renvoie à la fois à sa personnalité et son physique
(p. 57). Ces surnoms composés, bien qu'ils ne soient pas les
véritables noms des individus, ne sont pas seulement de simples
désignations ni de simples appellations secondaires, mais contiennent
aussi des éléments significatifs qui qualifient l'individu dans
un temps donné, tout en mêlant le passé avec le
présent.
Concernant le personnage Petrus Fils-de-Dieu, si on analyse
les éléments composant son surnom, c'est-à-dire Petrus et
Fils-de-Dieu, à partir de ce que dit le roman à son
propos, on aura une biographie partielle de l'individu. Globalement, ce surnom
nous renvoie et nous donne un des traits
caractéristiques de la personne. La cause de ce surnom,
d'après ce qui est mentionné dans le roman, est pour essayer de
sauver l'individu de l'enfer et cela dû à ses mauvaises conduites
d'auparavant.
Mais si on pousse encore plus loin l'analyse, on trouve que ce
surnom représente la croyance en Dieu. Il sous-entend une appartenance
de religion monothéiste car deux éléments nous certifient
cela dans le récit du roman :
« [...] le père de garçon était
catéchiste [...], je crus devoir chercher l'origine [...] dans la
profession paternelle.»(p. 55) qui veut dire que ce surnom est en
partie inspiré de la carrière paternelle car
cette société traditionnelle évoquée dans le roman
n'est pas seulement patriarcale, mais aussi patrilinéaire. Le second
élément qui nous permet de certifier l'appartenance du personnage
dans une religion monothéiste est la façon d'écrire le mot
Dieu. Dans le surnom, le mot débute par une lettre majuscule mais non
pas en minuscule. Cela signifie donc que le Dieu dont il est question est le
Dieu Créateur des religions monothéistes mais non pas une des
divinités des religions polythéistes. Et pour plus de
précision sur cette religion monothéiste dont le récit
veut nous faire connaître, le premier élément du surnom,
c'est-à-dire Petrus, et la profession du père vont nous
éclaircir sur ce sujet. La profession du père peut nous donner la
réponse à cette ignorance car si dans le roman il est dit que le
père de Petrus Fils-de-Dieu est catéchiste, cela veut dire que le
père est un chrétien parce que le mot catéchisme
signifie, selon la définition du
Petit Larousse 2007, « Enseignement de la foi et de
la morale chrétiennes. ». A
part la profession du père, le mot Petrus nous
renvoie aussi à la religion chrétienne car il est
l'équivalent du nom Pierre chez les tribus pahouins6 ;
et Pierre est un des noms des apôtres de Dieu.
Pour Yohannès le Palmipède, il se fait ainsi
appeler, surtout par les petits enfants qui veulent s'amuser, parce que selon
le texte du roman, « [...] il avait
les pieds non seulement plats mais encore retournés
vers l'extérieur. »(p.54), et
surtout parce qu'il est un très bon nageur que
même Medza l'enviait, à tel point
qu'il déclara : « J'aurais donné tous les
bachots du monde pour nager comme le Palmipède, [...] » (p.
88). A part cela, le surnom de ce second personnage
aurait aussi une similarité avec celui du premier,
c'est-à-dire Petrus Fils-deDieu, parce que Le nom Yohannès
est un nom pahouin dérivé du nom Jean qui n'est pas d'origine
africaine. Ce nom nous permet aussi de savoir son appartenance religieuse car
le nom Jean est issu de la civilisation chrétienne.
Le troisième et dernier personnage que nous allons
étudier dans le trio est Abraham le Désossé. Selon le
roman, il est appelé ainsi à cause de sa souplesse physique,
comme qui dirait « [...] était complètement
dépourvu d'os. »(p. 57). C'est donc la signification de le
Désossé. Pour ce qui est d'Abraham, Medza
lui-même ignore la cause de ce choix, et il déclare sur ce sujet :
« je ne sais pas pourquoi Abraham plutôt que Moïse ou
Nabuchodonosor. » (p. 57). En tout cas, le surnom que porte ce
personnage ne reflète pas totalement sa personnalité car à
part d'être souple, il n'a rien d'un saint homme, sauf qu'il s'y
connaît un peu en religion catholique puisque autrefois il était
moniteur et enseignait aux petits enfants le catéchisme.
Si telle est l'étude sur le trio, nous allons maintenant
analyser le personnage Endongolo, un jeune garçon qui n'est ni dans le
trio ni un ami très proche de la bande de Medza qui est composée
du trio , Zambo et Medza. Endongolo lui est dans la fin de la deuxième
période de l'adolescence, c'est-àdire vers la fin du passage de
l'adolescence vers l'âge adulte. Si on le compare avec les autres jeunes,
il est beaucoup plus âgé qu'eux puisqu'il est dans les trentaines,
or le trio, Zambo et Medza sont dans les vingtaines. Tout de même, son
point commun avec ces jeunes c'est son penchant pour le vin de palme, mais ceci
d'une autre façon. Pour lui, le vin de palme n'est pas seulement un
moyen pour oublier momentanément les problèmes de la vie
quotidienne, mais c'est aussi l'équivalent de la pénicilline qui
le soigne de toutes maladies et qui le rend toujours en pleine forme (p.
144).Toutefois, il est plus mature que ces jeunes puisque Medza avait non
seulement remarqué qu'Endongolo assistait toujours à ses
conférences mais il était très intéressé et
posait même de bonnes questions, mettant quelquefois Medza dans
l'embarras.
Selon le roman, Endongolo est « [...] un grand
garçon un peu rustre, pas très soigné. »(p.141)
encore célibataire et vivant seul avec sa petite soeur. Ils sont
6 Alexandre P., Binet J., Le groupe dit Pahouin
(Fang-Boulou-Beti), Paris, Institut international africain,
orphelins de père et de mère précocement
mais vivent sans l'aide de personne. Cette situation l'a poussé
prématurément à devenir un homme responsable, assumant
tant bien que mal ses devoirs. Toutefois, ce n'est pas seulement cela qui le
rend ainsi mais c'est aussi dans sa nature. Tout ce qui est dit dans le roman
caractérisant ce personnage convient réellement à son nom
car si on se réfère au sens étymologique, on voit que
Endongolo vient du terme pahouin endondon, signifiant svelte et
élancé7. Et comme tout enfant grandissant trop vite,
comme lui, les capacités physiques évoluent plus vite que les
capacités mentales qu'il n'est pas du tout intelligent par rapport
à ses aînés, même par rapport à ses cadets.
Concernant Zambo, il est le cousin de Medza et est le fils
d'oncle Mama. C'est un jeune garçon très sportif et qui est le
grand champion de Kala. Si Medza est unique en son genre, Zambo l'est aussi
puisque personne ne peut l'égaler dans le domaine sportif. Tous les
jeunes de Kala le considèrent comme un dieu des sports grâce
à sa compétence dans ce jeu de sagaie, mais aussi parce qu'il a
un corps bien fait, plein de vitalité. Et comme le dit le roman «
[...], c'est cette espèce de baobab humain [...] » (p.
41). A part le fait d'être le capitaine d'équipe de Kala, il est
très proche du trio et qui prend plaisir à boire du vin de palme
et à se livrer à la débauche avec eux. Après le
trio, il adore aussi son petit cousin Medza et ne se lasse pas de lui trouver
une compagne pendant tout son séjour à Kala. Par
conséquent, c'est lui qui arrangera la rencontre entre Eliza et Medza
(pp. 102-107), puis entre Edima et Medza (pp. 133-137). Comme tous les hommes
de son village, c'est un travailleur qui va aux champs quotidiennement, mais
sans vraiment travailler comme tous les jeunes; et sur le fait de ne pas
travailler sérieusement, son père dit : « [...], c'est
simplement sa faute. S'il travaillait davantage, s'il ne faisait pas tout le
temps le mariole, il aurait déjà fini à la
cacaoyère et il serait libre d'aller où il voudrait. »
(p. 219). Toutefois, lassé de la vie campagnarde et trop attaché
à son cousin, il n'hésitera pas à tout abandonner pour
s'échapper du village avec Medza et vivre en ville (p.249). Si dans le
roman Zambo est représenté comme étant un
Puf, 1958, 152 p.
7 Alexandre P., Binet J., Le groupe dit Pahouin
(Fang-Boulou-Beti), Paris, Institut international africain, Puf, 1958, 152
p.
personnage fort physiquement et moralement, c'est parce qu'il
a été inspiré de la réalité. Le mot Zambo
vient du nom propre pahouin Zombo signifiant résister,
affronter8. Effectivement d'après ce qu'on avait dit
auparavant, Zambo a ces caractéristiques. A part le fait d'être
résistant physiquement qui lui permet d'affronter ses adversaires
sportifs, il l'est aussi moralement. Il ne se décourage pas dans sa
mission qui consiste à trouver des petites amies pour Medza.
Et à propos de Medza, c'est le personnage principal du
roman. Il a suivi ses études à l'école européenne
et est vraiment différent des autres personnages, surtout adolescents.
Il est unique parce que même étant africain, il n'en a pas l'air
que ce soit du point de vue physique que psychologique. L'explication de cette
différence et de cette transformation vient du fait qu'il n'avait pas
reçu l'éducation traditionnelle des Anciens mais une
éducation moderne, c'est-à-dire celle des colonisateurs. De ce
fait, Medza possède beaucoup plus de connaissances sur les cultures
antiques comme la culture grecque et romaine que sur la civilisation africaine.
A tout moment où deux circonstances sont à peu près
identiques ou ressemblent au passé, il fait tout de suite une
comparaison et nous renvoie dans le passé, c'est-à-dire vers les
faits historiques de la civilisation, soit grecque ou romaine. Dans la page 50
du roman par exemple, Medza compare la salutation que leur font les autres
à
« une ovation de César au retour de la guerre
des Gaules » puisque la victoire
remportée par l'équipe de Kala est pour lui
comme la victoire de César sur la Gaule. A part cela, nous constatons
aussi que le personnage Medza manifeste un goût pour la discussion, or
selon la tradition africaine, les enfants n'ont pas droit à la parole
face aux grandes personnes, et ne doit en aucun cas les défier. Medza
transgresse cette loi puisqu'il n'hésite pas à donner son point
de vue, ses critiques et à étaler ses idées quelque soit
son adversaire qu'il soit un Blanc comme le Grec Kritikos ou les hommes du
village. Cette transgression n'est pas seulement verbale, comme Medza l'avait
fait en prenant la parole au village pour défendre sa cause (p. 29) et
face à son propre père pour dénoncer l'injustice qu'on lui
impose (p. 245) ; elle est aussi physique. La situation qui peut très
bien interpréter ce fait est le duel qui a eu lieu entre Medza et son
8 NDONGO FAME Jacques, L'esthétique romanesque de
Mongo Béti, Présence Africaine, 386 p.
père qui commençait par une boxe, et qui se
termina par une poursuite de Medza dans tout le village (pp. 246 - 248). Actes
inadmissibles pour les grandes personnes, les agissements de Medza envers ses
proches auront des impacts sur la vie traditionnelle puisque son père,
par exemple, se sentira ridiculisé et humilié devant les
villageois, parce que tout le monde va croire qu'il n'est pas capable de bien
éduquer son propre fils. Or, c'est le fils qui est devenu un jeune
moderne et qui veut, par tous les moyens s'affranchir définitivement de
la tradition car cette dernière gène sa liberté
personnelle. Tiré du verbe a dza signifiant faire des reproches, et des
critiques9, le nom que l'auteur a donné au personnage
principal ref lète ces traits caractéristiques. Mais
malgré ces défauts, le fait d'avoir acquis des connaissances
à l'européenne a permis à Medza d'avoir une place beaucoup
plus élevée et importante dans la société. Il est
considéré par les grandes personnes comme étant
déjà un adulte capable de tout faire, voire surpasser ce que les
autres ont entrepris.
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