1.2 Les questions
d'éthiques autour de l'annonce
Selon le Dr Pepinster (2006), la question de la
vérité n'est pas la plus facile à aborder car au moment du
diagnostic, personne ne connaît la stricte vérité : au plan
individuel, le pronostic n'est jamais définitivement établi.
L'annonce de la maladie d'Alzheimer va dans ce sens puisque cette pathologie ne
peut être confirmée qu'au décès du sujet par
autopsie.
Selon ce praticien, la vérité n'est pas une
annonce en soi, mais elle est une inscription dans une dynamique relationnelle.
C'est la mise en contact de deux subjectivités dans une relation de
confiance entre soigné et soignant qui permet de construire une
vérité. [33]
Dire ou ne pas dire ?
Le contexte de la maladie d'Alzheimer est source d'angoisse ;
par conséquent, l'annonce de cette pathologie n'est pas chose
aisée.
Cette difficulté a été longtemps
éludée en n'annonçant pas le diagnostic : le manque de
réflexion éthique sur le sujet et le caractère incertain
du diagnostic lui-même ont contribué à cette
non-communication.
Aujourd'hui, la considération du patient en tant que
sujet, les avancées juridiques ainsi que la prise de conscience des
conséquences positives d'une prise en charge organisée,
permettent une évolution dans la manière d'annoncer.
En conséquence, selon certains, la question actuelle
est davantage « comment annoncer ce diagnostic » et non
plus « faut-il l'annoncer ? ».
Difficultés de l'annonce
Une des difficultés s'argumente autour du
caractère incurable de la maladie d'Alzheimer. Cela implique
que la dimension « tragique » de l'annonce de la
démence est à prendre en considération.
L'incertitude diagnostique est un des facteurs de non-annonce
de cette pathologie. D'après une enquête réalisée en
Grande Bretagne (Vassilas et al. 1999), les médecins auraient davantage
tendance à annoncer un cancer en raison de la certitude de celui ci.
Cependant, les procédures de dépistage de la maladie d'Alzheimer
s'améliorent de jour en jour et les points de vue sur ce sujet
évoluent. [43]. Au delà du caractère incurable de la
maladie, un des aspects dramatiques consiste en la perte
d'identité dont souffrira le patient. Les partisans de la
non-annonce se demandent pourquoi annoncer au sujet qu'il va perdre ses
fonctions cognitives, qu'il ne sera plus lui-même. D'autres se
questionnent sur le sens de cette annonce lorsque le sujet n'a pas les
capacités mnésiques pour mémoriser la signification de ce
diagnostic. La médiatisation d'une image négative de la maladie
concourt à cette non-annonce : le patient est souvent perçu
comme inexistant, ce qui participe aux réactions d'effroi lors de
l'annonce.
Les arguments en faveur de l'annonce du diagnostic :
Une étude Irlandaise (Maguire, 1996) met en
évidence que 80% des personnes de l'entourage du patient voudraient que
le patient ne sache pas le diagnostic mais par contre 71% le souhaiteraient
pour eux. La possibilité de dépister la maladie de manière
plus précoce permet d'annoncer au patient sa maladie pour qu'il puisse
s'organiser dans l'avenir et intégrer cette annonce. [24]
L'annonce de la maladie d'Alzheimer conserve une forte
potentialité traumatique. Souvent, pour des raisons éthiques ou
d'évitement, les praticiens privilégient l'annonce à la
famille en dehors de la présence du sujet âgé. Selon Talpin
(1999), cela « hypothèque » les chances du sujet
âgé de pouvoir parler quand il le souhaite de sa pathologie.
[39]
Concernant la réalité des consultations,
Trichet-Llory et Mieux (2005) ont mis en évidence que parmi les
praticiens réalisant l'annonce du diagnostic, 70% disent l'annoncer au
patient dont 29% sans prononcer le mot « Alzheimer ». Dans
89% des cas, l'annonce faite au patient était faite en présence
de la famille, et les praticiens disaient demander au patient son accord avant
de mettre l'entourage au courant. Selon le Dr Pepinster, les médecins
n'annoncent qu'à 55% le diagnostic au patient, alors qu'ils l'annoncent
à pratiquement 100% à la famille.
[33] [41]
L'accueil du diagnostic dépend de la
représentation dramatique que chacun se fait de la pathologie. L'annonce
vient souvent confirmer ce que chacun s'était dit sans vouloir y croire.
L'entendre dire par quelqu'un « d'autorisé » et voir
les résultats des examens produit un effet d'autorité conduisant
à suspendre le doute.
Le temps de l'annonce est souvent traumatique, car le mot
« démence » surgit avec la réalité. La
scène de l'annonce du diagnostic correspond ainsi à la
cristallisation de nombreux enjeux psychiques.
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