METAMORPHOSE ET DEMENCE : ETUDES DE CAS - 2 - UN APPORT
NOUVEAU DU CINEMA AU LOVECRAFTIEN
On l'a vu avec la démarche de Stuart Gordon,
l'adaptation directe d'écrits lovecraftiens présente un
intérêt, pour la mythologie s'entend, en tant que mortier
supplémentaire pour consolider un édifice qui, à certains
égards, peut s'avérer pâtir d'un certain caractère
périssable1 qui réclame une actualisation, ou encore
par l'injection d'éléments de contexte plus récents.
Ainsi, Dagon transcende à bien des égards (immersion,
cohérence esthétique et thématique, richesse
méta-textuelle) la cinégénie des récits de
Lovecraft.
Cependant, une adaptation si brillante soit-elle reste une
adaptation (c'est-à-dire une transcription plus ou moins fidèle
sur un autre medium), et n'apporte finalement que peu de sang neuf à une
mythologie, qui plus est la mythologie lovecraftienne basée dès
ses débuts sur l'émulation et la participation d'un nombre
fluctuant de cocélébrants, au point que certaines
créations de "second degré" (non initiées directement par
Lovecraft) revêtent, dans le système panthéique, une
importance comparable aux premières créations : c'est par exemple
le cas d'entités comme YGolonak, dieu créé par Ramsey
Campbell, les chiens de Tindalos de Frank Belknap Long ou Tsathoggua de Clark
Ashton Smith, sans parler de la très fournie bibliothèque maudite
fictive, enrichie de toutes parts comme nous l'avons évoqué dans
notre présentation du matériau littéraire2.
JOHN CARPENTER ET LA TRILOGIE DE L'APOCALYPSE
THE THING (1980), PRINCE OF DARKNESS
(1987), IN THE MOUTH OF MADNESS (1994)
Il semble que soit dans cette logique que se situe John
Carpenter dans ce qu'il nomme luimême sa Trilogie de l'Apocalypse (il
nomme ainsi ses trois films jouant avec l'idée d'une fin du monde, par
exemple dans une courte interview présente sur le DVD français de
In the mouth of madness3) : des films qui
travaillent des thèmes et des imageries lovecraftiens, ce dont le
cinéaste ne se cache pas le moins du monde, mais sans jamais mettre
explicitement en avant cette approche. Jamais on n'y parle des Grands Anciens,
du Necronomicon ou de Yuggoth, et pourtant il serait inconcevable
d'aborder la notion d'un cinéma du lovecraftien sans évoquer
The thing, Prince of darkness et In the
1 On pense avec amusement à la rétrogradation
récente de Pluton au rang de planétoïde, et l'incidence que
cette nouvelle peut avoir sur la lecture de Celui qui chuchotait dans les
ténèbres, nouvelle tournant autour de Pluton (ciappellée
Yuggoth) comme avant-poste de créatures insectoïdes nommées
Mi-go.
2 Voir p.22 et suivantes.
3 Carpenter, John, L'antre de la folie, DVD
distribué par Seven 7, 2006
mouth of madness, tant ces films pétrissent la
pâte de la mythologie pour en tirer des récits inédits mais
pratiquement inenvisageables autrement que par le prisme de celle-ci.
Comme nous l'allons voir, Carpenter, peut-être plus par
persévérance que par dessein, s'est attelé sur plus de
quinze ans à donner sa dimension cinématographique au mythe
lovecraftien. En effet, si In the mouth of madness est
considéré généralement comme le film lovecraftien
définitif à l'heure actuelle (une donne peut-être
vouée à évoluer avec A the mountains of madness,
prévu par Guillermo del Toro, et qui pourrait
bénéficier en termes de production de la nouvelle
crédibilité d'un cinéma geek à
Hollywood1), sa réussite formelle et conceptuelle s'est
construite sur les acquis de ses deux prédécesseurs qui, en se
colletant moins frontalement avec Lovecraft (ou plutôt d'une
manière moins visible, reprenant plus l'esprit que le folklore, nous y
revenons plus bas), en ont exploré des aspects qui font problème
pour qui veut traduire le matériau avec les seuls moyens d'image, de son
et de découpage dont dispose le cinéma : une imagerie de
l'indicible d'un côté, et la traduction d'une hostilité
cosmique, supranaturelle, d'entités non matérielles, de l'autre.
Tout porte à croire que Carpenter aurait utilisé les deux
premiers films de sa trilogie officieuse pour apprivoiser ces enjeux, afin de
rendre au mieux un univers lovecraftien non tronqué avec le
troisième. On pourra envisager alors la construction que constituent ces
trois métrages comme une voûte, dont la clef, le sommet est In
the mouth of madness.
MONTRER L'INDICIBLE - THE THING (1980)
A priori, La chose d'un autre monde de Christian
Nyby2 (en fait une réalisation "occulte" d'Howard Hawks),
histoire d'une plante extraterrestre intelligente qui imite alternativement des
chercheurs scientifiques en arctique pour conquérir le monde, n'est pas
lovecraftien pour deux sous, pas plus que la nouvelle originale de John
Campbell, Who goes there ?. Basé sur la paranoïa (Untel ou
Untel est-il la créature ?), le récit est surtout une parabole
anti-communiste comme il en pullule à l'époque.
1 Il est communément admis que la décennie 2000
aura vu une prise au sérieux des geeks sur des projets onéreux :
Peter Jackson avec Lord of the rings, Sam Raimi avec Spiderman,
Guillermo del Toro avec Blade 2 ou Hellboy... Ces
tentatives ayant été validées par des succès
conséquents au box office, la tendance s'est confirmée. Voir
à ce titre l'interview de Guillermo del Toro dans Mad movies
n°158.
2 Nyby, Christian, The thing from another world, 1951
Lorsque John Carpenter, grand admirateur de Hawks, s'attelle
au remake du film (il a déjà exprimé ce désir via
une citation directe dans une séquence de son Halloween1) a
partir d'un script de Bill Lancaster, il remanie suffisamment le récit
pour en faire non seulement le monument de paranoïa
cinématographique qu'on connaît, doublé d'une
véritable leçon de réalisation2, mais surtout
pour en faire un film qui flirte sans cesse avec le lovecraftien en termes
esthétiques et méta-textuels.
Le film, dans sa contextualisation, apparaît en fait,
non pas comme une adaptation officieuse de At the mountains of madness
(le récit se développe sur sa propre ligne narrative), mais
comme un récit qui reprend et réarrange ses
éléments : la menace fossile qui s'éveille, le shoggoth,
les chercheurs en Antarctique, la découverte d'un camp ravagé et
d'un site antédiluvien, preuve d'une civilisation non humaine venue de
l'espace. La trame générale du script, en tous cas, reprend peu
ou prou le canevas chronologique3 de At the mountains of madness
: une civilisation non-humaine s'éteint en Antarctique à
cause d'une espèce protoplasmique. Des millions d'années plus
tard, des chercheurs scientifiques découvrent des fossiles de
l'époque sur les lieux, ainsi qu'un site de cette civilisation. Leur
camp est décimé. Une seconde équipe4 constate
les dégâts, mène une enquête qui revêt une
menace pour l'avenir de l'humanité et rencontre le protoplasme. Il ne
restera de cette rencontre que deux survivants.
L'arrivée de la Chose est ainsi montrée
dès les premières images, avec un crash de soucoupe volante.
L'accident d'une civilisation contaminée par la Chose, ou une
arrivée de la Chose elle-même venue coloniser la Terre de son
propre chef ? C'est finalement assez anecdotique. Cependant on remarquera que
ce motif du "chiendent spatial" apparaît déjà chez
Lovecraft, dans la nouvelle La couleur tombée du ciel, ou un
mal inconnu et dégénératif se répand dans une ferme
suite à la chute d'un météore5. La menace
constituée par le protoplasme de Carpenter est autrement plus effrayante
: Chaque parcelle de la Chose est potentiellement autonome, et l'organisme (ou
les organismes)
1 Carpenter, John, Halloween, 1978. Carpenter fait
passer un extrait du film à la télévision lorsque Laurie
Strode (Jamie Lee Curtis) garde un enfant. En effet, le projet d'un remake de
The thing from another world est dans l'air depuis 1976, mais ne sera
"greenlighté" que suite au succès au box office de Alien
et Carpenter approuvé sur le film qu'avec l'énorme
rentabilité de Halloween, justement. Voir Mad movies
hors-série, collection réalisateurs n°1 - John Carpenter,
p.50
2 Le découpage de la scène de dialogue autour
des poches de sang détruites constitue encore un cas d'école dans
sa gestion des axes lors d'échanges complexes au sein de groupes
humains, et la mise en scène dans les déplacements en couloirs,
par exemple, crée en soi un précédent, comme le signale
Rafik Djoumi. Voir Mad movies hors-série, collection réalisateurs
n°1 - John Carpenter
3 Dans ses recommandations à l'écrivain en herbe
au début de son Livre de raison, HP Lovecraft recommande
d'écrire deux synopsis d'une histoire avant de la rédiger :
d'abord une suite des évènement dans l'ordre de leur survenue,
ensuite dans l'ordre de la narration.
4 On a déjà remarqué (voir p.19) que le
film présente la particularité d'avoir un all-male cast.
On pointera que l'absence de femmes a motivé les critiques
cinglantes qu'a essuyé le film, comme il est rappelé dans Mad
movies hors-série, collection réalisateurs n°1 - John
Carpenter
5 Lovecraft, Howard Philips, The colour out of space,
1927, La couleur tombée du ciel, in LOVECRAFT tome 1,
collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis
Lacassin
assimile ses victimes pour les imiter dans une sorte de
dévoration au niveau cellulaire1. Si elle en a le temps, la
créature assume une totale ressemblance avec le modèle :
apparence, intelligence, voix. Une simulation sur ordinateur faite par le
biologiste de la base nous indique de plus que si la Chose atteint une zone
civilisée, il suffira de 27 heures pour que la population mondiale soit
infectée.
C'est tout l'intérêt d'une narration dans une
temporalité seconde (la chronologie de la narration n'est ici pas la
même que celle des évènements) : l'on revient ici, à
l'instar de la construction du récit lovecraftien, à une
narration subjective, au travers des yeux de l'un des personnages (d'abord
Blair, le docteur, puis McReady, le piote), référent du
spectateur au fil d'une découverte des éléments de la
diégèse sous la forme d'une enquête. Ici,
l'intérêt premier est bien entendu de faire partager la
paranoïa qui s'empare de l'équipe au spectateur, comme le titre de
la nouvelle, Who goes there ?, en donne le ton. Tout est en effet
basé sur le fait que, à partir de l'assimilation de Bennings
(dont Windows a été le témoin avant qu'elle soit
complète, ce qui confère à la contamination humaine sa
réalité dans cette narration subjective où le spectateur
n'en sait jamais plus que les personnages), tout un chacun peut être la
Chose. Rafik Djoumi2 remarque à ce titre très
justement que Carpenter brise même la règle de l'identification en
jetant le doute sur MacReady luimême, soupçonné
d'être la Chose, et représenté alors par la mise en
scène de manière très ambiguë, via notamment un plan
de poignée de porte actionnée lentement (visualisation classique
de la menace à l'écran) ou quasiment zombifié par le
froid. Il faudra attendre la réanimation de Norris (et la mythique
séquence de sa transformation) pour que ce sentiment se dissipe... Un
peu. Privé de référent puisqu'il l'a
soupçonné lui aussi, le spectateur est mis en position de
paranoïa active, subissant les mêmes effets que les personnages : le
doute qui ressort de la séquence finale (après une ellipse, deux
survivant se font face, l'un d'eux est-il la Chose ? Et si oui, lequel ?)
entérine cette peur globale.
On le voit tout au long de la Triogie de l'Apocalypse,
Carpenter s'y emploie à filmer la peur : celle de John Trent dans In
the mouth of madness, celle du groupe d'étudiant et du prêtre
dans Prince of darkness, et celle des chercheurs de The thing.
Un grand nombre de plans de fins de séquences nous montre ainsi la
consternation et la terreur sur les visages : après la neutralisation
des diverses manifestations de la Chose (le monstre dans le chenil,
l'incinération de Bennings, la tête-araignée), mais surtout
suite aux diverses phases de compréhension de son fonctionnement, qui se
closent sur un plan du visage fermé et inquiet de Blair, à savoir
l'autopsie et la simulation informatique. Cette monstration de la peur
participe bien entendu du principe du récit lovecraftien qui choisit
l'empathie
1 C'est en tous cas ce que semble indiquer la première
attaque de la Chose, lorsqu'elle tente d'assimiler les chiens du camp : elle
projette sur eux ce qui semble être un suc gastrique qui les dissout. On
peut aussi voir quelque chose de très dévorateur dans
l'assimilation de Bennings.
2 Mad movies hors-série, collection réalisateurs
n°1 - John Carpenter, p.52
en montrant les effets de l'horreur sur le ou les personnages
référents du lecteur, et remarqué par Francis
Lacassin1. Constante héritée du film noir : le
récit s'intéresse au moins autant à l'enquêteur
qu'à l'enquête, puisque c'est par le prisme de la recherche du
personnage que la narration avance, dans sa dimension épistémique
et évènementielle. La prise à partie du spectateur, partie
prenante de la peur ressentie par les membres du groupe, rejoint Lovecraft dans
sa considération du récit en fonction de son effet sur le
lecteur, et est en outre un procédé qui contourne la limite du
récit fantastique selon Todorov, qui considère ce principe
lovecraftien du fantastique comme virtuellement caduc2.
Ici, cette dialectique de l'effet est poussée d'un cran
par la participation active sollicitée chez le spectateur, nous venons
de le voir, mais aussi par une monstration directe de la cause : << Si
vous voulez suggérer une créature de l'au-delà ou une
métamorphose, il faut vous fixer une limite sur ce que vous voulez
montrer. Moi j'y vais à fond sur les effets >>, déclare
"Big John" à Didier Allouch3 à ce propos ; car si
The thing est original dans l'aspect lovecraftien de sa
démarche, c'est bien par la monstration directe, frontale, et
concluante, de l'indicible.
Si la paranoïa est le point nodal du film, l'indicible
est son point focal4, bel et bien au centre des
préoccupations esthétiques. Le choix du titre est en soi
éloquent à cet égard : "La chose", c'est-àdire une
entité qu'on ne peut définir par quelque terme plus
précis. Ici l'indicible EST visible, ce qui ne lui enlève pas son
aspect profondément dérangeant d'un point de vue conceptuel. Cela
tient grandement à la nature même de la menace : elle n'a pas de
forme multicellulaire propre (en tous cas, pas qu'on le sache dans le
métrage) et imite les formes de vie qu'elle absorbe, en convoquant des
organes suivant ses besoins, dans une sorte de cauchemar darwinien
accéléré. La profusion de formes identifiables, mais
provenant d'espèces animales différentes, accolées au
mépris de la logique de cohésion organique crée des
adversaires successifs incompréhensibles au sens fort5. Ainsi
la séquence, classique dans le film de monstre, de l'autopsie d'un
spécimen (ici la "chose-chien"), est dévoyée de son but :
là où une telle séquence permet généralement
d'objectiver la menace6, ici, elle jette encore plus le doute quant
à la nature de ce qui est donné à voir ; telle incision
permet de mettre au jour quelque chose à l'intérieur de la
bête, certes, mais quoi ? Cela semble avoir un
1 Voir p. 44
2 Voir p.7
3 Interview in Mad movies hors-série, collection
réalisateurs n°1 - John Carpenter, p.22
4 Dans un dispositif de prise de vue, le point focal est le
centre optique, et le point focal celui sur lequel est pointé le
dispositif. Ce terme de "point focal" constitue un néologisme
employé ici, au sein d'une dialectique métaphorique, dans un
souci de clarté.
5 C'est un principe dont saura se souvenir Masahi Tsuboyama
sur le design des créatures du jeu vidéo aux résonnaces
lovecraftiennes Silent Hill 2 : << le joueur peut identifier son
adversaire mais ne peut jamais le comprendre, pas plus qu'il ne peut être
sûr de pouvoir le vaincre >> thèse de Thomas Bourgue
cité dans Mad movies hors-série jeu vidéo, p.15
6 Voir à titre d'exemple The brood, de David
Cronenberg (1979), ou encore Mimic, de Guillermo del Toro (1997)
squelette, être organique, mais sa forme est
foncièrement inidentifiable, confusion renforcée par le fait
qu'on devine, ailleurs sur le cadavre, plusieurs têtes de chiens
contrefaites, mais aussi des excroissances ouvertement insectoïdes dans un
magma de chairs, d'yeux et de gueules.
C'est en termes de design que la Chose se montre la plus
intrigante. En effet, le travail tant technique que conceptuel de Rob Bottin,
prodige des effets spéciaux, explose complètement les cadres
esthétiques de la créature classique, et l'homme peut se targuer
d'avoir accompli un travail de référence, une date dans
l'histoire de l'effet spécial (il s'était déjà
illustré un an plus tôt avec les fameuses transformations de
loups-garous "à vue" dans le Hurlements de Joe
Dante1) qui utilise toutes les techniques de plateau connues : latex
et mousse de latex, effets de maquillage, prothèses, inversion du
déroulement de la pellicule, marionnettes à main, à
câbles, à systèmes hydrauliques et même à
servomoteurs, mais aussi denrées alimentaires ou
préservatifs2... Le maquilleur a carte blanche et se sert du
film comme d'un exutoire aux visions les plus démentes : lors d'une
défibrillation cardiaque, le torse entier de Norris s'ouvre sur une
gueule emplie de dents, qui dévore les bras du docteur Cooper. Ensuite
il en sort un gigantesque panache de chair, bordé de tentacules fins et
couvert de membres humains rabougris, qui s'accroche à une gaine
d'aération par un jeu de membres articulés et montre au bout d'un
cou ophidien une tête aux dents pointues qui est une réplique de
celle de Norris. La "première" tête de Norris, elle,
s'échappe en se désolidarisant de son cou, puis fuit sous un
bureau en sollicitant un tentacule généré pour l'occasion,
avant de se munir de six pattes d'insecte et d'yeux
pédonculés.
On le voit bien ici, l'innommable n'est pas, loin s'en faut,
l'immontrable. Donner à voir ne tue pas nécessairement la peur
dans l'oeuf, si la chose est faite avec une mise en scène
appropriée. Ici l'innommable ne vient paradoxalement pas d'une absence
d'analogie avec quelque chose de connu, mais d'une trop grande profusion
d'analogies qui se parasitent entre elles (voir figure 8, page suivante).
L'horreur ne peut pas plus être niée qu'elle ne peut être
définie. Ici, par exemple, la Chose n'est jamais montrée dans son
entier, qu'il soit spatial ou temporel ; en effet la créature
reconfigure constamment son apparence physique suivant ses besoins
immédiats, ce qui en fait une sorte de shoggoth "évolué",
tel que ceux décrits par Lovecraft comme « certaines masses
protoplasmiques multicellulaires susceptibles de façonner leurs tissus
en toute sorte d'organes provisoires »3 ; la Chose est ainsi un
organisme en constante évolution morphologique, ce qui ne permet pas de
la circonscrire d'un point de vue conceptuel, dont le fait de la voir ne fait
qu'apporter plus de confusion, dans un sentiment très lovecraftien
encore une fois. Et c'est, d'une certaine façon, bien
1 Dante, Joe, The howling, 1979
2 Voir Mad movies hors-série, collection
réalisateurs n°1 - John Carpenter, p.140 3 Lovecraft, Howard
Philips, Les montagnes hallucinnées, J'ai lu, 1996
pire lorsqu'elle se cantonne à une forme pour se cacher
sous l'apparence d'un animal ou d'une personne: elle constitue alors une menace
cachée, un danger plus grand encore, hors-champ, ce qui la rend
virtuellement omniprésente1.

Une créature rendue indicible par un trop grand
foisonnement des référents morphologiques
1 Le film s'ouvre sur les survivants du camp norvégiens
traquant un de leurs chiens de traîneau. Ils échouent et le chien
est introduit dans le chenil de la mission scientifique américaine,
où il s'avère vite avoir été une imitation
de chien. Le fait que la mise en garde supposée quant au chien soit
proférée en norvégien (langue incompréhensible pour
les membres du camp américain, et non soutirée par la mise en
scène) ajoute, pour le spectateur, au caractère
profondément indicible, mal défini du point de vue de
l'identification, de la menace.
|
|