Conclusion
Ma passion illimitée pour le jeu vidéo provient
de raisons aussi personnelles que des spécificités propres
à ce média très à part.
Cet échappatoire magnifiquement simple d'accès,
ces instruments de pouvoir énormes, ces perspectives de créations
exclusives, aussi bien que son statut unique qui nous donne l'impression qu'il
peut disparaître ou exploser à tout moment, contribuent à
en faire un support définitivement différent qui ne pourra que
continuer à croître comme simple loisir et comme lieu de
création dans les années à venir.
Ses attributs, dont nous avons fait le tour (du moins
partiellement) servent tout à la fois de problématiques sur les
qualités et les défauts qui feront les catastrophes et les
miracles dont il sera victime et responsable dans le futur.
Cependant, même si nous possédons des clefs pour
imaginer ce qu'il va devenir, trop d'éléments divers concourent
pour nous empêcher de savoir ce qu'il en sera réellement dans dix
ans.
En résumé, absolument tout peut arriver.
Pourtant, il n'est jamais trop tôt pour se poser les
bonnes questions et revoir à la hausse les exigences des joueurs comme
des créateurs, que ce soit sur le fond ou sur la forme.
Pour ce qui est du fond, il est aisé de constater que
le jeu vidéo a tout à gagner de sa comparaison avec les autres
genres artistiques dans le sens où il doit prendre le meilleur du
cinéma, de la musique et de la littérature, mais sans oublier que
ses règles et ses codes sont très différents.
Les développeurs ont tout intérêt à
cultiver des valeurs essentielles, comme le réalisme, en tant que moyen,
et non comme fin, pour mettre l'innovation et le plaisir du joueur
perpétuellement renouvelé au centre de leur travail.
Je sais que ça peut paraître aussi naïf que
d'espérer que les grands studios Hollywoodiens feront un jour du
prosélytisme artistique, mais il faut bien admettre que les exceptions,
défis, et autres perles rares qui en sont issus (que j'ai envie
d'appeler blockbusters d'auteur) justifient à eux seuls cette
nécessité de voir toujours plus loin, de donner de bonnes raisons
aux « ennemis » du jeu vidéo (détenteurs du
pouvoir financier, du bon goût artistique, de la décision
politique, mais aussi une partie du grand public) de l'accepter à sa
juste valeur. Aussi vrai et admis qu'il existe des navets, des croûtes,
des brûlots et des chefs d'oeuvres, il existe des mauvais et des bons
jeux vidéo.
L'aspect purement formel est encore une autre paire de
manches.
Edifier des univers titanesques et autonomes au fonctionnement
complexe et aux habitants interdépendants, utiliser tous les moyens
d'expression existants pour créer une expérience totale,
bouleverser les formes artistiques et narratives traditionnelles en donnant un
rôle actif au spectateur, créer une implication
émotionnelle inédite en sollicitant tous les sens du public :
c'est ce que permettent les jeux vidéo. Défricher tous ces
gigantesques continents créatifs et techniques prendra beaucoup de
temps.
Une plus forte volonté, chez les créateurs, de
donner à leurs jeux un contenu riche et passionnant en puisant dans une
large palette d'influences, l'amélioration de l'intelligence
artificielle, l'établissement d'un système de sous-traitance
artistiquement fécond, la constitution d'un réseau de
développeurs indépendants, l'utilisation d'Internet en tant que
moyen de diffusion efficace et peu cher, la pérennité des
blockbusters d'auteur : autant de facteurs qui, séparément ou
cumulés, pourront faire germer les possibilités contenues dans
les jeux actuels. Des possibilités qu'il serait immensément
dommage de gâcher : le jeu vidéo est capable de modifier notre
rapport à l'art, aux artistes et, corrélativement, au monde - ni
plus ni moins. Et dire que tout a commencé avec un shoot'em up
approximatif...
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