4.3/ L'accès aux loisirs
Dans un premier temps, nous pouvons nous demander si ces
personnes ont le sentiment d'avoir la possibilité d'accéder aux
loisirs ou si, au contraire, le forfait laissé par la Banque de France
ne laisse pas la possibilité d'y accéder.
a) Les possibilités de loisirs
Tout d'abord, nous pouvons dire que la majorité des
personnes interrogées se sentent exclues de l'accès aux
loisirs :
v Mme A. : « je me sens obligée de
me restreindre, mais bon, on n'a pas le choix. »
v Mme E. : « je ne sors jamais mais
pourtant, les loisirs, c'est important pour être
épanouie. »
Nous voyons ici que le loisir est important pour le
bien-être de ces familles. D'après ces témoignages, nous
pouvons en déduire que le reste à vivre laissé par la
Banque de France n'est pas suffisant. Pourtant, toutes s'accordent à
dire que l'accès aux loisirs est possible lorsque l'on rembourse un plan
conventionnel de redressement.
v Mme E. : « avoir des loisirs, c'est
possible mais pas souvent car on est restreint. Je préfère
respecter le plan et voir après. C'est pas simple, il faut bien
gérer. »
v Mme B. : « le loisir, même si
c'est possible, on peut pas toujours se le permettre. C'est vraiment
limité. »
v Mme A. : « les loisirs, c'est
restreint, je ne connais même pas le prix du
ciné. »
v Mr F. : « les loisirs, c'est possible
mais pas tous les jours. C'est très restreint. »
Il semblerait que l'accès aux loisirs, même
limité, est possible pour les familles remboursant un plan conventionnel
de redressement.
Toutes les personnes parlent de restrictions des loisirs mais
disent également qu'ils y accèdent. Cependant, la nature des
loisirs est différente selon les personnes.
b) Quels loisirs ?
Il semblerait qu'avant le dépôt du dossier de
surendettement, les personnes surendettées multipliaient les abonnements
divers de loisirs :
v Mme B. : « avant le plan, j'avais canal
+, un portable. »
v Mme A. : « avant j'étais
abonnée à France Loisirs, Paris Normandie et j'avais un portable
à forfait. »
v Mr et Mme D. : « ben avant, j'achetais
mes magazines toutes les semaines. »
v Mr F. : « j'avais mon portable,
Internet et canal sat. »
Aujourd'hui, toutes ces personnes possèdent un
portable. Cet outil de communication semble être l'élément
indispensable, contrairement aux autres abonnements :
v Mme B. : « je n'ai conservé que
mon portable. »
v Mme A. : « aujourd'hui, je n'ai plus
aucun abonnement sauf mon portable. »
v Mr et Mme D. : « aujourd'hui, j'ai tout
résilié car c'est trop d'engagement, mais je
récupère les vieux magazines pour ne pas
dépenser. »
v Mr F. : « je n'ai gardé que mon
portable. »
Nous pouvons donc en déduire que les familles ne
conservent que les abonnements indispensables pour elles, comme le portable par
exemple.
Le montant des loisirs dépend des familles et des
budgets.
v Mr et Mme D. : « ça varie en
fonction de nos dépenses mais on en a entre 50 et 100 euros par mois,
pas plus. »
v Mme E. : « c'est surtout le resto mais
c'est pas tous les jours ! Ca varie en fonction des mois et de nos envies
mais je pense que ça dépasse les 50 euros. »
v Mr F. : « j'arrive à avoir des
loisirs grâce à l'épicerie sociale car le budget
alimentation est moins élevé que si je n'avais pas
l'épicerie. Ce que je dépense pas dans la nourriture, je le
dépense dans autre chose. »
v Mme A. : « c'est très
limité. Je n'ai pas de budget précis pour les loisirs. J'en ai
très rarement. »
v Mme B. : « j'en ai pour moins de 100
euros, moins de 50 euros même ! On a arrêté de
fumer pour pouvoir dépenser dans autre chose. Fallait
choisir.»
v Mme C. : « mes loisirs me coûtent
entre 20 et 35 euros pas plus, et faut pas avoir un
imprévu. »
Nous pouvons donc en déduire que les personnes
bénéficiaires de l'aide alimentaire ont un budget loisirs
beaucoup plus élevé que les autres. On voit bien ici que ces
personnes accèdent aux loisirs, même si le budget ne permet pas de
faire beaucoup d'extras.
Il semble intéressant de s'interroger ici sur
l'accès aux vacances.
Aucune des personnes interrogées n'accède aux
vacances ou n'a de projet vacances.
v Mme B. : « partir en vacances tout de
suite, ce serait peut être possible mais si c'est pour dire aux enfants
non fais pas ci fais pas ça, on bouge pas, on peut rien faire, c'est pas
la peine, c'est encore plus frustrant. »
v Mme A. : « c'est déjà dur
alors prévoir des sous pour les vacances, c'est pas
possible. »
v Mme E. : « je n'ai pas de projet pour
cet été. Les vacances, c'est ce qui me manquent le
plus. »
v Mr et Mme D. : « on part pas en
vacances et c'est ça le plus dur. En plus, pendant les vacances, non
seulement on ne peut pas partir mais en plus, bouger, c'est mettre de l'essence
et mettre de l'essence ça veut dire mettre de
l'argent. »
v Mr F. : « depuis le plan, je ne suis
pas parti en vacances ni en week-end. Même si j'aimerais bien, ça
coûte de l'argent. »
Le budget est, semble-t-il, trop serré et ne
permettrait pas aux personnes d'envisager un départ en vacances.
Toutefois, d'après les différents éléments mis en
avant précédemment, nous pouvons dire que ce sont les personnes
qui se « refusent » les loisirs et les vacances. Face
à cette auto-exclusion, et avec un budget serré, les familles se
sentent exclues.
v Mme A. : « je me sens exclue car, par
exemple, tout le monde parle d'Internet et moi, je ne l'ai
pas. »
v Mr F. : « quand on a un dossier de
surendettement, on est exclu des loisirs. »
v Mr et Mme D. : « oui, on se sent exclus
quand même, on a plus accès aux loisirs comme avant et les
vacances, n'en parlons pas. »
v Mme B. : « c'est plus pour ma fille que
pour moi les loisirs. Je préfère me priver pour qu'elle soit
intégrée. C'est à moi d'être exclue, pas à ma
fille. »
v Mme E. : « je me sens exclue.
J'aimerais être comme eux, en terrasse. »
c) Les loisirs pour les enfants
Les personnes ayant des enfants s'auto-excluent de
l'accès aux loisirs pour permettre à leurs enfants d'y
accéder.
v Mme B. : « j'essaie de faire plaisir
à mes enfants(...) Même si je n'ai pas trop les moyens, je leur
explique que ce mois-là, on peut pas, on n'a pas de sous, c'est dur
(...) Il ne faut pas tout dire aux enfants. »
v Mme E. : « de temps en temps, je lui
donne [à ma fille] un peu d'argent de poche mais ce n'est pas
régulier (...) Je préfère me priver moi-même (...)
Je veux éviter qu'elle se rende compte. C'est pas aux enfants de
souffrir de la situation. »
d) Les projets des familles
J'ai cherché à savoir si le plan conventionnel
de redressement permet aux familles de pouvoir faire des projets ou si au
contraire, le plan les fragilise au point de ne plus être en
capacité d'en faire.
v Mme A. : « des projets...oui mais pas
tout de suite. »
v Mme B. : « après le plan, mon
projet, c'est de partir en vacances. »
v Mme C. : « non, je n'en ai pas, je ne
peux pas en faire des projets. Je me refuse d'en faire. Je vis comme une
hermite, comme une veuve, car à cause du dossier, je ne peux pas
retrouver quelqu'un. Comment lui annoncer : « au fait, j'ai un
dossier de surendettement », et les sorties, ça ne peut pas
être toujours le même qui paie. J'ai pas été
élevée comme ça. »
v Mr et Mme D. : « non, je ne peux pas
faire de projets. A pâques, il va faire beau mais je veux qu'il
pleuve : les gens vont s'en aller trois jours en week-end et nous non, je
ne peux pas faire ce genre de projets. »
v Mme E. : « j'aimerais partir 8 jours en
vacances en Bretagne, mais il faudrait que je gagne au loto pour
ça ! »
v Mr F. : « des projets ? Non, je ne
peux pas. »
D'après ces constats, il semblerait que le plan ne
permet pas aux personnes de faire des projets. Toutes les personnes
interrogées n'ont mentionné que des projets loisirs, vacances.
Aucune n'a émis de projets professionnel, immobilier ou autre. Il
semblerait que ces personnes soient contraintes de ne pas faire de
projets : « je ne peux pas ». Ainsi, le projet loisir
ou vacances ne résulterait pas de leur volonté mais
dépendrait de la Banque de France. Ces personnes laissent entendre que
le dossier de surendettement, autrement dit la Banque de France, interdit de
faire des projets.
L'ensemble des personnes interrogées ont reconnu avoir
eu, à un moment donné, l'envie de ne plus respecter le plan, de
ne plus rembourser les créanciers, pour pouvoir accéder aux
loisirs et aux vacances. Ce désir est engendré par la frustration
et le sentiment de ne plus pouvoir accéder aux loisirs.
v Mme B. : « j'ai pensé tout
larguer car je me sens vraiment mal des fois. J'ai l'impression de ne plus rien
pouvoir faire. Mais, je me dis : « comment je vais faire
après ? » Et les conséquences...si c'est pour
avoir du harcèlement après, c'est pas la peine, je ne
supporterais pas. Mais en même temps, c'est tellement frustrant de voir
tout le monde vivre et pas nous. »
v Mme C. : « j'ai déjà eu
envie de tout laisser tomber mais je sais qu'il ne faut pas que je
déraille. Des fois, je me dis bien : « tiens ce mois-ci
tu paies pas les créanciers, ça te paie ta location »,
mais ça veut dire que quand tu rentres des vacances, c'est les lettres
de relance, les menaces de saisies. C'est plus les conséquences qui me
font peur, car péter les plombs, oui, ça m'arrive. Partir
à l'aventure, j'aimerais bien. Maintenant, je pense aux
conséquences avant d'agir alors qu'avant, j'agissais et après je
pensais aux conséquences, car, je sais que tout ce harcèlement,
c'est illégal en quelque sorte, mais ils profitent de la
fragilité des gens. Je me suis enfermée dans mon truc. Ce qui me
manque, c'est d'être en repos, et ne rien faire, parce que même
bouger pour aller se promener à la plage, mais ça veut dire faire
un plein d'essence. C'est dur de vivre au jour le jour, sans pouvoir se
projeter dans l'avenir. A une époque, je me disais, t'as pas de sous,
ton frigo est vide, alors prends un cachet et dors toute la
journée. »
v Mme E. : « j'ai déjà eu
envie de tout lâcher mais je n'ai pas envie de recommencer la
galère. Faut faire avec, mais c'est vrai que c'est
tentant. »
Il semblerait que les personnes soient tentées de ne
plus honorer les remboursements pour s'octroyer des moments de
« répit », de vacances. Cependant, la crainte des
poursuites les en dissuadent. Le plan ferait donc prendre conscience des
risques encourus en cas de non paiement.
Les personnes, de par cette frustration et ce sentiment
d'exclusion de l'accès aux loisirs souffrent d'un manque de
reconnaissance sociale. Elles s'efforcent de maintenir une certaine image
sociale et continueraient de vouloir s'identifier à une classe sociale
supérieure. Nous avons abordé ces différents thèmes
dans la partie théorique de ce mémoire et nous allons tenter de
comprendre comment ces personnes tentent de satisfaire ce besoin de
reconnaissance sociale, ainsi que les stratégies d'identification
sociale.
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