4. La (nouvelle) géographie économique
Ce courant s'est développé à partir d'une
constatation: l'activité économique est souvent polarisée
autour de quelques « clusters » et cette concentration
économique affecte bien entendu la répartition du revenu entre
les régions. Un des précurseurs de ce courant théorique,
Williamson (1965) pense que la croissance économique est initialement
entraînée par la dynamique d'un certain nombre
d'agglomérations majeures. Ainsi, dans un premier temps, une forte
croissance s'accompagne d'une plus grande disparité régionale.
Mais après un certain laps de temps, la vapeur aurait tendance à
se renverser à cause notamment de surcoûts liés à la
congestion de ces pôles économiques. Ces externalités
négatives pousseraient en effet les facteurs de production à se
re-localiser dans des régions moins engorgées, moins
saturées. Après une première période de divergence
économique, on assisterait ensuite à une convergence des niveaux
de revenu par tête.
La géographie économique introduit
également le problème du spillover effect qu'on peut
facilement illustrer en matière de transport : le développement
des infrastructures de transport pourrait s'avérer défavorable
aux régions pauvres en favorisant la migration d'entreprises
désireuses de profiter des externalités
positives des agglomérations. Un tel phénomène peut
être amplifié par une politique européenne dynamique en
matière de transports interrégionaux. Nous reviendrons plus
longuement sur cette question à la fin du travail.
Plus récemment, Krugman (1991) a
développé dans le cadre de la "nouvelle géographie
économique13" un schéma pour étudier
l'interaction entre les externalités positives des agglomérations
et les autres forces économiques influant sur les décisions de
localisation. Il s'agit en fait d'une théorie de commerce international
montrant que l'existence de rendements d'échelle croissants
combinés à des frais de transport suffit à produire une
concentration des activités économiques dans un nombre restreint
de régions. Une intégration économique plus poussée
accroît le commerce et la mobilité des facteurs, ce qui à
son tour génère de nouvelles opportunités
d'économies d'échelle et de spécialisation. Cela conduit
à un schéma "centrepériphérie" assez proche du
cercle vicieux de Myrdal. La différence entre les deux modèles
réside dans le caractère accessoire des économies externes
dans le modèle de Krugman14 alors que pour Myrdal, ces
mêmes économies d'agglomération sont le moteur de la
concentration territoriale de l'activité économique.
Chez Krugman, ce sont les économies internes aux
entreprises qui favorisent nécessairement la concentration spatiale. Les
coûts de transport, par contre, y jouent un rôle plus ambigu. En
cas de faible diminution, ils encourageront la polarisation alors qu'une forte
réduction de ceux-ci permettra une redistribution spatiale plus
équilibrée. Cela s'explique par le fait qu'une diminution des
coûts de transport, selon son ampleur, favorise soit la production dans
la région où elle est la moins chère, soit l'utilisation
extensive des économies d'échelle.
Dans le cadre européen, on peut élargir les
coûts de transport à tous les coûts de
transaction15 sans pour autant modifier les conclusions de Krugman :
si une éradication complète des obstacles aux échanges
accroît la compétitivité des régions
périphériques, une élimination partielle ou imparfaite de
ces obstacles peut, au contraire, engendrer des effets pervers en aggravant les
déséquilibres régionaux.
Par ailleurs, la nouvelle géographie économique
identifie trois scénarii plausibles pour le développement
régional de l'Europe (Braunerhjelm et al. 2000) :
13 Voir aussi Venables (1996)
14 La concentration spatiale de l'activité
économique y est expliquée par des « externalités
pécuniaires » (coûts de transport, économies
d'échelle).
15 Les coûts de transactions englobent les coûts de
transport et toutes les formes de barrières au commerce.
1. La plupart des régions vont être capables
d'exploiter leurs avantages comparatifs. Ce qui va nécessairement
conduire à un développement régional
équilibré et convergent.
2. On peut s'attendre à une forte concentration
géographique si les externalités positives des
agglomérations sont importantes. Combiné avec une grande
mobilité du travail, ce scénario prévoit une convergence
du revenu par tête mais en laissant certaines régions largement
dépeuplées.
3. En cas de faible mobilité du travail, on assistera
inévitablement à une polarisation accrue entre régions
avancées et régions pauvres et à une divergence du revenu
par tête.
Enfin, la géographie économique met en
évidence le trade-off entre équité et
efficience16 auquel font face les pouvoirs publics : si d'un point
de vue éthique, il semble opportun d'inve stir prioritairement dans les
régions pauvres, il peut être économiquement encore bien
plus efficace d'investir ces ressources dans les régions riches aux taux
de rendement social17 généralement supérieurs.
Nous verrons si, dans la pratique, l'Union Européenne rencontre ce
dilemme. Mais avant cela, nous allons confronter ces prédictions
théoriques aux réalités de ces dernières
décennies.
16 Signalons au passage que l'approche de Perroux (1958)
atténue sensiblement ce dilemme entre équité et efficience
puisque les investissement dans les pôles de croissance seraient alors
destinés à accentuer, à terme, les effets de contagion
profitables aux régions défavorisées environnantes.
17 Ou taux de rendement total pour la société en
général.
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