Chapitre 2 : Evaluations empiriques des
différents
schémas de convergence
Comme nous venons de le voir, la convergence économique
est un concept clé dont la littérature théorique ne cesse
de discuter. Que ce soit au niveau mondial ou dans le contexte européen,
il faut bien admettre que l'enjeu est capital. Parce que c'est une condition
sine qua non à sa prospérité et à sa
stabilité, l'Union Européenne a fait de la réduction des
disparités économiques une de ses priorités
absolues18. Nous présenterons plus loin les outils dont elle
s'est dotée pour réaliser ses ambitions. Nous tenterons alors de
voir dans quelles mesures la politique régionale européenne a
atteint ses objectifs de convergence. Mais avant cet examen, nous devons
d'abord essayer de comprendre en profondeur les termes du débat et pour
cela cerner précisément les concepts clés. Qu'entend-t-on
exactement par convergence? Existe-t-il différents types de convergence
économique régionale? Une fois le cadre méthodologique
dessiné, nous observerons l'évolution du processus de convergence
régionale en Europe ces dernières décennies. Ce n'est
qu'ultérieurement que nous chercherons un éventuel lien entre
l'évolution des disparités régionales et la politique
régionale européenne.
A. La convergence : cadre méthodologique
"Il y a convergence lorsque la différence entre des
séries ou leur dispersion se réduit dans le temps." (Fuss,
1999, p. 222)
Cette définition assez simple cache une réelle
complexité. La littérature présente en effet de nombreux
types de convergence économique. Il peut s'agir par exemple de
convergence nominale d'indicateurs macroéconomiques, comme dans
le cadre du Traité de Maastricht19. Pour notre part, nous
nous intéresserons ici à la convergence réelle et
plus précisément, à la réduction de
disparités de bien-être entre régions ou entre pays au sein
de l'Union Européenne.
Dans ce domaine particulier, il existe encore différents
schémas de convergence20 et quantité de techniques
d'évaluations différentes21. Si certains auteurs
proposent parfois des méthodes
18 Article 158 de l'Acte Unique Européen signé en
1986.
19 Convergence des taux d'inflation, des taux
d'intérêts, des déficits publics et des dettes publiques
nationales.
20 Voir notamment Fuss (1999).
21 Ex: tests de convergence en panel, tests de convergence en
distribution, tests de convergence en séries chronologiques. Pour une
revue de la littérature, voir Fuss (1999)
d'estimation très personnelles. En revanche, les tests
de convergence en coupe transversale, tels qu'introduits par Baumol (1986),
puis développés par Barro et Sala-i-Martin (1991, 1992), sont
incontournables et de nombreux auteurs emploient ces méthodes pour leurs
propres exercices empiriques.
Présenter, de façon synthétique et
comparée, un nombre important de ce type d'estimations de convergence
pour pouvoir en dégager certaines tendances nous a paru être le
meilleur moyen de participer au débat. Vu la quantité et la
diversité des travaux déjà menés dans le domaine,
ainsi que le faible nombre d'analyses synthétiques, il nous a
semblé utile de mener un tel travail pour l'essentiel des recherches
réalisées sur ce qu'on appelle la ý-convergence, la f3-
convergence absolue et conditionnelle. En effet, malgré les limites de
ces techniques sur lesquelles nous reviendrons, ces trois grands types de
convergence restent de loin, à l'heure actuelle, les méthodes
d'estimation les plus répandues et donc les plus à même de
permettre des analyses comparatives de leurs résultats.
Dans cette revue de la littérature, une comparaison
crédible et pertinente des résultats des différents
auteurs nécessite, dans la mesure du possible, l'emploi de termes et de
variables homogènes. Ainsi, pour ce qui est du découpage
géographique des régions, nous nous référons, comme
la plupart des auteurs, à la Nomenclature des Unités
Territoriales Statistiques (NUTS). Il s'agit du classement des
différentes zones et régions administratives de l'Union
Européenne en catégories relativement homogènes.
L'ensemble du territoire est ainsi subdivisé en plusieurs niveaux.
L'Europe des 15 compte 77 régions NUTS I, 206 régions NUTS II et
712 régions NUTS III. Pour la Belgique, le niveau NUTS I correspond aux
trois régions, le niveau NUTS II aux 10 provinces et le niveau NUTS III
aux 43 arrondissements. Soulignons tout de même que ces chiffres peuvent
évoluer avec certaines réformes nationales comme le passage de 9
à 10 provinces en Belgique ou la scission de l'Irlande en deux
régions NUTS II en vue de conserver une partie de son territoire
éligible à l'Objectif 122.
Enfin, les tests de convergence économique peuvent
porter sur quantité de variables différentes : la
productivité par travailleur (Boldrin & Canova, 2001), la valeur
ajoutée brute par travailleur (Martin, 2001), le produit
intérieur brut par travailleur (Paci & Pigliaru, 2001), la
production par personne en âge de travailler (Lebre de Freitas, Pereira
& Torres, 2003), le taux de chômage (Basile, de Nardis & Giradi,
2001), etc. Nous avons, pour notre part, retenu le Produit Intérieur
Brut par habitant (PIB/hab.) comme variable de référence pour nos
comparaisons. C'est incontestablement l'indicateur le plus couramment
utilisé dans la
22 Nous avons développé ce dernier point dans notre
rapport de stage (Defourny, 2004, p. 45.)
littérature, essentiellement en raison de sa
disponibilité23. Il n'est pourtant pas exempt de reproche et
son interprétation exige une certaine prudence. Comme le font remarquer
Houard et Marfouk (2000, p. 25) "le PIB doit être
interprété comme une mesure de la production totale d'une
région et non de son niveau de richesse ... il représente la
somme des valeurs ajoutées produites par les unités de
productions résidentes dans une région, sans prendre en
considération la localisation (lieu de résidence) des facteurs de
production."
Plus le niveau d'analyse sera détaillé et la
nomenclature fine (ex : au niveau NUTS III), plus le biais
généré par le choix du PIB par habitant comme indicateur
du bien-être régional sera important. Comme le souligne Magrini
(2003), cette remarque prend tout son sens dans le cas de régions
métropolitaines où le lieu de résidence est souvent
différent du lieu de travail. Le contexte belge est
particulièrement parlant. En effet, plus de la moitié des
travailleurs employés dans la région de Bruxelles-Capitale sont
des "navetteurs" résidant en Wallonie et en Flandre. En
préférant le PIB par habitant, nous observerons donc des
écarts régionaux nettement plus importants que si nous avions
choisi le revenu par tête.
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