Chapitre 5 : Les facteurs d'efficacité et de
distorsion de
la Politique de Cohésion
Nous avons vu que l'évaluation de l'impact de la
Politique de Cohésion sur la convergence demande beaucoup de nuances.
Suivant le point de vue adopté, la méthode employée ou
l'échantillon étudié, on peut arriver à des
résultats assez variables. Cette variabilité renvoie largement
à une série de conditions et circonstances dans lesquelles la
politique européenne est concrètement mise en oeuvre. Nous allons
maintenant synthétiser les principaux facteurs explicatifs de la
réussite ou de l'échec de la Politique européenne de
Cohésion.
On peut d'abord identifier les atouts ou les handicaps propres
à chaque région et déterminant la
réceptivité de celle-ci à l'aide
européenne. Ce sont des caractéristiques inhérentes
à chaque région permettant ou empêchant les Fonds
européens d'influer sur la croissance économique. Ensuite, il y
a, ce que l'on peut appeler, les complications qui viennent perturber
l'efficacité des aides européennes et qui peuvent expliquer
certains échecs. Il s'agit plutôt de tournures prises par les
évènements plutôt que de caractéristiques
régionales. Nous présenterons ainsi les effets pervers induits
par l'intervention européenne de même que certains
problèmes liés à la concrétisation de la Politique
de Cohésion.
A. Les facteurs conditionnant l'impact des Fonds
Structurels sur la convergence
Comme le montrent notamment Cappelen et al. (2003), l'impact
économique des aides régionales européennes dépend
considérablement de la réceptivité de l'environnement
bénéficiaire. Nous avions déjà vu, avec
l'introduction de country dummy variables dans les estimations de
f3-convergence, que l'appartenance nationale est un facteur
conditionnant significativement la convergence. Nous allons voir à
présent que la "nationalité" d'une région est importante
à plusieurs égards. En effet, la plupart des autres facteurs
déterminants y sont étroitement liés.
La toute grande majorité des projets pour lesquels les
Fonds Structurels interviennent sont le résultat d'un partenariat entre
plusieurs bailleurs de fonds, publics au niveau régional et/ou national,
privés et européens. En vertu de la règle de
l'additionnalité, le taux de participation des Fonds est plafonné
selon la région et l'Objectif dont elle relève. L'ampleur du
cofinancement peut donc être très
variable, ce qui peut, notamment, atténuer l'impact redistributif dont
nous avons parlé plus tôt. "Lorsque le coût total des
projets est pris en considération, la redistribution équitable
que nous avons observée au niveau européen disparaît."
(Basile, de Nardis & Girardi, 2001, p. 23). Mais l'ampleur du
cofinancement modifie aussi naturellement l'impact final de la Politique de
Cohésion sur la croissance régionale. Malheureusement, les moyens
dont une région dispose pour compléter l'investissement
européen dépendent généralement de la situation
économique initiale de celle-ci. "Les régions riches
sont plus à même d'accompagner les Fonds Structurels ... Il est
rare que les cofinancements parviennent à doubler la mise
européenne pour les régions pauvres alors qu'ils peuvent la
tripler ou la quadrupler pour des régions de richesse moyenne ou
élevée." (Fayolle & Lecuyer, 2000, p. 179). Evidemment,
l'appartenance nationale influence largement la capacité
d'investissement d'une région. Par exemple, les pays riches ont tendance
à se montrer plus généreux à l'égard des
régions qui, dans une perspective nationale, sont plus pauvres.
Parmi les facteurs influençant l'efficacité de
la Politique de Cohésion, on compte aussi la qualité des
institutions et le degré de décentralisation
politique et institutionnel. Stoianov (2002) et Lebre de Freitas, Pereira
& Torres (2003) ont montré que la qualité des
institutions conditionne à la fois la bonne gestion mais aussi
l'obtention des Fonds. Certains auteurs insistent sur la transparence des
administrations publiques et sur l'éventuelle présence de
corruption en leur sein. Mais si la qualité des institutions semble
déterminante, elle reste difficilement quantifiable et comparable. En
revanche, Fayolle & Lecuyer (2000), mais surtout Vanhove (2000) et Taylor
& Wren (1997) ont mis en évidence la nécessité d'une
gestion locale autonome des Fonds européens. Officiellement,
les autorités régionales sont sensées être
l'interlocuteur privilégié de l'Union Européenne.
Cependant, certains Etats membres (par exemple la France)
préfèrent centraliser le pouvoir de décision et traiter
directement avec les institutions européennes. Or, les priorités
et les sensibilités ne sont certainement pas toutes identiques en Corse
et à Paris.
Pour Quah (1996c) et Dall'Erba & Le Gallo (2003), ce sont,
avant tout, des facteurs proprement territoriaux qui conditionnent
l'efficacité des aides européennes : situation
géographique par rapport au centre de l'Europe, proximité de
pôles économiques de niveau continental, connexion à un
réseau international de transport, externalités entre
régions mitoyennes, etc. Nous ne reviendrons pas davantage sur ces
facteurs spatiaux dont nous avons déjà discuté lors de la
critique de la f3-convergence.
Si les auteurs insistent tantôt sur l'un ou l'autre
facteur, l'appartenance nationale semble être le meilleur indicateur
synthétique de ces différents facteurs, une sorte de "boîte
noire" dont parlaient Cuadrado-Roura et al. (2000). Malheureusement, comme on
pouvait s'y attendre, les études ne s'accordent pas tout à fait
sur les appartenances nationales favorisant (ou freinant) l'efficacité
des Fonds Structurels. Pour Ederveen, de Groot & Nahuis (2002), les pays
présentant les conditions les plus défavorables pour recevoir des
Fonds européens sont la Grèce, l'Espagne, l'Italie et le Portugal
et dans une moindre mesure la France. La mauvaise qualité des
institutions, le niveau de corruption et leur faible ouverture
économique annihileraient, dans ces pays, l'influence des aides
européennes sur la croissance régionale. Selon Fayolle &
Lecuyer (2000), les appartenances nationales les plus handicapantes seraient
françaises, italiennes, britanniques et espagnoles. Pour Dall'erba &
Le Gallo (2003), les régions hyper-périphériques
présentent un handicap tel qu'il est insurmontable dans le cadre actuel
de la Politique de Cohésion. Globalement, "il semble que les Fonds
soient les moins efficaces là où on en a le plus besoin."
(Cappelen et al., 2003, p. 640).
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