2. Les évaluations plutôt négatives
Nous allons maintenant aborder des études
présentant un tout autre bilan de l'impact de la Politique de
Cohésion sur la convergence régionale. Toutefois, parmi ces
travaux aux
105 L'échantillon compte 190 régions NUTS I et
II.
conclusions plus négatives, le discours peut aller du plus
radical au plus nuancé. Nous procéderons dans cet ordre pour les
présenter.
Peu d'études arrivent à des conclusions
totalement négatives ne reconnaissant absolument aucun impact positif
des Fonds Structurels sur la croissance. On compte parmi celles-ci les travaux
réalisés par Basile, de Nardis & Girardi (2001) et surtout
par Boldrin & Canova (2001). Ce dernier article en particulier est
régulièrement cité et représente, en quelque sorte,
le fer de lance de l'opposition à la Politique de Cohésion.
Boldrin & Canova (2001) trouvent, en effet, pour la
période de 1980 à 1996, une situation régionale
européenne extrêmement stable. En dehors de quelques "miracles" et
"désastres" économiques, ils n'observent ni convergence ni
divergence entre les régions. Pour eux, le développement de la
Politique de Cohésion à la fin des années quatre-vingt
n'aurait eu aucun impact et les régions bénéficiaires des
Fonds Structurels ne manifesteraient aucun signe de rattrapage. Selon ces deux
auteurs, les motivations sous-jacentes à la politique européenne
sont d'ordre politique et non économique. La Politique de
Cohésion ne fait, dès lors, que redistribuer une partie du revenu
sans espérer avoir la moindre influence sur le taux de croissance. Cette
étude a été vivement critiquée par Funck, Pizzati
& Bruncko (2003) et par Cappelen et al. (2003).
En fait, la grande majorité des travaux
économétriques arrivant à une conclusion plutôt
négative sont nettement plus nuancés. Certains, comme Herz (2002)
ou Solanes & MaríaDolores (2001) trouvent un impact non significatif
ou extrêmement faible. Dans de tels cas de figure, les Fonds Structurels
ne semblent pas avoir de véritable influence sur la convergence. Mais
d'autres travaux ne s'arrêtent pas là. Après avoir
observé la même "inefficacité absolue" de la Politique de
Cohésion, certains auteurs découvrent que son impact est en fait
conditionné par d'autres facteurs.
Ainsi, selon Lebre de Freitas, Pereira & Torres (2003),
dans l'ensemble, les régions NUTS II bénéficiant du statut
Objectif 1 n'obtiennent pas un taux de croissance supérieur aux autres
pour la période 1990-2001. Ils arrivent à ces résultats en
intégrant à l'estimation de f3- convergence conditionnelle une
variable dummy contrôlant l'éligibilité à
l'Objectif 1. Cependant, l'influence de la qualité des institutions
nationales et régionales semble très importante. Ces
résultats les amènent à la conclusion que la bonne gestion
des Fonds Structurels est bien plus déterminante que la simple
réception des aides. La Politique de Cohésion ne serait donc
efficace qu'en présence d'institutions de qualité.
Pour la période 1960-1995 au niveau NUTS I, des
économistes du CPB106 de La Haye, obtiennent, à l'aide
de régressions de f3-convergence conditionnelle des résultats
similaires. Ainsi, selon Ederveen, de Groot & Nahuis (2002), les Fonds
Européens de Développement Régional ne seraient que
conditionnellement efficaces. Ce n'est que combinés à des
instituions publiques de qualité et à un degré
élevé d'ouverture107 de l'économie que ces
Fonds influenceraient positivement la croissance.
Bien qu'il trouve une convergence régionale forte et
significative pour la période 1992-1999, Stoianov (2002) observe que
tous les paramètres liés aux Fonds européens sont non
significatifs. Il conclut dès lors que la convergence semble plus
dépendre de la rigueur des institutions publiques, de la
stabilité macroéconomique, de la capacité d'adaptation au
marché unique ou du niveau technologique que de la simple
réception de Fonds Structurels ou de Cohésion.
Pour la période 1989-1999, Dall'erba & Le Gallo
(2003)108 utilisent dans un premier temps une estimation de
f3-convergence conditionnelle qui les conduit à la conclusion que les
Fonds Structurels n'exercent pas d'influence significative sur le processus de
convergence. Dans un second temps, une "Spatial Weight Matrix" leur
permet de prendre en compte des influences et des interdépendances
spatiales dont nous avons déjà parlé plus tôt. Ils
identifient ainsi une forte autocorrélation spatiale, ce qui signifie
que la croissance d'une région est largement influencée par la
croissance des régions qui l'entourent. Il apparaît aussi que les
régions riches du centre de l'Europe109 ont un effet de
diffusion nettement plus puissant que les autres. En y regardant de plus
près, l'effet de diffusion et d'entraînement des régions
centrales ne semble atteindre que les régions
périphériques les plus proches du coeur du continent. Pour ces
régions "intermédiaires", les Fonds semblent jouer pleinement
leur rôle et leur permettre de rejoindre le "club" des régions les
plus avancées. Par contre, les régions les plus
éloignées, comme le Sud de l'Italie ou certaines régions
portugaises et grecques apparaissent totalement isolées de la dynamique
continentale. Les Fonds Structurels alloués aux régions
hyperpériphériques sont donc largement insuffisants pour leur
permettre de surmonter leurs handicaps. Les auteurs penchent, dès lors,
pour l'hypothèse de "clubs de convergence" distincts pour les
régions hyper-périphériques et pour les régions
centrales et avoisinantes. Ils confirment ainsi les estimations de Beine &
Jean-Pierre (2000) ainsi que de Baumont et al.
106 Cenraal Planbureau: Netherlands Bureau for Economic Policy
Analysis
107 Le degré d'ouverture d'une économie est
calculé par le rapport de la somme des importations et des exportations
sur le PIB.
108 Pour un échantillon de 145 régions NUTS I et
II.
109 Il s'agit essentiellement du Benelux, du Nord Est de la
France et de l'ex-Allemagne de l'Ouest.
(2002) pour lesquels l'impact global des Fonds n'est pas
significatif et leur efficacité conditionnée par le
développement et le dynamisme des régions environnantes.
En résumé, la plupart des études dites
négatives trouvent au mieux, pour la Politique de Cohésion, une
efficacité conditionnée par différents facteurs comme la
qualité des institutions, l'appartenance nationale, le degré
d'ouverture de l'économie ou la situation géographique par
rapport au centre de l'Europe. Ce qui importe ici, c'est que peu
d'études reconnaissent que la simple perception de Fonds
Européens joue un rôle significatif sur la croissance.
Au terme de ce chapitre, il semble, en tout cas, impossible de
tirer une conclusion nette et précise à propos de l'impact
réel ou potentiel de la Politique de Cohésion sur la convergence
régionale. Si certaines études nous paraissent plus pertinentes
et plus fouillées que d'autres, comme par exemple Cappelen et al. (2003)
ou Dall'erba & Le Gallo (2003), elles ne vont pas nécessairement
dans le même sens. Comme l'écrit Bradley (2002) : "Quiconque
attend une réponse simple et unique à la question : "Quel est
l'impact de la Politique de Cohésion sur le PIB régional?" sera
forcément déçu." (Bradley, 2002, p. 5).
De ces différents résultats, une tendance se
dégage néanmoins : si influence positive il y a, celle-ci serait
plus importante pour les régions plus développées. En
effet, les régions les plus favorisées semblent, en
général, collectionner les facteurs influençant
positivement l'efficacité des aides européennes. Comme dit Martin
(1998), si les dépenses structurelles ont renforcé la convergence
entre pays, c'est en accélérant la croissance des régions
déjà favorisées des pays pauvres.
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