B. L'évaluation de l'impact de la Politique
européenne de Cohésion sur la convergence régionale
Nous avons vu dans la première partie que la
convergence régionale en Europe avait timidement redémarré
vers le milieu des années 80. Cette époque coïncide
justement avec le développement de la Politique européenne de
Cohésion. De là à y voir un lien de cause à effet,
il y a un pas que nous ne pouvons faire à ce stade. Le redressement de
la convergence peut en effet être le résultat de quantité
d'autres phénomènes structurels ou conjoncturels. Une estimation
de l'impact des Fonds Structurels sur la convergence requiert, dès lors,
une analyse bien plus approfondie. Un certain nombre d'auteurs s'y sont
déjà employés sans nécessairement arriver à
des conclusions concordantes. Essayons néanmoins de cerner ces
tentatives.
Une fois de plus nous devons limiter le champ de nos
investigations à un aspect particulier de la politique régionale
européenne. Sans nier les multiples influences de la Politique de
Cohésion ni la réussite microéconomique des projets, nous
ne nous intéresserons ici qu'à son impact sur le processus de
convergence régionale99. Un travail comme celui de Bachtler
& Taylor (2003) aide à prendre conscience de la complexité du
rôle joué par les Fonds Structurels. Notre approche limitée
du problème ne nous permettra donc en aucun cas de conclure à
l'échec ou à la réussite d'ensemble des Fonds
Structurels.
Dans la recherche de liens éventuels entre Politique de
Cohésion et croissance du PIB/hab., on peut distinguer deux grandes
approches radicalement différentes : d'une part l'évaluation par
études économétriques ex-post, d'autre part, l'analyse par
des modèles économiques se plaçant plutôt ex-ante.
Comme auparavant, dans le cadre de ce travail, nous ne arrêterons pas sur
les aspects techniques et méthodologiques de ces approches. Nous
rappelons une nouvelle fois, que l'objectif est ici de réaliser une
synthèse la plus complète possible de la littérature pour
en dégager, dans la mesure du possible, les principales tendances.
Comme précédemment pour la convergence, nous
privilégions ici le niveau régional car c'est à ce niveau
qu'il y a débat. Cour & Nayman (1999) résument bien les
raisons de notre choix : « Si toutes les études s 'accordent
pour reconnaître que la politique régionale européenne
contribue de façon significative au rattrapage économique des
pays, certaines attirent
99 Pour rappel, nous n'observons que la convergence du
PIB/hab.
l'attention sur le fait que le soutien européen aux
régions défavorisées peut ne pas atteindre l'objectif de
cohésion régionale recherché. » (Cour &
Nayman, 1999, p. 4).
Pour donner un premier aperçu de l'intensité du
débat, voici l'un ou l'autre exemple de ce qu'on peut trouver dans la
littérature. Du côté de la Commission Européenne, on
peut trouver l'affirmation suivante : "Les résultats positifs de la
politique régionale en termes de cohésion sont identifiables et
identifiés. C'est un avis général pratiquement
indiscutable. L'évaluation de la contribution (des Fonds
Structurels) à la cohésion et à la réduction
des disparités est extrêmement positive." (Commission
Européenne, 2003a). Boldrin & Canova (2001, p. 242) ont un tout
autre discours : "Si le véritable objectif de la politique
régionale est de favoriser la croissance des régions les plus
pauvres et d'encourager la convergence, alors les politiques adoptées
par l'Union ne sont pas justifiables à la lumière des
théories économiques récentes et des preuves
statistiques." Ces auteurs appellent à "la révision
immédiate et drastique des politiques économiques
régionales". Basile, de Nardis & Girardi (2001, p. 24), de leur
côté, simplifient un peu (trop) la situation : "En
général, il y a une large divergence entre le jugement (positif)
de la Commission Européenne et celui (plus critique) exprimé par
les autres travaux. " Essayons, pour notre part, d'y voir un peu plus
clair.
Les divergences entre les conclusions étant très
importantes, nous avons choisi de présenter successivement les travaux
obtenant des résultats plutôt positifs, puis les études
arrivant à des conclusions plus négatives quant à
l'influence de la Politique de Cohésion sur le processus de convergence
régionale. Nous avons renoncé à une présentation
sous forme de tableau, car les résultats dégagés ici s'y
prêtent moins que les estimations de la convergence.
1. Les évaluations plutôt
positives
Dans cette catégorie, on rencontre des évaluations
basées sur des modèles macroéconomiques, mais aussi
plusieurs études économétriques.
1.1. Les modèles
macroéconomiques
A notre connaissance, la plupart des simulations
macroéconomiques prêtent un rôle important aux Fonds
Structurels dans le processus de convergence à l'échelle
européenne. HERMES, HERMIN ou QUEST sont autant de modèles
sensés permettre de mesurer l'impact macroéconomique des Fonds
Structurels. La Commission Européenne, de même qu'un certain
nombre d'auteurs "indépendants"100, ont
ainsi modélisé l'influence des Fonds européens sur la
croissance régionale. Une telle modélisation présente
indéniablement certains avantages. Elle permet notamment de comparer la
situation actuelle avec ce qu'elle aurait été en l'absence de
Fonds Structurels. Pourtant, alors que la Commission fonde l'essentiel de son
discours sur des simulations macroéconomiques de ce type, ce genre
d'approche a été vivement critiqué :
- Pour Cappelen et al. (2003), de telles estimations
dépendent excessivement des hypothèses sous-jacentes au
modèle. La relation entre les causes et les effets est postulée.
Les suppositions sur lesquelles sont construites le modèle peuvent
influencer considérablement le résultat et ainsi conduire
à des conclusions erronées.
- De l'aveu même de la Commission
Européenne101, les bases de données existantes ne
permettent pas d'appliquer de manière efficace les modèles
macroéconomiques à l'analyse des régions. A l'heure
actuelle, la simulation ne peut être employée de façon
pertinente qu'à l'étude de la convergence au niveau national.
- Selon Ederveen et al. (2002), l'emploi de modèles
macroéconomiques ne donne qu'une idée des effets potentiels,
naturellement positifs, des Fonds Structurels. Les résultats sont
obtenus de façon "indirecte" et la simulation n'intègre aucune
des nombreuses complications qui peuvent intervenir dans la
réalité. Elle part du principe que l'intégralité
des Fonds est effectivement transformée en investissement public
productif. Nous reviendrons par la suite sur ces "imprévus" qui
affaiblissent l'efficacité des Fonds.
- Enfin, Cour & Nayman (1999) estiment que les
modèles reposent sur des simulations de ce qu'aurait été
la situation en l'absence de politique structurelle. Selon eux, cela permet, au
mieux, d'envisager un futur de court terme mais certainement pas
d'appréhender des effets à moyen et long terme.
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