La Convergence Régionale dans l'Union Européenne. Le Rôle des Fonds Structurels.( Télécharger le fichier original )par François Defourny Université de Liège - Maîtrise en Sciences Economiques 2003 |
Chapitre 4 : L'impact de la Politique européenne deCohésion sur l'évolution des disparités régionalesBien entendu, les Fonds Structurels ne se contentent pas de redistribuer des ressources financières. Ils ambitionnent d'agir positivement sur les facteurs de développement régional pour favoriser la réduction des disparités. Si le processus de convergence que nous avons observé entre les régions est relativement modeste, il semble s'être amélioré depuis la fin des années quatre-vingt. Il est temps pour nous d'évaluer le rôle éventuellement joué par la politique régionale européenne dans ce redressement. Avant toute chose, soulignons prudemment qu'une multitude d'autres facteurs peuvent influer positivement ou négativement sur le processus de convergence84. Plus précisément encore, l'impact macroéconomique des Fonds européens est d'autant plus difficilement estimable que les variables structurelles sur lesquelles se basent les critères d'éligibilité des régions peuvent affecter la croissance économique indépendamment des Fonds eux-mêmes85. Par exemple, les régions dites "Objectif 1" sont sélectionnées en fonction de la faiblesse de leur PIB/ hab. et il est, dès lors, difficile de distinguer l'influence des Fonds Structurels de celle du retard économique lui-même, censé générer un processus de rattrapage de type néo-classique. D'autre part, les effets de toute politique régionale ou industrielle peuvent prendre un certain temps pour se concrétiser. Que ce soit pour la construction d'infrastructures de transport ou le redéploiement d'un bassin industriel en déclin, il peut y avoir un important délai entre la planification et l'apparition de son impact de long terme dans les statistiques économiques. Or, la Politique de Cohésion dont nous allons chercher les effets n'a pas plus de quinze ans. Cela reste un délai relativement court et bien des résultats, en particulier des derniers exercices, pourraient encore apparaître dans le futur. Nous reviendrons, tout d'abord, sur les différentes théories économiques présentées au premier chapitre pour voir, cette fois, dans quelle mesure la Politique de Cohésion va dans le sens de leurs recommandations respectives. Nous passerons ensuite à l'évaluation proprement dite de l'impact des investissements structurels européens sur la convergence régionale. 84 Pour plus de détails, voir Vanhove (2000). 85 Cappelen, Castelacci, Fagerberg & Verspagen (2003, p. 630) A. Les recommandations théoriquesComme nous l'avons vu au premier chapitre, les théories les plus "optimistes", sur lesquelles nous ne nous attarderons pas, prédisent une convergence automatique et soutenue. Néanmoins, selon le modèle néoclassique de Solow (1956), un investissement public continu dans des secteurs productifs peut déplacer vers le haut le niveau de PIB/hab. d'état stationnaire et par là même accroître le taux de croissance. De son côté, la théorie de l'écart technologique86 reconnaît l'effet positif sur la convergence d'une politique publique de soutien à la recherche scientifique et de promotion du progrès technologique. Mais aucune de ces interventions publiques n'est vue comme indispensable à la convergence. D'autres auteurs pensent que la constitution d'un marché unique aura spontanément tendance à polariser l'économie et à creuser les disparités de richesse. Une intervention des pouvoirs publics est alors non seulement accueillie favorablement, mais elle s'avère même nécessaire à la convergence. Vont clairement dans ce sens, la théorie de la causalité cumulative87, la théorie de pôles de croissance88, les théories de la croissance endogène89 ou encore la nouvelle géographie économique90. Cependant, si chacune de ces théories s'accorde sur la nécessité d'une politique interventionniste, elles ne désignent pas pour autant les mêmes leviers d'action. Nous allons voir, en fonction des priorités affichées par la Politique de Cohésion, lesquelles de ces théories s'en rapprochent le plus. Selon la théorie de la causalité cumulative, la polarisation de l'économie viendrait d'un cercle vicieux initié par la domination des forces centripètes sur les forces centrifuges. Les priorités d'action identifiées par Myrdal91 sont résolument redistributives et visent à inverser cette tendance naturelle. Il faudrait pour cela développer une véritable discrimination positive en faveur des régions en retard pour contrer le processus d'accumulation en faveur des pôles économiques. La politique régionale de l'Union Européenne semble globalement aller dans ce sens. D'abord, son degré de redistributivité important montre que la Commission Européenne a opté pour une approche similaire. Ensuite, on retrouve l'essentiel des recommandations de Myrdal92 dans les textes fondateurs des Fonds Structurels européens. A titre d'exemple, le 86 Fagerberg & Verspagen (1996) 87 Myrdal (1957) 88 Perroux (1958) 89 Romer (1986, 1990) et Grossman & Hepman (1991) 90 Krugman (1991) 91 Voir Chapitre 1. 92 Pour rappel, Myrdal préconise le développement des infrastructures et l'intensification des investissements productifs dans les régions défavorisées. règlement (CE) n°1261/1999 définit le champ d'application du Fonds de Développement Régional comme étant essentiellement un soutien aux investissements productifs, aux investissements en infrastructures et aux développements du potentiel endogène93. Dans la réalisation, cela a notamment signifié un investissement94 de plus de 23 milliards d'euros dans les infrastructures de transport pour l'exercice 1994-1999. En revanche, la politique européenne ne semble guère s'inspirer de la théorie des pôles de croissance développée par Perroux (1958). Ce dernier donne en effet la priorité aux pôles de croissance dans l'espoir de générer des bénéfices de long terme pour l'ensemble de la région. Il n'est nullement spécifié par la Commission que certaines zones à fort potentiel de croissance jouiraient d'une priorité quelconque pour devenir des locomotives économiques locales. Néanmoins, comme nous l'avons vu, l'évolution économique régionale de l'Union semble en partie donner raison à François Perroux puisque des pôles de croissance95 émergent dans les différents pays bénéficiaires des aides européennes, jouant un rôle moteur pour une zone d'influence plus vaste. Le paradoxe de "convergence divergente" sur lequel nous avions conclu la première partie trouve ici un soutien théorique assez net. Les théories de la croissance endogène, pour leur part, prêtent aux politiques publiques un rôle important dans la détermination d'un taux de croissance de long terme. Par exemple, en considérant les infrastructures publiques et le capital humain comme faisant partie de la fonction de production, Barro (1990) montre qu'une augmentation de l'investissement public peut finalement accroître la croissance de l"économie. Les infrastructures publiques, la formation de la main d'oeuvre et l'innovation technologique sont les principaux leviers d'action que ces théories préconisent pour encourager la croissance des régions défavorisées. Les priorités de la politique régionale européenne correspondent relativement bien à ces recommandations puisque l'essentiel des Fonds Structurels (plus de 80%) est alloué aux quatre domaines suivants : "Environnement productif", "Infrastructures", "Recherche, développement technologique et innovation" et "Formation, création d'emplois et insertion sociale". On peut reprocher aux théories de la croissance endogène de raisonner principalement en économie fermée et donc de ne pas assez tenir compte de l'impact des politiques publiques sur 93 Mesures de soutien aux initiatives de développement local et d'emploi et aux activités des petites et moyennes entreprises. 94 FEDER et Fonds de Cohésion combinés. 95 Ex: Madrid, Barcelone, Berlin, Dublin... la localisation industrielle96. Ce n'est pas le cas de la nouvelle géographie économique sur base de laquelle Martin (1999a) explique pourquoi le Marché Unique et l'Union Monétaire Européenne sont susceptibles d'exacerber les disparités économiques régionales. Selon lui, lorsque les barrières commerciales disparaissent et que les marchés s'ouvrent, l'activité économique a naturellement tendance à se concentrer en différents pôles. Les entreprises fondent en effet leurs décisions de localisation sur les économies d'échelles et les externalités positives d'agglomération dont elles pourront bénéficier. Lorsque la mobilité de la main d'oeuvre est faible, comme c'est le cas en Europe, cette polarisation économique conduit à de grandes disparités régionales en matière de chômage puis de richesse. Le rôle de la politique régionale est alors le suivant : "to bring jobs to the people, if the people do not go to the jobs" (Funck, Pizzati & Bruncko, 2003, p. 5). D'autre part, la nouvelle géographie économique met en garde face à la constante diminution des coûts de transactions. D'un côté les régions périphériques peuvent voir leur attractivité s'améliorer, d'un autre, leur plus grande accessibilité peut les transformer en véritables proies pour le loup97. Le rôle de la politique régionale sera alors de réduire ces risques en consolidant la structure industrielle des régions défavorisées, tout en limitant le désavantage qu'est l'éloignement par rapport au centre de l'Europe98, par développement de réseaux de transport performants. La Commission Européenne a, semblerait-il, l'intention de relever le défi. En résumé, la Politique de Cohésion européenne paraît plutôt rejoindre l'essentiel des théories que nous avons abordées. En tout cas, d'après la plupart de ces argumentations, une intervention publique devrait avoir un impact positif sur la croissance des régions aidées. Dès lors, nous pouvons, dans la foulée, nous demander si l'amélioration de la vitesse de convergence absolue depuis la fin des années quatre-vingt pourrait trouver là une partie au moins de son explication? Ce sera la toile de fond de la prochaine section. 96 Martin (1998) 97 Nous faisons référence, ici, aux spill-over effectx dont nous reparlerons plus longuement ultérieurement. Voir aussi chapitre 1 .B.4. 98 Castanheira de Moura & Siotis (1994) |
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