3. Autre limite de la ?-convergence : l'hypothèse de
clubs de convergence.
Nous avons dans un premier temps abordé le concept de
f3-convergence absolue correspondant au processus de retour à une
moyenne supposée commune à toutes les régions. Nous avons
ensuite présenté la f3-convergence conditionnelle
intégrant la prise en compte d'un certain nombre de variables
"conditionnantes". Ceci permettait de tenir compte des différences
fondamentales entre les régions et de concevoir un
phénomène de convergence vers un état stationnaire propre
à chaque région (ou pays). Dans ces deux hypothèses, des
économies structurellement identiques étaient "condamnées"
à converger vers un même état stationnaire. Nous n'avions
donc, jusqu'à présent, aucune considération pour la
"situation initiale" d'une région. Or, la tendance à la
polarisation de la croissance observée par plusieurs
auteurs57 ainsi que les différences de croissance
relevées entre économies pourtant structurellement très
semblables poussent à se pencher sur les conditions initiales et nous
encouragent à envisager l'hypothèse dite de "clubs de
convergence".
L'idée de convergence en clubs est issue des
modèles de croissance endogène et est apparentée aux
notions de "polarisation", de "trappe de pauvreté" et de
"clustering"58. C'est en quelque sorte un schéma
complémentaire de la convergence absolue vers un état
stationnaire unique et de la convergence conditionnelle vers une multitude
d'états stationnaires propres à chaque région, mais tenant
compte, cette fois, des conditions initiales. Selon Galor (2000, p. 114) :
"Les revenus par tête des régions dont les
caractéristiques structurelles sont identiques convergent vers un niveau
de long terme identique pour autant que les conditions initiales de ces
régions soient suffisamment proches." Différentes
économies convergeront donc entre elles si leurs conditions initiales
appartiennent au "bassin d'attraction" d'un même état
stationnaire. La convergence se fait alors vers quelques états
stationnaires localement et non
56 Voir notamment Moreno & Trehan (1997), López-Bazo
et al. (1999), Fingelton (1999), Rey & Montouri (1999), le Gallo &
Ertur (2000), le Gallo (2001) ou encore Baumont et al (2001).
57 Voir notamment Beine & Jean-Pierre (2000), Capron (2000),
Tondl (1999), Maurseth (2001). 58 Galor, traduit pas F. Docquier (2000, p.
114)
plus globalement stables. Enfin, soulignons que, à
l'instar de la f3-convergence, la convergence en clubs peut être
conditionnelle dans le cas où on y intègre des variables
conditionnantes.
Durlauf & Johnson (1995) font remarquer que les tests de
f3-convergence standards que nous venons de voir ne sont pas capables
d'établir une distinction entre ce type de convergence à
états stationnaires multiples et le schéma de Solow. Galor (2000)
démontre pourtant que ce schéma de convergence en clubs n'est pas
contradictoire avec le modèle de croissance néoclassique. En
effet, la f3-convergence est liée à l'hypothèse de
rendements marginaux décroissants59 qui assure la stricte
concavité de la fonction de production par tête par rapport au
capital par tête et, par la même occasion, l'unicité de
l'équilibre stationnaire60. Mais lorsque l'on introduit
l'hétérogénéité entre les
individus61, la fonction de production peut perdre sa stricte
concavité et la dynamique du taux de croissance, sa monotonie. La
convergence des clubs devient alors le résultat le plus plausible,
même en présence de rendements marginaux décroissants et de
rendements d'échelle constants.
D'un point de vue méthodologique, Bernard & Durlauf
(1996) et Galor (2000) montrent qu'un test de f3-convergence, comme
étudié jusqu'à présent, appliqué à
une réalité dominée par la formation de clubs de
convergence peut donner un paramètre f3 significativement négatif
et donc conduire à la conclusion erronée de f3-convergence. Ceci
constitue une limite supplémentaire des tests de f3-convergence. Pour
surmonter ce problème, Quah (1 993b, 1 996a, 1 996b et 1997) a
développé une méthodologie alternative permettant de tenir
compte de la forme de distribution dans son ensemble, mais surtout capable
d'appréhender la dynamique interne à la distribution. A l'aide de
chaînes de Markov et de matrices de probabilité de transition,
Quah obtient, au niveau mondial, la preuve de la formation de clubs (de pays)
de convergence et de la polarisation de la distribution du revenu par habitant
en deux pics. Les pays pauvres auraient ainsi tendance à converger entre
eux de même que les pays riches de leur côté. D'autres
auteurs comme Desdoigts (1999), Bianchi (1997), Paap & Van Dijk (1998) pour
de larges groupes de pays62 ou Johnson (2000) pour les Etats-Unis
ont observé ce même phénomène de formation de clubs
de convergence dans leurs études empiriques.
59 La croissance de l'économie va de pair avec la
croissance du capital par travailleur dont la productivité marginale
baisse, de sorte que le taux de croissance du stock de capital et de
l'épargne diminuera avec le temps.
60 Voir notamment Mankiw (2001, chapitre 4, p. 93-125) ou Jones
(1999)
61 Galor (2000, p. 119) montre qu'on peut introduire
l'hétérogénéité dans les dotations
factorielles. Il est alors possible, sur certains intervalles, que la fonction
d'épargne soit une fonction convexe du ratio capital/travail. Le taux de
croissance ne diminue alors plus nécessairement avec le capital par
travailleur. Cela peut conduire à des équilibres multiples et
à la formation de clubs de convergence.
62 Ces trois auteurs ont employé des échantillons
de plus de 120 pays.
Au niveau européen, pour la période 1980-1989 et
se basant sur un échantillon de 82 régions63, Quah
(1996c) n'arrive pas à la même conclusion et rejette
l'hypothèse de formation de clubs de convergence. En revanche, Tondl
(1999) identifie la naissance de clubs de convergence pour la période
1975-198664 . Le Gallo (2001), pour un échantillon de 138
régions européennes65, accrédite cette
théorie pour la période 1980-1995. Capron (2000), de son
côté, observe des résultats différents selon le
niveau NUTS sélectionné. Pour les périodes 1980-1996 et
1985-1996, l'échantillon de 712 régions NUTS III présente
clairement deux clubs de convergence, le niveau NUTS I manifeste
également une tendance à la formation de plusieurs clubs de
convergence alors que la même hypothèse est tout à fait
rejetée pour les 170 régions NUTS II. Pourtant, pour 145
régions de ce même niveau NUTS II, Dall'erba & Le Gallo (2003)
identifient la formation de deux clubs de convergence pour la période
1989- 1999. Dans ce dernier travail, les régions centrales et les
régions périphériques du continent apparais sent converger
vers deux états stationnaires différents. Ce dernier
résultat confirme les conclusions de Baumont et al. (2002) pour la
période 1980-1995.
Enfin, Beine & Jean-Pierre (2000) identifient un seuil de
rupture66 pour leur échantillon de 62 régions NUTS I
sur la période 1980-1995. Ce seuil scinde l'ensemble en un premier
groupe de 23 régions prospères et un autre de 39 régions
moins favorisées. Des dynamiques de convergence sensiblement
différentes semblent animer chacun des deux sous-groupes. "La
lenteur de la convergence au niveau global tend en fait à masquer la
présence de deux processus opposés. A un groupe de régions
aisées pour lesquelles l'hypothèse de convergence vers un
même niveau de PIB par habitant est rejetée, s'oppose un groupe
moins aisé où les régions convergent à un rythme
lent." (Beine & Jean-Pierre, 2000, p. 249). L'absence de convergence
au sein du club de tête et le rythme lent et éventuellement
conditionnel de la convergence au sein du club "en retard" peuvent, dans un
sens, être interprétés de façon assez optimiste.
Cela signifie en effet que la situation des régions plus démunies
n'a pas tendance à s'aggraver et que le fossé avec l'ensemble des
régions plus riches n'est pas en train de se creuser
irrémédiablement. Toutefois, la situation de la majorité
des régions pauvres demeure précaire et manifeste peu de
changement. Seul un petit nombre d'entre elles est parvenu à emprunter
"l'ascenseur régional" et a connu un rattrapage significatif. Ces
régions "leaders"
63 L'échantillon de Quah (1996c) couvre 6 pays au niveau
NUTS I et II sans inclure la Grèce et le Portugal ou l'Irlande.
64 L'échantillon de Tondl (1999) est composé ici de
215 régions NUTS II de l'EU-1 5.
65 L'échantillon de Le Gallo (2001) couvre l'EU-12 au
niveau NUTS II plus quelques régions NUTS I.
66 Les résultats sont obtenus à l'aide d'une
récente technique de détection endogène des seuils, issue
de la littérature sur les panels dynamiques.
sont ainsi parvenues à sauter d'un club de convergence
à l'autre67. C'est notamment le cas des régions du
Nord de l'Espagne, de l'Irlande et de la plupart des régions
métropolitaines.
En ce qui nous concerne, cette absence de véritable
dynamisme propre à chaque club combiné avec le dynamisme de
quelques régions "leaders" accrédite nos affirmations
précédentes et en particulier le "paradoxe de convergence
divergente".
En résumé, nous avons cherché à
savoir si la vitesse de f3-convergence (absolue et conditionnelle) relativement
modeste entre régions européennes masquait en fait un autre
processus de formation de clubs de convergence. Sur ce point, Beine &
Jean-Pierre (2000) et Capron (2000) s'accordent quant à la formation de
clubs de convergence au niveau NUTS I et nous n'y avons pas trouvé
d'opposition. Par contre, les résultats affirmatifs de Tondl (1999) et
Le Gallo (2001) au niveau NUTS II68 sont contredits par Capron
(2000) et Quah (1996c). Les régions NUTS II nous préoccupant
davantage, vu ces contradictions, nous ne pouvons pas conclure fermement
à la formation de clubs de convergence à ce niveau. Mais nous ne
rejetterons pas pour autant cette hypothèse qui, en tout état de
cause, n'invalide pas nos premières observations.
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