2.3. Principales critiques de la ?-convergence.
Comme nous l'avions annoncé, en nous limitant à
la présentation des tests de convergence en coupe transversale, nous
avons laissé de côté diverses autres techniques
d'estimation de la convergence. Mais ce n'est certainement pas parce que ces
tests sont les plus courants qu'ils sont exempts de reproches. Au contraire, de
nombreux auteurs leur destinent des critiques acerbes. Voici les principaux
reproches qui sont adressés à la f3-convergence et à la
a-convergence.
- Bernard & Durlauf (1991) critiquent la f3-convergence
qui n'observe que le taux de croissance annuel moyen du revenu. Pour eux, cela
revient à faire l'hypothèse que ce taux de croissance est
constant tout au long de l'année et qu'il ne résulte que d'un
choc initial. Or, les séries sont affectées par des chocs
aléatoires à chaque période. Cette remarque limite certes
la finesse de l'analyse de la f3-convergence, mais elle est nettement moins
pertinente lorsque l'objectif est de dégager un "trend" sur une
période relativement longue. Elle ne nous semble donc pas remettre
fondamentalement en question nos observations pour les cinquante
dernières années.
- Friedman (1992) et Quah (1993a) prétendent quant
à eux que le test de f3-convergence ne donne aucune information
pertinente, car il souffre d'une "erreur de Galton". Cela signifie
qu'un coefficient f3 significativement négatif peut être
associé à une dispersion de distribution constante ou croissante.
Inversement, l'analyse de la f3-convergence peut nous conduire à une
conclusion de divergence dès qu'un sous-ensemble diverge. Fuss (1999)
arrive, elle, à la conclusion que l'analyse de la f3-convergence seule
est clairement
53 Commission Européenne (2004, p. 148)
insuffisante et qu'il est donc recommandé de la combiner
à une analyse de la ýconvergence. C'est ce que nous avons fait
sans aboutir à des résultats contradictoires.
- Chesshire & Cabonaro (1995) mettent en évidence
le problème de la nomenclature NUTS dont nous avons déjà
parlé. Ils déplorent que les études de convergence se
basent sur une nomenclature administrative, artificielle qui a finalement peu
de liens avec la réalité économique du terrain. Ils
estiment que les régions devraient davantage être définies
de façon fonctionnelle selon leurs caractéristiques
démographiques et économiques. Malheureusement, il n'existe
à l'heure actuelle aucune nomenclature respectant ces critères
économiques à l'échelle européenne. Les bases de
données disponibles sont toutes construites à partir de la
Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques. Faute de mieux, nous
devons nous en contenter, sans pour autant négliger cette remarque.
- De la Fuente (2000) et Islam (1995) font remarquer que
l'intégration de quelques variables structurelles dans la
régression de la f3-convergence conditionnelle n'est pas suffisante pour
refléter l'hétérogénéité des
économies régionales. Selon eux, l'omission de variables
pertinentes (en particulier, le niveau technologique et les changements
structurels pour le premier et le capital humain pour le second) est
susceptible de biaiser les estimations de tous les autres paramètres
dès que ceux-ci sont corrélés aux variables manquantes. En
d'autres mots, on ne peut compter sur le terme d'erreur pour intégrer
ces différences manquantes que si celles-ci sont non
corrélées à celles explicitement présentes dans la
régression. Une solution à ce problème serait de se
tourner vers des techniques de données en panel pour tenir compte de
tous les effets spécifiques non observés. Toutefois, De la Fuente
(2000) affirme que pour identifier une dynamique de long terme, comme nous
tentons de le faire ici, cette alternative peut, elle aussi, avoir d'importants
effets pervers.
- Enfin, Chaterrji (1992), Quah (1993b et 1996c), Mankiw
(1995) et Pesaran & Smith (1995) regrettent que ce type de modèle de
croissance ne relie le taux de croissance d'une région qu'à "sa
propre histoire" et considère chaque région comme une "île
isolée". Il ne met pas en évidence de façon explicite des
interactions inter-régionales ou des effets de co-dépendance.
Dans le même ordre d'idée, Dall'erba & Le Gallo (2003)
soulignent le fait que la plupart des études empiriques de
f3-convergence négligent deux aspects spatiaux essentiels des
données observées : l'autocorrélation
spatiale54 et l'hétérogénéité
spatiale55. Quah (1996c) trouve même que la localisation d'une
région et l'interdépendance
54 L'autocorrélation spatiale signifie que des similitudes
de caractéristiques coïncident avec des similitudes de
localisation.
55 L'hétérogénéité spatiale
signifie que les comportements économiques ne sont pas stables dans
l'espace.
géographique sont des facteurs plus déterminants
que les variables nationales et économiques traditionnellement
intégrées à la régression de la f3-convergence
conditionnelle. L'absence de considération pour ces variables spatiales
limiterait, selon ces auteurs, la portée des conclusions des tests
présentés précédemment. Il s'agit là, sans
doute, de la critique la plus fondamentale adressée à l'ensemble
des travaux ici recensés. Elle a, en tout cas, donné lieu
à de nombreux débats qui sortent largement du cadre de notre
travail56.
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