La Convergence Régionale dans l'Union Européenne. Le Rôle des Fonds Structurels.( Télécharger le fichier original )par François Defourny Université de Liège - Maîtrise en Sciences Economiques 2003 |
2.2. Les études empiriques de la ?-convergence conditionnelleComme nous venons de le montrer, le contexte européen semble imposer une approche en termes conditionnelle pour compléter les estimations de convergence absolue. L'hétérogénéité des régions et de leurs économies ne peut être passée sous silence lorsque l'on évalue la vitesse de convergence. De très nombreux auteurs ont donc estimé nécessaire d'intégrer dans la régression de f3-convergence, soit des variables dummy d'appartenance nationale (country dummy variables) pour tenir compte des différences d'états stationnaires entre pays, soit d'autres variables plus fines restituant les différences de structures entre les régions. Dans notre exercice de revue de la littérature, comme pour la f3-convergence absolue, nous avons été confronté à certaines difficultés liées aux différences d'échantillon, de nomenclature et de période observée. A cela est venue s'ajouter une nouvelle source d'hétérogénéité : les variables structurelles que chaque auteur choisit d'introduire dans la régression. En effet, des variables complémentaires relativement raffinées peuvent être intégrées dans l'équation. Comme le fait remarquer Martin (1998), cela revient à se poser la question : "Quel aurait été le processus de convergence si les différences régionales que ces variables reflètent avaient été éliminées?" Voici une liste non exhaustive de variables que des auteurs ont estimées "conditionnantes" ou alors pour lesquelles ils ont cherché l'impact sur la convergence : - les infrastructures physiques, la densité de population, la structure industrielle et le chômage de long terme (Cappelen, Castellacci, Fagerberg & Verspagen, 2003) - la technologie et le niveau de qualification de la main d'oeuvre (Herz, 2002) - les dépenses en Recherche et Développement, la structure de l'économie et du chômage, l'investissement en capital physique (Fagerberg & Verspagen, 1996) - les dépenses en Recherche et Développement et la situation géographique par rapport au centre de l'Europe (Carmen Guísan, Teresa Cancelo & Rosario Díaz, 1998) - l'importance des secteurs agricole et industriel, l'infrastructure, le chômage, la densité de population et les investissements en R&D (Cappelen, Fagerberg & Verspagen, 1999) - le tourisme (Tondl, 1999) - des variables de dépendance spatiale (Baumont, Ertur & Le Gallo, 2002) - la densité de population, la productivité par travailleur, la structure productive, la formation du capital humain et les dépenses en R&D (Cuardrado-Roura, Mancha-Navarro & Garrido-Yserte, 2000) - la part de l'emploi total consacré à l'agriculture (Button & Pentecost, 1995) - la structure industrielle (Neven & Gouyette, 1995) - la part de l'agriculture dans la valeur ajoutée nationale, la productivité relative, la proportion de l'emploi consacré au secteur des services et de l'industrie (Giannetti, 2001) - les infrastructures publiques de transport, de télécommunication, d'énergie et d'éducation (Martin, 1997) Le nombre et la complexité des variables "conditionnantes" intégrées dans l'estimation rendent une comparaison immédiate des estimations impossible. Chaque auteur motive son propre choix et trouve nécessairement des résultats considérablement différents des autres. Face à cette diversité, nous avons, une nouvelle fois, eu à faire un tri pour tenter de parvenir à une comparaison pertinente. Nous avons choisi de ne présenter que des tests de f3-convergence conditionnelle intégrant des country dummy variables dans leur régression. De nombreux auteurs procèdent de cette façon, ce qui nous permettra de comparer les résultats entre eux. La convergence ainsi appréhendée est en fait une forme de convergence conditionnelle minimale autorisant un "ensemble d'effets" spécifiques à chaque pays, mais dont nous ne savons rien de plus. Autrement dit, c'est une façon d'intégrer dans la régression les forces propres à chaque pays qui agissent sur la croissance régionale indépendamment du processus "spontané" de rattrapage néoclassique. Pour Cuadrado-Roura, Mancha-Navarro & GarridoYserte (2000), cette variable dummy pour chaque pays constitue une "boîte noire" contenant les fixed effects positifs ou négatifs, propres à chaque nation. Le contenu de cette boîte noire ne pourra être décodé que par des études plus approfondies. Dans l'ignorance, les régions au sein d'un même pays sont supposées identiques en termes d'institutions, de technologies et de préférences. L'introduction de country dummy variables revient implicitement à supposer que, si le temps court à l'infini, les différentes régions d'un pays convergeront vers un seul état stationnaire propre à ce pays. Comme le dit Capron (2000), la f3-convergence absolue permet d'apprécier les effets inter-pays et intra-pays combinés alors que l'introduction de country dummy variables dans la régression permet de cerner l'effet intra-pays indépendamment du reste. Dans la pratique, un ensemble de variables binaires complétera l'équation de f3- Dij convergence pour prendre la valeur 1 si la région i appartient au pays j et 0 dans le cas contraire. Il y aura donc un nombre P de termes supplémentaires égal à celui des pays couverts par la régression. P log(X )log(X))/n log XDu ã+ (4) i , t i , t n i , t n jij - = á + â + ? - - i , t j1= Même si nous ne nous pencherons pas sur les résultats individuels de chaque pays, il est utile de signaler qu'un signe négatif pour le paramètre de la variable dummy indique un état stationnaire (pour les régions de ce pays) inférieur à la moyenne de l'échantillon. Inversement, un paramètre positif signifie que les régions de ce pays convergent vers un état stationnaire supérieur à la moyenne. Une nouvelle fois, les résultats sont loin d'être identiques pour tous les auteurs. Ainsi par exemple, pour les années 80-90, Capron (2000) trouve un état stationnaire supérieur à la moyenne européenne pour le Luxembourg, l'Irlande, le Danemark, la Belgique et le Portugal. Alors que pour Tondl (1999), c'est le cas de l'Allemagne, de l'Irlande de la Belgique, de l'Espagne et de l'Autriche. Comme on pouvait s'y attendre, les résultats présentés dans le Tableau 3 diffèrent également d'un auteur à l'autre. Cela s'explique par la taille des échantillons qui varie du simple au triple, par la période observée qui va de 5 à 40 ans et par la sélection des régions étudiées. On voit notamment que le nombre de pays couverts oscille entre 6 et 15. Certains pays comme l'Irlande et la Grèce sont régulièrement laissés de côté pour leur comportement trop hors du commun et il faudra en tenir compte. De plus, les proportions de régions NUTS I et NUTS II varient également considérablement d'un échantillon à l'autre51. Comme le souligne Herz (2002), de telles décisions ne sont évidemment pas sans conséquence sur le résultat. Pour avoir une estimation correcte de la convergence réelle au sein de l'Union Européenne, l'échantillon devrait idéalement inclure toutes les régions. Que ce soit pour des raisons de carence de données ou par choix délibéré des auteurs, la mise à l'écart d'une ou plusieurs régions crée forcément un biais dans l'analyse par rapport à la réalité. Comme nous l'avons déjà dit, ce biais peut être acceptable s'il permet d'obtenir des résultats plus cohérents pour le plus grand nombre. 51 L'estimation de la f3-convergence conditionnelle requiert des bases de données plus complètes que précédemment, ce qui justifie d'autant plus le recours à certaines régions NUTS I pour compléter un échantillon incomplet. Tableau 3 : â-convergence conditionnelle du PIB/hab. aux niveaux NUTS II et NUTS I avec insertion de "country dummy variables"
A l'instar de la plupart des auteurs, nous n'avons pas accordé beaucoup d'attention à la valeur du coefficient de détermination (). Toutefois, il peut être intéressant de signaler que R2 l'introduction de country dummy variables augmente considérablement le pouvoir d'explication de l'estimation. En effet, la valeur du est en moyenne inférieure à 0,1 pour R2 les tests de 3-convergence absolue, ce qui suggère que des variables structurelles additionnelles peuvent influencer la croissance. Suite à l'introduction de country dummy variables, le pouvoir d'explication d'une 3-convergence conditionnelle fait plus que doubler puisque le prend alors une valeur en moyenne supérieure à 0,5. R2 Graphique 4 : Evolution de la â-convergence conditionnelle du PIB/hab. aux niveaux NUTS I et II en intégrant des "country dummy variables" -0,5 2,5 3,5 0,5 1,5 2 0 3 1 Etudes classées chronologiquement en fonction de l'année médiane de la période observée La tendance générale, visible sur le Graphique 4, confirme une nouvelle fois nos premières impressions. La convexité de la tendance est manifeste et la forme en "U" indique bien un redressement à la fin du siècle. Cette amélioration de la convergence régionale maintient plausible l'hypothèse d'un impact positif des Fonds Structurels européens, mais nous reviendrons évidemment sur cette question plus loin. Cependant, comme il y a une concentration de résultats non significatifs dans les années de creux, il nous a paru utile de reconstruire un graphique ne rassemblant que les résultats significatifs pour nous assurer que nos conclusions sont toujours bien valables52. Comme on peut le constater sur le Graphique 5, le fait de laisser de côté les estimations non significatives au seuil de quinze pour cent a, cette fois, une influence plus sensible sur la tendance que précédemment. On constate en effet une atténuation sensible du creux de 75-85 par rapport à ce qu'on pouvait observer pour la 3-convergence absolue. En particulier, le redressement de la fin des années quatre-vingt est ici nettement moins marqué que pour la 3-convergence absolue. 52 Nous n'avons pas procédé à une telle reconstruction pour les graphiques précédents car le faible nombre de résultats non significatifs et leur dispersion limitaient leur influence sur la tendance générale. Graphique 5 : Evolution de la â-convergence conditionnelle du PIB/ hab. au niveau NUTS I et II avec "country dummy variables". Uniquement les résultats significatifs (Min. 15%). 0,035 0,025 0,015 0,005 0,03 0,02 0,01 0 Etudes classées chronologiquement en fonction de l'année médiane de la période observée Le Graphique 5 présente quelques résultats inattendus qu'il nous faut commenter. En particulier, deux estimations pourtant significatives sortent véritablement du lot et contredisent curieusement nos conclusions. D'abord, Tondl (1999) obtient un résultat particulièrement élevé pour la période 60-70. Dans ce cas, le nombre restreint de régions (78) observées sur la période en question peut expliquer cette incohérence, d'autant plus que le même auteur se penchant sur les années soixante avec des échantillons plus larges trouve des résultats nettement plus modestes. De la part de Neven & Gouyette (1995), en revanche, les résultats obtenus pour la période 80-85 sont plus incompréhensibles. En effet, malgré un échantillon tout à fait acceptable, ils obtiennent une vitesse de convergence pratiquement deux fois supérieure aux autres résultats environnants. Si on néglige ces deux résultats un peu exceptionnels, le Graphique 5 est riche en enseignements. En effet, comme le suggèrent Solanes & María-Dolores (2001) et Neven & Gouyette (1995), avec l'introduction des variables d'appartenance nationale, nous aurions pu nous attendre à un niveau général de convergence plus élevé qu'en termes absolus. Intuitivement, la convergence vers un état stationnaire propre à chaque pays devrait en effet être plus rapide que vers un seul état stationnaire commun à l'ensemble de l'Union Européenne. C'est pourtant le contraire qui apparaît dans notre comparaison puisque, pour l'ensemble des résultats significatifs observés, on obtient une vitesse de convergence moyenne de 1,8% en absolue et de 1,5% en conditionnelle. Si cette différence semble un peu faible, elle cache en fait deux évolutions différentes au cours du temps. En effet, si on compare le Graphique 5 aux Graphiques 2 et 3, à la fois le creux de la période 75-85, mais surtout le redressement de la fin des années quatre-vingt apparaissent moins marqués suite à l'introduction country dummy variables. Ainsi, la convergence conditionnelle est légèrement supérieure à l'absolue entre, grosso modo, 1975 et 1985. Mais la situation se renverse ensuite complètement pour les quinze années suivantes. C'est à la fin du siècle que l'écart entre la convergence absolue et la convergence conditionnelle avec country dummy variables est le plus marqué. Martin (1998), repris par Beine & Jean-Pierre (2000), suggère que cette diminution de la vitesse de convergence, lorsque l'on introduit des country dummy variables, indique un phénomène de "convergence divergente". Il s'agirait de la concomitance d'une convergence inter-pays et d'une divergence entre régions d'une même nation (Pour une représentation graphique de ce paradoxe, voir Annexe 3). Rappelons au passage que la puissance de la convergence observée entre pays combinée à la modestie de la convergence absolue au niveau régional nous avait déjà conduit sur cette piste. Pour illustrer cette réalité, imaginons le cas d'un pays comme l'Espagne dont les régions les plus riches du Nord rattraperaient les régions des autres pays riches sans que les régions plus pauvres du Sud puissent suivre le même rythme de croissance. La Catalogne aurait par exemple un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne et gonflerait ainsi la croissance nationale alors que l'Andalousie se contenterait d'une croissance tout juste égale à la moyenne européenne. Un tel cas de figure serait tout à fait cohérent avec les écarts observés à la fin du siècle. Le redressement du taux de convergence absolue à la fin des années quatrevingt serait essentiellement le fait d'un petit nombre de régions "leaders" et cacherait, dès lors, un phénomène de divergence intra-pays. En revanche le creux moins marqué pour la convergence conditionnelle, quelques années plus tôt, indiquerait que les écarts ne se sont pas creusés entre régions d'un même pays entre 1975 et 1985. De ces observations, ce qui nous paraît particulièrement important, c'est que le phénomène de divergence entre régions d'un même pays semble s'être considérablement accentué ces dernières années pour prendre une ampleur inégalée depuis la seconde guerre mondiale. Accréditant, par la même occasion les théories "pessimistes" du déséquilibre régional, la Commission affirme que dans les premiers stades d'un processus de convergence, les différences de PIB/hab. entre régions tendent à s'élargir53. Cela permet à la croissance économique nationale d'atteindre un niveau assez élevé. L'activité économique devrait ainsi d'abord se concentrer dans certains pôles urbains pour y jouer un rôle de locomotive. Par exemple, selon Vanhove (2000), le rattrapage économique observé pour le Portugal, l'Espagne et l'Irlande est principalement dû au formidable développement des pôles urbains. Il s'agit là, pour les pays retardataires, d'un arbitrage à court terme entre croissance nationale et convergence régionale interne. Plus largement, c'est le dilemme entre équité et efficience dont parle la nouvelle géographie économique qui réapparaît. Nous y reviendrons naturellement au moment d'évaluer l'impact de la politique régionale européenne sur la convergence. |
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