6 - Accès universel : les avancées
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Les tendances mondiales encourageantes se poursuivent dans
l'extension de l'accès au traitement antirétroviraux.
En Afrique Sub-saharienne en 2006, on estime que plus de 1,3
million de personnes suivent un traitement antirétroviral, ce qui
représente une couverture de 28 % alors qu'il y a trois ans, on
dénombrait 100 000 patients sous traitement et une couverture d'à
peine 2 %. 67 % des personnes sous traitement antirétroviral dans les
pays aux faibles revenus (PRF) ou intermédiaires (PRI) vivent en Afrique
Sub-saharienne - alors qu'elles n'étaient que 25 % à la fin 2003.
Cependant, il faut faire attention aux critères relatifs aux «
besoins » qui sont critiquables. Les patients qui
bénéficient d'un traitement sont à un stade avancé
de la maladie et ont soit des signes cliniques soit un bilan immunitaire
très altéré (< 200 CD4 / mm3). En France, il est
possible de débuter un traitement en dessous de 350 CD4 / mm3.
En Asie de l'Est, du Sud et du Sud Est, 280 000 personnes sont
désormais sous traitement, avec une couverture évaluée
à 19 % soit quatre fois plus que fin 2003, date à laquelle 70 000
personnes suivaient un traitement. Bien que l'Asie représente 21 % des
besoins totaux en traitement, 14 % seulement des patients sous traitement dans
les PRF ou PRI vivent dans cette région.
En Amérique Latine et dans les Caraïbes, le nombre
de patients sous traitement atteint progressivement les 355 000 personnes,
contre 210 000 fin 2003. Même s'il existe des variations
considérables entre pays, la couverture globale de 72 % semble
s'approcher de l'accès universel.
Les pays d'Europe Orientale et d'Asie Centrale ont
enregistré des progrès importants, avec 35 000 personnes qui
suivent maintenant un traitement, contre 15 000 fin 2003. La couverture de
cette région est estimée à 15 % des patients qui ont
besoin d'un traitement.
La région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient est
celle qui atteint la couverture la plus faible, 6 % avec seulement 5000
personnes sous traitement fin 2006 contre 77 000 qui en auraient besoin.
A la fin 2006, le Plan d'urgence du président des
Etats-Unis d'Amérique pour l'aide à la lutte contre le SIDA
finançait des programmes traitant 987 000 personnes. Les
programmes financés par le Fond Mondial de lutte
contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme traitaient 77 000 personnes.
Toutefois, selon les calculs du Plan d'urgence et du Fond Mondial, quelques 492
000 personnes suivaient un traitement dans le cadre de programmes
financés conjointement par les deux initiatives. Au total, celles-ci
venaient donc en aide à 1 265 000 individus.
Sur les 2,3 millions d'enfants (âgés de 0 - 14
ans) vivant avec le VIH en 2006 (dont presque 90 % en Afrique Sub-saharienne)
environ 780 000 avaient besoin d'un traitement antirétroviral. On estime
que fin 2006, près de 115 500 enfants avaient accès au
traitement, ce qui représente un taux de couverture de 15 %. Par
conséquent , si l'on compare ces chiffres aux estimations de l'UNICEF
pour 2005 qui étaient de quelque 75 000 enfants sous traitement, le
nombre d'enfants suivant une thérapie antirétrovirale dans le
monde a enregistré une hausse de 50 % en 2006. Néanmoins la
couverture du traitement antirétrovirale est estimée à 28
% dans les PRF ou PRI.
Prix des antirétroviraux de 1ère
ligne
Le GPRM (Global Price Reporting Mechanism) est un
système mondial d'information sur les médicaments
antirétroviraux établi par l'OMS en 2004 qui rassemble
des données concernant les prix des transactions sur
les antirétroviraux achetés dans les pays en
développement.
Dans les pays à faibles revenus ou
intermédiaires, le prix de la de la plupart des médicaments de
1° intention avait diminué de 37 % à 53 % entre 2003 et
2006, et de 10 à 20 % entre 2005 et 2006. Cette baisse a sensiblement
contribué à élargir l'accès au traitement,
même si les prix demeurent élevés dans la plupart des pays
d'Europe Orientale et d'Amérique Latine.
En 2006, le prix moyen du traitement de première
intention (pré sélectionné par l'OMS) dans les pays
à faibles revenus allait, par patient et par an, de 123 dollars à
493 dollars. La baisse des prix des médicaments enregistrée entre
2004 et 2006 est attribuable à l'expansion des programmes de traitement,
à la forte concurrence entre le nombre croissant de produits pré
sélectionnés par l'OMS et aux négociations avec les
fabricants de génériques.
Dans les pays aux revenus intermédiaires, le prix
moyen du traitement de 1° intention a diminué très nettement
et il est maintenant plus proche des prix pratiqués dans les pays
à faibles revenus. En 2006, le prix moyen pour un traitement de 1°
intention allait de 145 dollars, par personne et par an, pour le schéma
le meilleur marché (D4T + 3TC + NVP) à 623 dollars pour le
schéma le plus coûteux.
Le programme national anti-sida lancé par ce pays au
début des années 90 a très vite buté sur un
problème de coût : sur les 500 millions de dollars
consacrés au programme, les 3 / 5èmes sont destinés
à l'approvisionnement en médicaments.
Un laboratoire brésilien, Far-Manguinhos, a
été mandaté pour produire à bas prix des
traitements. Résultat, sur les 600 000 séropositifs que compte le
pays, plus d'un quart se voient fournir gratuitement les traitements qui les
maintiennent en vie. Les admissions en hôpital dues au Sida ont
diminué de 80 % depuis 1996. Et le nombre de séropositifs et la
mortalité liée au Sida est deux fois inférieur aux
prévisions faites au début des années 90.
En cassant le brevet d'un médicament d'un laboratoire
multinational, le gouvernement brésilien a pris début mai une
décision inédite et sujette à polémique. La
nécessité d'assurer la viabilité financière du
programme public de soins destiné aux patients atteints du sida a
conduit le président Luiz Inacio Lula Da Silva à signer un
décret qui permet de contourner le brevet détenu par le
laboratoire américain MSD sur le médicament Efavirenz (sustiva ou
Stocrin), utilisé dans le VIH. Cette mesure inédite autorise pour
une période indéterminée l'importation d'un
générique puis, dans un second temps, la fabrication du
médicament dans le pays.
MSD à fait savoir qu'elle avait proposé «
différentes formules » au gouvernement, allant même
jusqu'à négocier une réduction de 30 % du prix actuel de
vente du médicament au Brésil. En réponse, le
Brésil souhaite que MSD lui vende le médicament au prix ou la
firme le vend en Thaïlande, soit 0,65 dollar l'unité. Selon le
directeur de communication chez MSD, la différence entre le prix de
l'Efavirenz dans les deux pays résulte d'accords internationaux fixant
des prix distincts en fonction de l'indice de développement humain (IDH)
et de l'incidence de la maladie sur la population.
Le gouvernement, qui est l'unique acquéreur du
médicament au Brésil, estime qu'il économisera 30 millions
de dollars par an avec les génériques, un montant qui pourra
être réinvesti dans le traitement de 200 000 personnes atteintes
du sida.
A partir de septembre, le ministère de la santé
distribuera dans le réseau public le générique produit par
des laboratoires indiens. Il achètera chaque pilule de
l'antirétroviral pour 0,45 dollar, un prix largement inférieur
à celui de 1,65 dollar accordé actuellement par MSD. Le
ministère versera au laboratoire, à titre de royalties, 1,5 % de
la valeur totale d'achat des génériques, un prix conforme, selon
le gouvernement, aux accords commerciaux internationaux et qui tempère
quelque peu selon lui le fait qu'il ait cassé le
brevet. Le gouvernement a déjà menacé
à plusieurs reprises les laboratoires multinationaux de leur imposer un
brevet obligatoire (et donc d'autoriser l'importation et la fabrication de
génériques). En 2001 le ministre José Serra avait
annoncé un arrêté qui faisait du brevet de
l'antirétroviral Nelfinavir, des laboratoires suisses Roche, un brevet
d'utilité publique. Son successeur, Humberto Costa, avait fait de
même avec le médicament Kaletra, des laboratoires Abbott, en 2005.
Les deux laboratoires avaient ensuite réussi à négocier la
réduction des prix.
Les génériques
Le prix d'un médicament n'est pas lié au brevet
selon le LEEM, il est lié à l'investissement nécessaire
à sa recherche et à son développement, et au processus de
fabrication qui est parfois complexe à mettre en oeuvre (notamment pour
les médicaments de biotechnologies). De 10 000 molécules
identifiées, à 10 qui feront l'objet d'un dépôt de
brevet, et une qui parviendra à passer toutes les étapes de tests
et d'essais cliniques, le chemin de l'innovation au malade est long (12 ans en
moyenne), complexe et onéreux. La recherche nécessite des efforts
renouvelés d'investissement à moyen et long terme. La mise au
point d'une nouvelle molécule représente un investissement
d'environ 800 millions d'euros, ce coût a été
multiplié par 10 en 20 ans.
Pour les associations, ces fameux 800 millions d'euros sont
très contestés : d'abord parce qu'ils recouvrent des sommes qui
ne sont pas détaillées dans certains cas et dont
l'évaluation reste obscure. Ensuite parce que des sommes énormes
sont investis dans le marketing dont on ne parle pas. Enfin, il ne faut pas
oublier que pour que les retours sur investissement des actionnaires soient
maximaux les sociétés ((gonflent » le prix de la recherche
et développement.
Mais pour qu'un médicament soit commercialisé,
il ne faut pas seulement que le marché soit important (les 3/4 de la
population sont concernés), il faut aussi qu'il rapporte de l'argent.
Beaucoup d'argent. Le plus rapidement possible. Comme le constatait le Docteur
Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l'OMS : (( plus
d'un milliard de personnes abordent le XXI° siècle sans avoir
profité de la révolution sanitaire. De fait le 4/5eme des
dépenses mondiales de santé sert à 1/5eme de la
population. En ce qui concerne le sida, le constat est plus accablant
encore.
L'industrie du médicament est le secteur
économique qui consacre, sur ses fonds propres, le budget le plus
important à la recherche et au développement (certes, mais qui
fait le plus de bénéfices), devant l'aéronautique, le
spatial ou l'automobile. 99% de l'investissement consacré en France
à la recherche sur le médicament est financée par les
entreprises privées. Le prix des médicaments est le reflet des
coûts de la recherche conduite par les entreprises. Il faut
préciser que sur leur chiffre d'affaire la plupart des laboratoires
consacrent presque autant de fonds à la publicité et à la
promotion qu'à la recherche soit moins de 15 %.
Cipla société créée en 1935 avec
son siège à Bombay et ses 22 usines à travers le pays est
le numéro 1 du médicament dans un pays aux 2000 laboratoires - et
fer de lance de la fourniture d'antirétroviraux contre le sida à
prix cassé. Le laboratoire indien innove à partir de l'existant.
Il est le premier à avoir lancé le premier
générique de l'AZT en 1993.
La revue scientifique The Lancet en juillet 2004 a
publié une étude qui a validé scientifiq uement
l'efficacité de la trithérapie génériq ue associant
trois anti rétrovi raux calqués sur les médicaments de
trois multinationales différentes dans un même
comprimé. C'est justement le précurseur
Triomune commercialisé en 1992 qui a notamment servi de base à
l'étude. Cipla proposa en 2001 à MSF une trithérapie pour
600 dollars par an alors que les grands groupes pharmaceutiques plafonnaient
à 10400 dollars. Preuve que l'industrie pharmaceutique indienne ne s'est
pas contentée de copier des molécules. Avec Triomune, elle a
innové en proposant la première trithérapie «
combinaison fixe », c'est-à-dire la synthèse de trois
molécules de laboratoires différents (et concurrents) en un seul
comprimé. 6 ans avant Gilead et sa fixe dose Atripla contenant ses
molécules TDF + FTC associées à celle de MSD / BMS
Efavirenz. Quand les géants de la pharmacie dépensent en moyenne
15 % de leur budget en recherche et développement, Cipla n'y consacre
que 3 %. C'est 12 millions de dollars comparés aux 7 milliards de
Pfizer. Impossible de nourrir de grandes ambitions quand le budget annuel de
Cipla (400 millions de dollars) s'avère de deux fois inférieur au
coût officiel de la mise en vente d'un nouveau médicament.
Quatrième producteur de médicaments au Monde en
2004, l'Inde exporte quand même 6,5 milliards de dollars, mais c'est
moins que le blockbuster Lipitor de Pfizer un hypolipémiant qui
pèse 8 milliards de dollars. Depuis 2005, et en vertu des accords de
l'OMC, l'Inde doit maintenant attendre 20 ans que les nouveaux
médicaments ne tombent dans le domaine public et puissent être
copiés. Ceci conduit à une inquiétude sur la fabrication
de génériques pour les produits de 2° et 3° ligne de
traitement sortis récemment, et l'accès pour des pays à
ces traitements. L'Inde, le Brésil (et la Thaïlande) sont en crise
à cause de ça. Il est à craindre que ce problème va
s'étendre sur l'ensemble du globe. Encore faut-il que les laboratoires
ne trouvent pas des stratagèmes pour prolonger la protection de leurs
produits. L'exemple de Novartis et Sanofi Avantis et son bras de fer qui
l'oppose à l'Inde en sont un exemple criant. En attendant Cipla pourrait
se voir copier sa Triomune par des grands laboratoires du Nord. Le monde
à l'envers. La firme Cipla a donc déposé un brevet pour
court-circuiter les velléités des multinationales.
Il est acquis que grâce aux génériques
des milliers de patients ont pu être mis sous traitement. Ne soyons pas
pour autant naïfs. Ces sociétés convoitent les parts de
marchés de leurs concurrents occidentaux oubliant de faciliter
l'accès dans leur propre pays (en Inde par exemple). D'autre part, comme
le montre le graphique ci-contre, ces sociétés font elles aussi
de jolis bénéfices grâce au sida et sont pour certaines
cotées en bourse comme Aspen Pharmacare. Ciplan rend
régulièrement des comptes à ses actionnaires. Les
activistes proposent d'ailleurs un boycott des sociétés
génériques qui ont des actionnaires au profit de celles qui n'en
ont pas.
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