1994
Dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la santé
mise en place des accords ADPIC sur la propriété intellectuelle
(Aspects de Droits de Propriété Intellectuelle relatifs au
Commerce : TRIPS en anglais).
Peter Piot, directeur exécutif de l'ONUSIDA, le
signalait dans son discours à la Commission Européenne le 28
septembre 2000 : « le contrat actuel, par lequel, nous avons
accepté des prix élevés en échange de traitements
innovants et de meilleur qualité, a fonctionné pour le
bénéfice de tous dans les pays riches. Quoi qu'il en soit,
aujourd'hui, en particulier à cause du SIDA, ce contrat est à
remettre en question, puisqu'il exclut des millions de gens de l'accès
à ces mêmes produits ». Les accords internationaux ont en
effet servi avant tout les intérêts des laboratoires
pharmaceutiques. Ils ont ainsi imposé une protection organisée de
leur monopole : un respect des brevets sur 20 ans, au lieu de 10, dans tous les
Etats membres de l'OMC. De fait ils en restreignent l'accès aux seuls
malades solvables. L'article « spécial 301 » de la loi
américaine sur le commerce introduit en 1988 a été
utilisé contre plus de 30 pays, afin d'assurer la protection des
intérêts des compagnies américaines et de pouvoir exercer
des sanctions commerciales sur les pays dont les lois sur la
propriété intellectuelle les desservent. L'Inde, le
Brésil, l'Argentine, l'Egypte, le Ghana ont été les
premières cibles.
1996
A partir de 1996, d'importantes avancées de la
recherche fondamentale et clinique bouleversent la prise en charge
médicale de l'infection par le VIH. De nouveaux concepts
physiopathologiques et la mise à disposition de tests biologiques de la
charge virale plasmatique, montrent qu'il existe une intense activité de
réplication virale tout au long de l'infection à VIH, dont
l'importance est prédictive de l'évolution vers le SIDA. Ils
fournissent un instrument permettant de suivre au plus près
l'évolution de l'infection et les effets des traitements.
L'introduction des multithérapies
antirétrovirales, associant aux inhibiteurs
nucléosidiques de la transcriptase inverse la nouvelle
classe thérapeutique des inhibiteurs de protéase, puis celle des
inhibiteurs non nucléosidiques, rendent la charge virale
indétectable chez une proportion importante de patients traités.
Cela se traduit par une diminution spectaculaire de l'incidence des infections
opportunistes (les laboratoires qui commercialisaient des antiviraux actifs sur
le CMV se rappellent encore de la chute vertigineuse de leurs ventes) et de la
mortalité. Par voie de conséquence, le nombre d'hospitalisations
dues à l'infection par le VIH dans les pays industrialisés,
où l'accès aux traitements est possible à large
échelle, diminue considérablement.
L'annonce de l'efficacité des multi-thérapies
antirétrovirales utilisant les antiprotéases en juillet 96 lors
de la XI° Conférence Internationale de Vancouver (Canada) suscite
chez certains groupes associatifs, responsables de santé publique, et
scientifiques, une prise de conscience militante en faveur de la diffusion de
ces progrès thérapeutiques en Afrique. 95 % des patients
infectés par le VIH qui vivent dans les pays en voie de
développement n'ont pas accès à ces progrès. C'est
moralement intolérable que le plus grand nombre ne puisse pas disposer
de traitements antirétroviraux à l'efficacité
démontrée. Tout doit être mis en oeuvre afin d'essayer de
rationaliser la prise en charge, et de proposer des programmes favorisants
l'accès aux médicaments actifs contre le VIH, y compris en
Afrique Sub-saharienne. Cependant le prix élevé sur le
marché international limite de dramatiquement l'accessibilité de
ces traitements, particulièrement dans les pays ou la demande et le
besoin sont les plus importants au regard des moyens économiques et
financiers dont disposent les Etats et les ménages. En 1996, ceci
relève du défi face au scepticisme international qui
considère cette proposition comme irréaliste.
1997
En Afrique, cet engagement pour l'accès aux
traitements débouche notamment sur l'organisation d'une consultation
scientifique internationale à Dakar en septembre 97. Cette consultation
permet de définir les pré-requis à la diffusion de
traitements antirétroviraux, et de préciser les protocoles
thérapeutiques optimaux. Par la suite, au cours de la conférence
internationale sur le SIDA et les MST d'Abidjan en décembre 97 un appui
politique est apporté à cette démarche en annonçant
la mise en oeuvre du programme de traitements dans plusieurs pays africains.
Cette annonce est loin d'accueillir l'assentiment général.
Quelques mois auparavant, en juin l'ONUSIDA annonce son
initiative d'accès aux antirétroviraux dans quatre sites pilotes
: Ouganda, Côte d'Ivoire, Chili et Vietnam. Celleci débutera
officiellement en novembre de la même année.
1998
GSK et 38 autres laboratoires pharmaceutiques saisissent la
Haute Cour de justice de Pretoria. Ces laboratoires s'opposent au gouvernement
Sud Africain qui souhaite importer des médicaments
génériques contre le SIDA. Les laboratoires sont sûrs de
leur bon droit. La loi Sud Africaine de 1997 sur le médicament donne au
ministre de la santé de larges prérogatives pour recourir
à des importations parallèles, des licences obligatoires et une
substitution par les génériques. Or cette loi, selon les
compagnies pharmaceutiques porte atteinte aux droits d'exclusivité
conférés à leurs médicaments grâce aux
brevets. Le droit des brevets doit donc l'emporter et la loi, dont
l'application est bloquée depuis le dépôt de la plainte en
1998, doit être modifiée. D'ailleurs, à la fin des
années 90, en opposition au gouvernement sud Africain, le gouvernement
américain et
la commission européenne, entre autres, ont pris
position pour le respect du droit de propriété intellectuelle et
ont exercé des pressions sur le gouvernement Sud Africain afin qu'il
modifie sa loi.
2000
Les objectifs du millénaire sont fixés par les
Nations Unies.
Mai : création de l'initiative «
Accelerating Access » par l'ONUSIDA en partenariat avec plusieurs agences
des Nations Unies (la Banque Mondiale, l'OMS, le FNUAP, l'UNICEF) et cinq
compagnies pharmaceutiques. A partir de 2001 cette initiative se poursuivra
sous l'égide de l'OMS.
2001
Février : Le laboratoire
générique indien Cipla propose une trithérapie pour 600
dollars par an aux gouvernements du Sud.
Avril : Les compagnies pharmaceutiques
retirent leur plainte contre le gouvernement Sud Africain sans que celui-ci ait
transigé sur la loi incriminée, ce qui met un terme à 3
ans de procédures judiciaires et de guerre d'intox face aux ONG. A
l'arrivée une rédition sans conditions. Cette affaire a
été particulièrement catastrophique pour GSK.
Deuxième groupe pharmaceutique du monde et leader dans le traitement du
SIDA. GSK a cédé sur presque tout - une réduction
drastique du prix des traitements et l'attribution de licences de fabrication
de génériques. Sa puissance financière (30 milliards de
dollars de chiffre d'affaire et 10 milliards de profits) comme les accords
internationaux sur la protection des brevets que le groupe invoquait n'ont pas
pesé lourd. Pis, la pression sur les prix s'est étendue aux USA
son premier marché.
GSK ainsi que les autres entreprises pharmaceutiques ont cru
que la bataille se mènerait sur un terrain strictement juridique. La loi
Sud Africaine revenait à mettre en péril le business model de
cette industrie : amortir sur 10 ou 15 ans des frais de recherche colossaux
grâce à la vente des médicaments dont ils sont issus,
même si leurs coûts de productions sont ensuite très
faibles. Pour les laboratoires, les brevets représentent le carburant de
l'innovation. C'est le sens des accords internationaux adoptés en 1994
dans le cadre de l'OMC, argumentait GSK. Et c'est pourquoi l'entreprise avait,
au départ, le soutien de l'administration américaine et la
commission européenne.
Malheureusement pour les firmes le contentieux s'est vite
orienté vers un thème éthique « la santé
contre le profit ». En effet, des ONG sud africaines, dont TAC (Treatment
Action Campaign) se sont mobilisées contre cette plainte, et ont
attiré l'attention sur le coût humain du non accès, pour
les malades, à des médicaments vitaux : 400 000 morts de SIDA
depuis que la loi de 1997 est bloquée. Le président charismatique
de TAC Zackie Achmat séropositif n'hésita pas à mettre sa
vie en péril en refusant de prendre le
moindre traitement tant que celui-ci n'est pas accessible
à tous ses compatriotes. TAC réclame donc, au nom des malades, le
droit d'être (( amicus curiae >> ((( amie de la Cour >>) dans
le procès. Le procès s'ouvrira sur l'étude de la
requête de TAC que la Haute Cour accepte. Les malades sont donc parties
civiles dans ce procès. C'est la nature même du procès que
la haute cour a ainsi modifiée. La bataille ne va plus reposer sur les
seuls arguments juridiques : la loi de 1997 est-elle ou non conforme aux
engagements internationaux de l'Afrique du Sud sur la propriété
intellectuelle ? Les données humaines vont désormais être
prises en compte : le droit des brevets peut-il prévaloir sur le
traitement des malades ? TAC demande alors aux compagnies pharmaceutiques de
justifier le prix de leurs médicaments. Rappelons que le contexte sud
africain au moment du procès est le suivant : En 2000 cinq millions de
personnes étaient infectées soit 20 % de la population. Le
problème ne fera que s'aggraver. Les autorités sanitaires du pays
prévoient que 7,5 millions de personnes pourraient être
contaminées en 2010 dont 50 % des 15-29 ans. Dans ce contexte invoquer
la protection des brevets paraissait maladroit, sinon cynique. D'autant que
pour GSK, l'Afrique du Sud ne présentait que 1 % des ventes de
médicaments contre le SIDA (2 milliards de dollars par an).
Le laboratoire britannique ne l'a pas compris. Surtout, il a
sous estimé la puissance des ONG (Organisations Non Gouvernementales)
qui menaient campagne contre lui dont l'OXFAM. Avec un budget de 400 millions
de dollars, un réseau de 3000 partenaires dans 100 pays et une
équipe d'experts de haut niveau, cet organisme basé à
Oxford (UK) est parmi les plus puissants au monde. Face à GSK, OXFAM a
opté pour une attaque très ciblée, lancée
début 2001 et baptisée (( cut of costs >>. Objectif :
obtenir une baisse de 90 % du prix du traitement contre le SIDA, alors de 10
000 dollars par an, un montant inaccessible pour les Sud Africains. Entre
autres (( bombes médiatiques >>, OXFAM a relevé que GSK
appliquait dans certains pays en développement des tarifs jusqu'à
20 % plus élevés qu'aux USA, cette information a laminé la
défense du laboratoire. En avril 2001 l'ONG des (( french
doctors>> MSF lancera une pétition sur le thème (( la
protection des vies humaines passe avant celle des brevets >>. Celle-ci
recueillera 270 000 signatures dans plus de 130 pays.
Les protestations de Kofi Ahnan, secrétaire
général de l'ONU et la position du parlement européen
conduirent un abandon du procès et fit perdre à GSK les rares
soutiens qui lui restaient. La cohésion entre les firmes s'était
déjà sérieusement fissurée. Cinq d'entre eux, parmi
les plus importants, avaient décidé de faire cavaliers seuls en
prenant leurs propres avocats. Ces cinq laboratoires demandèrent
à retirer leurs plaintes et demandèrent à leurs
confrères d'en faire autant. Au final 37 sur 39 le feront.
Le 19 avril la plainte est retiré, la loi Sud
Africaine n'est pas modifiée et les frais de justice seront payés
par l'industrie pharmaceutique. Pourtant cette victoire n'a, au fond, rien de
bien anormal : dans sa loi, l'Afrique du Sud ne fait qu'interpréter et
utiliser les clauses de sauvegarde prévues par l'accord ADPIC pour la
santé publique. Pour rappel
l'accord sur les ADPIC prévoit la possibilité
pour les états, souverains, de passer outre le droit des brevets en cas
de besoin (licences obligatoires). La déclaration de DOHA en 2001 a
rappelé ce droit. Un amendement (12/05) permet en théorie aux
pays qui ne peuvent produire d'importer des génériques.
Novembre : Signature des accords de DOHA. Un
laboratoire détenteur d'un brevet prêt à négocier
avec un pays tiers peut céder une autorisation de production locale en
échange de royalties : il s'agit alors de licence volontaire. Si le
laboratoire n'est pas prêt à négocier, un Etat souverain,
peut décider de faire fabriquer une copie d'un produit dont il a besoin
par une industrie locale : c'est ce que l'on appelle une licence obligatoire.
Cette disposition permet également à un pays ne disposant pas de
capacités de production propre d'importer des copies de traitement.
Cela étant, sous la pression de gouvernements du Nord,
eux-mêmes guidés par les compagnies pharmaceutiques, l'Afrique
francophone - a adopté les accords de Bangui qui stipulent que le
recours aux licences obligatoires est interdit dans les pays signataires.
Autrement dit ces pays ont adopté une législation encore plus
contraignante que les accord (ADPIC) qui cantonnaient déjà la
santé des populations à des dispositions exceptionnelles.
2003
Décembre : Séance historique
à New-York. L'OMS et l'ONUSIDA lancent la stratégie 3 by 5 «
3 millions de traitements antirétroviraux d'ici 2005. 400 000 personnes
bénéficient d'un traitement ARV dans les pays à ressources
faibles ou intermédiaires. En 2006, près de 700 000 personnes
sont mises sous traitement pour la première fois. En décembre
2006 près de 2 015 000 personnes vivant avec le VIH
bénéficieront d'un traitement dans les pays à faibles
ressources ou intermédiaires soit 28 % des 7,1 millions de personnes qui
en auraient besoin.
2005
Janvier : L'Inde a dû mettre sa
législation sur les brevets en conformité avec les règles
de l'OMC sur la propriété intellectuelle qu'elle a rejoint. Le
pays délivre désormais des brevets pour 20 ans sur les nouveaux
produits et procédés pharmaceutiques ce qui restreint
considérablement la possibilité de produire des
génériques à prix abordables.
Mars : La Food and Drug Administration (FDA)
a donné, pour la première fois, un accord à titre d'essai
à une compagnie pharmaceutique étrangère - ASPEN
PHARMACARE, pour la production d'une version générique de
médicaments anti-VIH.
Le produit concerné est une trithérapie vendue
en pack, comprenant deux types de comprimés, l'un de Lamivudine /
Zidovudine et l'autre de Névirapine, à prendre chacun deux fois
par jours après une phase d'initiation de deux semaines de Nevirapine.
Le comprimé de la combinaison Lamivudine / Zidovudine à la dose
fixe est une copie du produit déjà approuvé par la FDA
et commercialisé par GSK, Combivir. Le comprimé de
Névirapine est quant à lui une version de Viramune produit par
Boeringher. L'accord spécifique donné par la FDA, fait de sorte
que même si les brevets et l'exclusivité protègent le
marché américain du produit d'ASPEN, il doit répondre aux
standards américains de qualité, de sécurité et
d'efficacité. Il permet surtout à l'administration et aux
organisations humanitaires américaines d'acheter ces médicaments
génériques à moindre coût pour les redistribuer aux
quatorze pays d'Afrique et des Caraïbes plus particulièrement
concernés par le plan américain d'aide d'urgence contre le
SIDA
Septembre : L'assemblée
générale de l'ONU puis le sommet des chefs d'Etats du G8 à
Gleneagles en juillet adoptent l'objectif (( d'accès universel >>
aux traitements du VIH/SIDA, et aussi définitivement clôturent le
débat international qui faisait rage depuis plus de 5 ans entre les
économistes sur le bien fondé de la diffusion massive des mu
ltithérapies antirétrovi rales.
2006
XVI° Conférence Internationale à Toronto
et surtout deux conférences (( satellites >> à Toronto en
août et à Harvard en septembre entérinent un tournant
majeur dans les recherches sur l'économie du SIDA dans les pays en
développement. Même si elle n'atteint pas l'objectif
proclamé fin 2005 (à cette date le chiffre s'établissait
à 1,3 millions) l'initiative (( 3 by 5 >> de l'OMS cristallise des
progrès significatifs (le nombre de personnes sous traitement a
triplé en deux ans.
Septembre : Dans la foulée de la
Conférence de Paris, la France propose de créer une
facilité internationale d'achat de médicaments : UNITAID.
Alimentée par des prélèvements de solidarité, elle
permettra d'augmenter l'offre et de faire baisser les prix des
médicaments.
2007
La firme pharmaceutique suisse Novartis s'attaque à la
loi indienne sur les brevets votée par les parlementaires en 2005. Dans
cette loi qui essaie de concilier respect du droit de propriété
intellectuelle et impératif de santé publique, le gouvernement
indien a inclus dans sa loi (le Patent Act) une clause (article 3D)
prévoyant que ne sont brevetables que les médicaments
réellement nouveaux et innovants. Cet article vise à contourner
la pratique courante des entreprises pharmaceutiques qui consiste à
apporter des modifications mineures à des molécules existantes
pour obtenir un nouveau brevet. C'est cette loi que Novartis attaque devant les
tribunaux. Si le laboratoire obtient gain de cause, un médicament
développé et commercialisé dans les pays riches et
susceptible, au terme d'une période de 20 ans, de tomber dans le domaine
public pourra, moyennent des changements mineurs être de nouveau
protégé par un brevet... de 20 ans !
C'est ce type de prolongation de la protection qu'offre les
brevets que Novartis a tenté d'obtenir pour son anticancéreux
Glivec et que permettrait l'abrogation de l'article 3D. L'Inde a rejeté
la demande de brevet en janvier 2006 car ce médicament étant une
nouvelle formulation d'un médicament déjà existant. Dans
d'autres pays ou Novartis a obtenu un brevet, le Glivec est vendu 2600 dollars
par patient et par mois. En Inde la version générique du Glivec
est disponible à moins de 200 dollars par patient et par mois. Novartis
tente aujourd'hui d'annuler cette décision afin de vendre ce
médicament au même prix en Inde que dans les autres pays.
Depuis que la loi indienne a été changée
en 2005, près de 10 000 demandes de brevet sont en attente d'examen. Si
l'Inde accorde des brevets de la même manière que les pays
développés cela signera l'impossibilité de produire des
génériques de médicaments récemment
développés et commercialisés dans les pays riches. Il est
évident que les prix de plusieurs médicaments monteraient en
flèche. Cela aura un impact très lourd sur les malades qui
dépendent des génériques particulièrement les
personnes vivant avec le VIH.
Le budget antirétroviral pèse lourd sur le
budget d'une famille. Un traite ment générique coûte entre
23 à 24 dollars par mois. Ce coût est déjà
énorme dans un pays ou 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars
/ jour (moins de 1 dollar en Afrique). IL pourrait s'élever à 340
dollars par mois. Lorsque la charge virale augmente, il faut se procurer un ou
deux inhibiteurs de la protéase par mois ce qui fait 115 dollars de plus
car ce ne sont pas des génériques.
Si Novartis l'emporte, le prix des médicaments contre
le Sida pourrait devenir 20 à 50 fois plus cher car de plus en plus de
malades ont recours aux médicaments de deuxième ligne. Etant
donné que l'Inde est aujourd'hui le principal fabriquant mondial de
médicaments contre le sida, l'impact serait ressenti au niveau
international.
Janvier : En conformité avec les
règles de l'OMC, le gouvernement thaïlandais a décidé
en janvier dernier d'émettre des licences obligatoires sur plusieurs
médicaments utilisés dans les trithérapies, dont le
Kalétra® (ou Aluvia - produit phare du laboratoire
Abbott. La réaction ne s'est pas fait attendre : Abbott a publiquement
condamné cette mesure, et annoncé par voie de presse dans la
foulée qu'il retirait ses demandes d'autorisation de mise sur le
marché (AMM), présentes et à venir, pour tous ses
produits. Sans AMM, impossible pour le pays de produire ou d'importer une
version, même générique, du médicament, puisqu'il
n'aura pas pu être évalué. Abbott prive donc les
Thaïlandais de ses nouveaux médicaments, notamment,
l'Aluvia®, une version thermo-stable du
Kaletra®, résistante à chaleur.
En Thaïlande, jusqu'en 1992 les brevets n'étaient
accordés que sur les procédés industriels de fabrication,
et non sur les produits eux-mêmes. Aussi les médicaments en
eux-mêmes n'étaient pas sous brevet, et si tant est qu'un autre
procédé de fabrication existe, rien ne s'opposait
légalement à la production de copie. C'est pourquoi l'AZT, la D4T
et la DDI qui ont été brevetés avant 1992 existent en
version copiée dans ce pays.
Mars : Abbott annonçait ses mesures
de rétorsion contre la licence obligatoire émise sur le Kaletra
par la Thaïlande : retrait des demandes d'AMM de 7 produits (antibiotique,
traitement contre l'insuffisance rénale chronique, hypertension
artérielle, thrombose...) et boycott du marché thaïlandais
(refus d'y enregistrer ses produits à venir).
La Thaïlande se retrouve donc au coeur de la plus grande
bataille des brevets jamais menée. C'est ainsi qu'il faut
interpréter la décision (en deux temps) du laboratoire
américain Abbott. : abaisser, le 10 avril, le prix d'un de ses
médicaments antisida le Kaletra , à 1 000 dollars par an et par
malade dans 40 pays, dont la Thaïlande. Proposer à Bangkok, le 23
avril, la nouvelle formule de son Kaletra (l'Aluvia, qui n'a pas besoin
d'être réfrigéré) à prix
((cassé)). Qu'est-ce qui a donc poussé l'un des fleurons
du plus rentable des business à lâcher du lest sur un
((blockbuster)) qui lui rapporte 1,1 milliard de dollars dans 118 pays
?
La nouvelle junte au pouvoir à Bangkok depuis
septembre 2006 (actionnaire du laboratoire générique GPOvir) est
à l'origine d'une initiative sans précédent. Ce qu'aucun
gouvernement n'avait, jusque-là, osé faire. Pas même le
Brésil, pourtant en pointe pour faciliter l'accès aux traitements
à plus de 50 % de ses patients : promulguer une succession de lois
(((licence obligatoire>>) pour permettre l'importation ou la production
d'un générique, alors que les médicaments ((de
marque>> sont toujours protégés par des brevets. D'autres
pays l'avaient précédé dans la production de copies
à bas prix (la Malaisie et le Mozambique, par exemple). Mais la
Thaïlande a fait plus fort en s'octroyant trois licences obligatoires.
D'abord, en novembre 2006 sur l'Efavirenz (un autre antirétroviral de
l'américain MSD). Puis, en janvier 2007, sur le Plavix (du
français Sanofi-Aventis), un anticoagulant destiné aux maladies
cardio-vasculaires. Et sur le fameux Kaletra d'Abbott, un traitement de
((deuxième intention>> administré aux malades du sida qui
développent des résistances. Contrairement aux
antirétroviraux de première génération, accessibles
à 150 dollars par an et par patient, le Kaletra se monnayait, lui,
à 3 700 dollars !
La réaction d'Abbott a été d'une rare
virulence. La firme de Chicago a décidé de retirer sept nouveaux
médicaments en passe d'être enregistrés dans le pays, dont
le fameux Aluvia. Prudemment, Abbott avait d'abord proposé, en
février, de diviser par trois le prix de son Kaletra...
Pour bien comprendre l'ampleur de la bataille et la virulence
des coups échangés, il faut jeter un oeil sur l'analyse des
alliés de l'industrie, tel l'American Enterprise Institute (AEI), vent
debout contre ceux ((qui veulent démonter les droits de
propriété intellectuelle)).
La junte de Bangkok serait ainsi coupable à ses yeux,
((avec l'aval des ONG)), de ne consacrer que 3,3 % de son budget à la
santé, contre 7,6 % pour le Brésil, par exemple. Et risque, par
sa ((politique anti-brevet)), de mettre en ((danger)) les investissements
étrangers en Thaïlande, note Roger Bate de l'AIE, dans une
récente analyse.
Pas évident. Une étude publiée le 10
avril rappelle que le lancement de nouvelles générations de
molécules antisida rapportera 10,6 milliards de dollars contre 7,5
milliards en 2005. Par ailleurs, le business du médicament affiche une
santé insolente avec une expansion de 7 % l'an passé, à
693 milliards de dollars. ((Les pays émergents, qui représentent
17 % du marché mondial, vont connaître un boom de 30 % l'an
prochain)), note un autre rapport. L'Afrique, grande oubliée, ne
pèse que 1,3 % des ventes mondiales.
Les médicaments au Nord, les malades au Sud. C'est
peut-être ce qui a poussé des actionnaires chrétiens
d'Abbott, The Interfaith Coalition on Corporate Responsibility, à
dénoncer une position ((non éthique)) de leur groupe. Et
pressé la Fondation Clinton, rejointe par 22 sénateurs
américains, à fustiger l'attitude d'Abbott envers Bangkok. Le
groupe américain se devait donc de reprendre la main à la veille
de son assemblée générale. Et de ne pas perdre la guerre
de l'image, à l'instar du fiasco de 39 laboratoires contre le
gouvernement sud-africain en 2001. C'est ce qu'il a fait, avec la
bénédiction de l'OMS, qui se félicite de voir la firme
proposer son Kaletra à un prix ((moins cher que les
génériques.)) Adoubant au passage la stratégie d'Abbott :
céder sur le prix plutôt que de lâcher sur les brevets, et
tenter de conserver une rente, une situation de monopole sur les
médicaments. Que va faire la Thaïlande ? S'affranchir des brevets
au motif qu' ((il devient indispensable que l'humanité formule un
nouveau mode de pensée si elle veut survivre)), invoque le
ministère de la Santé citant Einstein ? Ou retirer sa licence
obligatoire, victime ((d'une prise d'otage de ses malades du sida)) par Abbott,
comme le dénonce Médecins sans frontières ? Son choix
risque de faire jurisprudence...
Mai : Le gouvernement brésilien
refuse les offres de MSD qui proposait une réduction de 30 % du prix de
son antirétroviral Efavirenz et décide l'importation d'un
générique...
Juin : Une plainte a été
déposée par la firme pharmaceutique Abbott contre Act Up-Paris, a
annoncé l'association. Cette plainte fait suite à une action
menée le 26 avril, la veille de l'Assemblée
générale des actionnaires du groupe. Act Up-Paris et des
associations de malades thaïlandaises appelaient à un
((netstrike»: il s'agissait de se connecter de manière
répétée sur le site internet de la firme ((pour le
ralentir ou le saturer». La firme pharmaceutique a porté plainte
contre Act Up-Paris pour entrave au fonctionnement d'un système de
traitement automatisé de données et détention ou mise
à disposition des outils qui permettent le blocage d'un système.
Act Up risquerait ((70.000 euros d'amende et des dommages et
intérêts»....