Tsui Hark, le savant fou.
Retour en arrière.
Avant de parler de l'arrivée de Tsui Hark aux
Etats-Unis, il convient d'en dresser un portait et de souligner son
importance.
En effet, sa trajectoire pourrait à elle seule
résumer vingt ans de cinéma hongkongais. C'est certainement le
plus grand créateur et expérimentateur à tel point qu'on
peut affirmer sans peine qu'il est un visionnaire, totalement inclassable.
Il suffit de regarder ses films. Il commence par Butterfly
murders (1979) dont le titre résume le film. Il se fera remarquer
en 1980 avec L'enfer des armes, un film politique, social et
anarchiste. Il devient le fer de lance de la nouvelle génération
de réalisateurs rebelles, on parle de « nouvelle
vague ». Mais il se trahira aussitôt en signant Zu, les
guerriers de la montagne magique en 83, un pur divertissement noyé
sous un déluge d'effets spéciaux. Le succès est là
et Tsui Hark crée alors son propre studio de production,
dévoilant son mauvais côté, celui du producteur despotique.
Il force ainsi John Woo à réaliser une suite au Syndicat du
crime avant d'en réaliser lui-même le troisième et
dernier épisode en 89.
Tel un savant fou, il est prêt à abandonner tout
ce qu'il a pu construire dans sa carrière dès qu'il a une
nouvelle idée. Il se met à transgresser toutes les lois, du
cinéma mais aussi de la nature : ses personnages se mettent
à exécuter des action improbables, des sauts
démesurés. Tsui Hark s'en moque complètement et on peut le
voir dans l'excellent Once upon a time in China (Il était
une fois en Chine, 1991) dans lequel il ressuscite Wong Fei-hung,
personnage mythique de la Chine traditionnelle, sous les traits de Jet Li.
Mais après plus de quinze ans de succès et
l'approche de la rétrocession, Tsui Hark n'arrive plus combler les
attentes de son public, l'échec de The Blade en 95 en est la
preuve flagrante.
Tsui Hark va alors traverser le Pacifique en 1997, encore une
fois suite aux propositions de Jean-Claude Van Damme, qui voit à Hong
Kong un vivier inépuisable de réalisateurs de talent.
Double team (1997).
Et voila, une fois de plus, il semblerait que les
réalisateurs hongkongais ne puisse pas échapper à cet
espèce de bizutage qui les force à tourner leur premier film
américain avec Jean-Claude Van Damme, ce fut également le cas de
Ringo Lam l'année précédente avec Maximum risk
(Risque maximum) dont nous reparlerons plus tard.
Mais tout comme John Woo, Tsui Hark n'a pas l'intention de se
faire marcher sur les pieds par les studios, lui qui, dans son pays,
régnait quasiment seul sur toute l'industrie
cinématographique.
Le résultat est un bras d'honneur gigantesque, un ovni
du cinéma. On y croise pêle-mêle le basketteur (mais
très mauvais acteur) Dennis Rodman, un tigre, l'île du
Prisonnier, Van Damme avec une perruque, des prêtres high-tech,
le faux come-back de Mickey Rourke et le Colysée de Rome qui
explose ! Le tout avec une narration improbable et un Tsui Hark qui se
moque éperdument des conventions et ne cherche jamais à donner
à son film une quelconque explication. Il ne fait
qu'expérimenter, encore et encore, mais il le fait cette fois ci avec un
budget américain. « ...je n'ai réussi à tourner
que 30% de ce que j'avais en tête, simplement parce que certaines
personnes estimaient que mon story-board n'était pas
réalisable. » déclare-t-il, tout de même
satisfait de son expérience.
Le film sort la même année que
Volte/face et il est amusant de constater les nombreux points communs
entre les deux. Ils racontent l'histoire d'un affrontement entre un flic et un
terroriste, dont l'origine remonte à la mort d'un enfant (celui de
Travolta dans Volte/face et celui de Mickey Rourke dans
Double team). Le héros est envoyé dans une prison en
pleine mer et on retrouve le thème de la destruction du noyau familial.
Bien entendu, ce ne sont que des coïncidences, les deux films ayant
été tournés à peu près en même temps,
mais c'est le résultat qui est intéressant : d'un
côté, le film cynique et foutraque de Tsui Hark qui a lutté
contre les studios, et de l'autre, le film de Woo qui a su intelligemment aller
dans le sens du système hollywoodien pour mieux le détourner.
Mais cela n'enlève rien au plaisir coupable que procure
Double team, film unique à l'encontre de tout formatage dont
les mille (mauvaises) idées par seconde parviennent à conserver
toute l'attention du spectateur motivé.
A l'arrivé, le film peine à se rembourser mais
cela n'empêchera pas Tsui Hark de récidiver l'année
suivante, toujours avec Jean-Claude Van Damme, toujours produit par la
Columbia, mais cette fois-ci, dans son pays d'origine.
|