Piratage, rétrocession et triades.
Malgré cette reconnaissance mondiale, le cinéma
hongkongais se porte très mal.
« A Hong Kong, plus de la moitié de la
population - la classe ouvrière - ne voit qu'un seul film par an (...).
Le reste du temps, les gens préfèrent louer des cassettes
plutôt que de débourser le prix d'un ticket. » Cette
déclaration de Chow Yun-fat en explique ici l'une des causes mais le
fléau qui est en train de s'abattre là-bas, c'est le piratage,
qui permet aux gens d'acheter dans la rue, pour des sommes dérisoires,
des CD sur lesquels on trouve des films qui ne sont pas encore sortis au
cinéma.
Mais ce sont les professionnels eux-mêmes qui en sont
responsables car ils n'ont jamais signé les lois sur le copyright, ne
pouvant donc pas lutter contre le bootleg, comme on l'appelle
également.
Il y a aussi le cinéma américain, de plus en
plus présent sur les écrans, que le cinéma local n'arrive
plus à affronter.
Alors que l'invasion de la vidéo, des copies
piratées et des films américains tue lentement le cinéma,
beaucoup voient également d'un très mauvais oeil
l'échéance de 1997, date de la rétrocession de Hong Kong
à la Chine. La crainte est bien évidemment de perdre toute
liberté d'expression en se retrouvant sous le joug de la dictature
chinoise.
Une autre peur est celle de voir l'industrie
cinématographique tomber entre les mains des triades (la mafia
chinoise), qui se sont toujours intéressées de près au
cinéma (plusieurs acteurs, comme Jackie Chan ont déjà
été menacé et l'agent de Jet Li à même
été assassiné).
John Woo y fera allusion dans Hard boiled
(À toute épreuve, 1992), en situant son action en 1997
à la veille de la rétrocession et en nous montrant un Hong Kong
infesté par le crime et la violence.
L'appel de l'Amérique.
De John Woo il est donc question pour terminer cette
première partie, et cela tombe bien, car il est le premier à
quitter la colonie pour se lancer aux Etats-Unis l'année suivante et
rencontrer le succès.
Bien sur, il serait inexact d'attribuer ce départ
uniquement aux seules craintes citées précédemment, car
cela serait négliger les appels incessants de l'Amérique qui
offre tout de même de grandes perspectives à des cinéastes
et des acteurs en recherche de renouveau ainsi que d'une renommé
mondiale.
Partie 2. Une arrivée en
masse.
John Woo, le maître.
« A Hong Kong, John allait se retrouver à
faire le même film ad nauseam. Venir à Hollywood lui
semblait donc une bonne idée mais je crois qu'il ne se rendait pas
compte de ce qui l'attendait en terme de relations avec les studios.»
explique Terence Chang, producteur et ami de John Woo.
Chasse à l'homme (1993).
Et en effet, le tournage de Hard target (Chasse
à l'homme), premier film américain de John Woo, fut
calamiteux à bien des égards.
Tout commence lorsque Jean-Claude Van Damme se rend à
Hong Kong avec un producteur pour rencontrer Woo et lui proposer le projet, ce
dernier, d'abord tenté de convaincre Kurt Russell d'accepter le
rôle principal se résout à travailler avec Van Damme sur le
film.
Il s'agit d'une sorte de remake de The most dangerous
game (Les chasses du Compte Zaroff de Irving Pichel et Ernest B.
Shoedsack, 1932) dans lequel Van Damme campe un ancien docker devenu SDF
affrontant un richissime homme d'affaires qui propose à ses pairs,
avides d'émotions fortes, de jouissives parties de chasse à
l'homme moyennant de fortes rémunérations. Van Damme devient le
gibier alors qu'il aide une jeune femme à retrouver son père,
victime de ce divertissement monstrueux.
Le scénario s'écarte donc grandement de
l'original et le fait d'avoir remplacé les marins en perdition par des
sans-abri, des rejetés de la société, permet tout de
même au film d'avoir un propos et d'échapper au film d'action pur
et dur, même si l'on ne retrouve pas les thèmes chers à
John Woo.
Mais une fois le projet lancé, Woo se retrouve alors
confronté aux studios d'Universal et à leurs dirigeants,
plutôt frileux. Ils craignent que Woo, ne maîtrisant pas encore
l'anglais, ne sache pas tenir une équipe. Le réalisateur Sam
Raimi, également producteur exécutif sur le film et fan du
travail de John Woo est dépêché sur le plateau,
officiellement pour l'aider, mais en réalité pour le
surveiller.
Il faut dire que les méthodes hongkongaises ont de quoi
inquiéter, John Woo improvise, change d'avis dès qu'une nouvelle
idée lui vient et ignore totalement le story-board. « Je n'en
avais jamais utilisé à Hong Kong et je ne voyais vraiment pas
l'intérêt d'en avoir un ».
Mais le plus gros problème qu'il va rencontrer n'est
autre que la star de son film : Jean-Claude Van Damme! Il donne son avis
sur tout et demande des changements d'angle de caméra. Il rend la vie
infernale sur le plateau et Woo est totalement abasourdi par le pouvoir dont
dispose l'acteur.
Cela renforce la sympathie de l'équipe pour le
réalisateur qui ne s'emporte jamais et préfère faire
semblant de ne plus comprendre l'anglais lorsqu'il est furieux. Après
soixante-cinq jours de tournage en Nouvelle Orléans, le film est
près pour la post-production et John Woo doit alors affronter d'autres
problèmes.
Il se confronte en effet aux producteurs d'un
côté, qui lui reproche d'avoir fait un film « trop
chinois » avec trop de plans, ce qui le surprend tout de
même : « J'ai fini par leur demander pourquoi ils
m'avaient engagé. Ils connaissaient mes films avant de me choisir et ils
me reprochent de faire du John Woo ».
Et enfin, d'un autre côté, il y'a les censeurs de
la MPAA qui menacent d'interdire le film aux moins de dix-sept ans. Le film est
amputé de partout et Van Damme demande même à se faire
rajouter des gros plans, prétextant que le public irait voir le film
pour lui. Le film sortira donc aux Etats-Unis en version censurée et en
Europe avec cinq minutes supplémentaires sous l'appellation director's
cut. Il existe également une version pirate plus longue de trente
minutes que l'on peut considérer comme le vrai director's cut.
On reconnaît tout de même sans peine la mise en
scène de John Woo avec quantité de grand angle, de travellings,
de ralentis et même de colombes, mais on sent qu'il n'a pas eu le
contrôle total sur le film et, bien qu'il ai eu beaucoup de
succès, les fans sont tous très déçu de ce premier
essai. La présence de Jean-Claude Van Damme, qui n'a eu de cesse de
tirer le film vers le bas, en est l'une des explications principales. On se
console alors avec les deux méchants, campés par Lance Henrikssen
et Arnold Vosloo, bien plus intéressants que le héros du film et
à qui John Woo avait donné beaucoup plus de scènes
à l'origine.
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