III. Le brevet anticipé
L'incitation à se lancer dans une activité de
R&D pour aboutir à un brevet anticipé, émerge
clairement dans le modèle développé par Gilbert et
Newberry, que nous allons reprendre.
Supposons qu'une firme en place sur le marché soit en
monopole dans la vente ou la production d'un produit (le bien
1). Ce monopole peut être la conséquence d'un brevet
déposé plus tôt, ou dû simplement au fait qu'il est
le seul à avoir accès aux facteurs de production ou de
distribution.
L'entrée dans une industrie monopolisée
peut exclusivement avoir lieu à travers l'invention et le
dépôt du brevet du seul produit brevetable, qui est un substitut
du bien du monopoleur. Le coût d'invention du substitut
(le bien 2) dépend seulement du retard
espéré avant qu'une conception brevetable puisse être
produite.
Dans leur représentation simpliste, la date de
l'invention T est une
fonction déterministe. La fonction de
coût C(T), qui est identique pour toutes les
firmes engagées dans l'activité de R&D pour produire le
substitut est une fonction décroissante de la date de succès.
Autrement dit, la date de succès est certaine et est d'autant
plus rapprochée que l'effort d'investissement est
élevé.
è L'agent qui valorise le plus l'innovation est
assuré d'être le vainqueur de la course.
L'espace des stratégies de chaque firme est restreint
par la dépense en R&D du bien 2 et le prix
du bien proposé par les firmes. Posons
Pj le prix du bien
(j=1,2). Le bien 1 est uniquement
vendu par la firme en place (i.e le monopole). Tandis que le
monopoleur (i = m) ou un entrant (i = e) peuvent faire
breveter le bien 2. La demande est connue avec certitude
et elle est invariable dans le temps.
Avant que le substitut soit breveté, le monopoleur fait
un profit m
(P1). Si le monopoleur fait breveter le substitut, son
profit sera m
(Pm1, Pm2). Si par
contre, c'est l'entrant qui dépose le brevet du bien
2, le bénéfice de l'ancien monopoleur devient
m (Pm1,
Pe2) et celui de l'entrant est
e (Pm1,
Pe2). Les profits sont
indépendants du temps, ce qui suppose implicitement que toutes les
dépenses d'investissement sont incluses et entièrement
amorties.
Dans tous les cas,
Pij (j = 1,
2 ; i = m, e) correspond au prix qui maximise le profit de
la firme i qui produit le bien
j , étant donné la structure dominante
du marché.
Le monopole a le choix entre breveter la technologie de
remplacement afin de retarder la concurrence ou bien autoriser l'entrée.
Gilbert et Newberry permettent au monopoleur de choisir une date de brevet,
sous l'hypothèse que les concurrents feront breveter le substitut
à la date déterminée par la condition de libre
entrée dans la course au brevet.
Le retour sur investissement attendu du brevet par le
monopoleur correspond à la différence entre le profit de monopole
avec le brevet et le profit lorsque l'entrée est autorisée.
La firme devrait breveter le produit de remplacement et anticiper des
participants potentiels chaque fois que cette différence excède
le coût du brevet car elle y gagne.
Une simple comparaison des profits courants montre que, sous
certaines conditions, le monopoleur gagnera toujours en
dépensant plus dans l'activité de R&D que la valeur
actualisée qu'un rival peut espérer gagner avec le
substitut.
è Le monopoleur dépensera toujours plus
que ses rivaux dans l'activité de recherche et développement, si
l'entrée aboutit à une réduction des profits totaux en
dessous du niveau de maximisation commun.
La démonstration de ce résultat est la suivante.
Laissons r représenter le taux
d'intérêt (le même pour toutes les firmes). La
récompense de l'entrant potentiel dépend du prix pratiqué
par l'ancien monopole qui produit le bien 1,
Pm1, du prix pratiqué
par l'entrant, Pm2, aussi bien
que de la date d'entrée T. La condition de
libre entrée dans la course au brevet a comme
conséquence de dissiper les profits, aussi :
Si l'équation (1) est satisfaite pour
plus d'une invention à la date T, la
concurrence pour le brevet sélectionnerait le premier
déposant.
Lorsque l'entrée se produit, le profit de l'ancien
monopoleur devient :
Supposons maintenant que le monopoleur prenne la date
d'invention définie par la condition de libre entrée comme celle
décidée par l'équation (1) et envisage
d'inventer avant cette date. Si le coût d'invention est continu à
la date T, le monopoleur peut anticiper sur ses
rivaux, c'est-à-dire, inventer à une date
T-, avec arbitrairement petit, en dépensant
une somme. La firme
reste en monopole et gagne :
.
La différence entre les profits avec anticipation et
profit avec entrée est lorsque et tendent
vers zéro :
Notons que le prix de monopole du bien
1 avec entrée peut différer du prix de monopole de
ce produit lorsque l'entrée est anticipée. En effet, le
monopoleur n'a pas besoin de breveter le substitut technologique dans le cas
où ce serait l'entrant qui le produit.
En remplaçant C(T) par sa
valeur, on obtient :
Le profit de monopole provenant du brevet anticipé
est strictement supérieur au profit de monopole réalisé
avec entrée si :
Ø Le membre de gauche de l'équation
(6) représente le profit maximum que peut atteindre le
monopoleur en produisant les deux biens.
Ø À l'inverse, le membre de droite correspond au
profit total de l'industrie lorsque le rival dépose le brevet du
substitut.
Le profit du monopoleur excédera celui de l'entrant
chaque fois que l'entrée aboutira à une réduction des
profits totaux, pourvu que le monopoleur ne subisse aucun désavantage
économique dû à la production du substitut par une
société rivale.
è Il est clair que si la production du bien
2 par l'entrant n'a aucun effet sur les profits que réalise le
monopole en produisant le bien 1, ce dernier n'est pas incité
à se lancer dans une activité de R&D
anticipé.
Le même argument est valable si la concurrence pour le
brevet est moins intense. Dans ce cas, l'entrant potentiel anticipe un profit
positif plutôt qu'un profit nul, comme le stipule la condition de libre
entrée (1).
Kenneth Arrow a observé qu'avec une protection
du brevet, l'incitation à investir dans la recherche et le
développement est plus faible pour un monopole que dans un cadre de
concurrence ; ce qui suggère que des firmes en monopole
soient plus lentes que leurs concurrents pour développer de nouveaux
produits ou procédés. Cela ne contredit pas les arguments
développés dans la section I, étant donné qu'Arrow
a supposé que l'entrée était bloquée dans le cas
d'un monopole.
è Cette étude montre qu'autoriser
l'entrée peut inciter le monopole à se lancer dans une
activité de R&D anticipée s'il prévoit que la
concurrence réduira le profit de l'industrie.
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