IV. Commentaires sur le modèle
Le modèle développé dans la section I
nous a permit de comprendre ce qui pousse une firme en monopole à se
lancer dans une activité anticipée de R&D. Contrairement
à ce qu'a pensé Williamson, cette motivation n'est pas le
résultat des imperfections du marché. Dans notre cas, le
marché est efficace excepté pour expliquer l'existence initiale
du monopole.
è La firme peut maintenir son monopole si
l'entrant potentiel anticipe le fait que la concurrence érodera les
profits de l'industrie.
Cela requiert de la part des entrants potentiels la
capacité de prévoir les actions futures, mais suppose
également que les concurrents sont capables d'influencer les profits
totaux de l'industrie.
L'exemple étudié précédemment
ignore plusieurs complications que nous allons développer dans cette
section.
i. Les dépenses en R&D du
monopole
Le monopole anticipe l'entrée de concurrents
potentiels, en déposant le brevet avant la date décidée
par la condition de libre entrée. Si un concurrent sait que cette
stratégie est rationnelle pour le monopoleur, l'entrée à
travers l'activité de recherche et développement ne se fera
pas.
L'anticipation des dommages que peut causer l'entrée
d'un concurrent serait crédible si le monopoleur pouvait
accélérer l'activité de R&D, en réponse aux
dépenses de R&D du rival sans entraîner des coûts
supplémentaires ou des retards significatifs. Dans ce cas,
l'entrée potentielle n'affecte pas le comportement du monopoleur et, ce
dernier innove si l'entrée est bloquée.
è L'entrant potentiel n'investira pas dans la
R&D parce qu'il sait qu'il est rationnel pour la firme en monopole
d'accélérer ses recherches si des concurrents entrent dans la
course au brevet.
Si l'accélération des recherches du monopole en
réponse à l'activité de R&D de ses rivaux
entraîne une augmentation des coûts, la firme en monopole peut se
retrouver forcée d'anticiper les dommages.
Cela serait rationnel si le coût d'attente d'un
concurrent pour lancer son programme de R&D excédait le profit
espéré. Autrement dit, l'entrant potentiel commencera à
innover afin d'entrer sur le marché. Ainsi le monopoleur ne se sera pas
incité à débuter une activité de R&D,
étant donné que l'accélération de son
activité aura un coût trop élevé et le profit
espéré sera moindre. Dans ces circonstances, la recherche
est planifiée et son intensité est déterminée par
le degré de la concurrence.
è Dans ces circonstances, la concurrence
influence négativement l'innovation (argument de Joseph Schumpeter).
L'anticipation est l'équilibre de Nash de ce jeu.
ii. Anticipation et « sleeping
patents »
Un « sleeping patents » est une
invention qui n'est pas développée. On a simplement
déposé le brevet. Dans un monde certain, un monopole
protégé de l'entrée refusera d'investir des fonds pour
produire un « sleeping patents », ou alors ce
dernier constituera une étape de développement d'une meilleure
technologie. Gilbert et J. Stiglitz montrent que le « sleeping
patents » n'est pas réservé uniquement à
la firme en monopole.
En effet, la condition de libre entrée peut mener les
concurrents à déposer ce type de brevet. Ce dernier peut
résulter d'un brevet anticipé. Si
l'entrée d'un rival est profitable, le monopoleur choisira de ne pas
produire le bien substituable, car même en supposant que les
coûts et la demande soient identiques pour les deux biens, le
développement et la production de l'innovation ont un coût
élevé. Aussi, une fois que les coûts de R&D
sont déduits du profit, on obtient :
Cependant, rien n'empêche la firme en place de
déposer le brevet et de ne pas l'utiliser. Le monopoleur
anticipera de déposer le brevet du bien substituable, dès lors
qu'il prévoit que l'entrée d'un concurrent aura pour
conséquence de réduire le profit total de l'industrie.
è La firme en place doit déposer le
brevet avant les concurrents afin de dissuader l'entrée,
déterminant ainsi la date d'invention. Utilisé ou pas, ce brevet
dépend des caractéristiques de la nouvelle technologie et du
stock de capital. Dans notre cas, le monopoleur n'utilisera jamais son brevet
car il gagne plus en ne produisant que son bien.
Plus généralement, Y. Barzel ainsi que Dasgupta
et al. montrent que la date optimale pour le monopoleur d'utiliser sa
nouvelle technologie brevetée est plus éloignée que la
date déterminée par la condition de libre entrée.
iii. Désavantage économique dû
à une mauvaise gestion
Le désavantage économique dû à une
mauvaise gestion a lieu si le monopole ne peut développer un programme
de recherche ou un plan de production aussi efficace que n'importe quel rival.
Ce désavantage dans la gestion ne change rien au problème
de décision de la firme en place.
L'anticipation est une stratégie rationnelle si le
coût de protection par le brevet est moins important que la
différence entre le profit du monopole avec le brevet et celui ou
l'entrée est autorisée.
è Il apparaît évident que si les
désavantages du monopole dans la gestion sont significatifs, une
stratégie d'anticipation est moins probable.
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