SECTION II- LA PROTECTION DES CIVILS CONTRE L'ARBITRAIRE
ET LE SECOURS AUX VICTIMES
«La guerre est l'affaire de ceux qui la font, mais elle
frappe également les populations civiles qui en sont à la fois
les victimes et l'enjeu ». Cette idée de François BUGNON
trouve davantage sa pertinence à l'examen des nouveaux types de
confrontation telle la guerre Etat / Unis / Irak qui consiste pour une
armée, sous un prétexte quelconque à envahir les
populations du territoire ennemi, ce qui favorise l'arbitraire entre le
bourreau occupant et la population civile victime qui n'a que ses jambes pour
courir, ses yeux pour pleurer, sa bouche pour crier et son sang à
verser. Cette protection contre l'arbitraire s'inscrit dans le cadre du
régime général de l'occupation. De même, l'une des
méthodes inhumaines de la guerre consiste à couper les
ravitaillements, à favoriser la famine afin d'amener la population
exténuée à se rebeller contre le pouvoir en place. Cette
méthode, combinée aux effets encouragés par la guerre tels
que le surpeuplement des hôpitaux, la pollution ... est probablement
à l'origine d'une idée d'aide aux populations.
PI- LE REGIME GENERAL DE L'OCCUPATION.
Au sens de l'article 42 du règlement de la Haye, un
territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve
placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie. Cette
occupation ne s'étend qu'aux territoires réellement
occupés c'est à dire aux territoires ou cette autorité est
effective.
Comment un individu peut - il réellement
s'épanouir quand une armée étrangère occupe son
pays? Telle est la question qui guide l'esprit des humanitaires en cas d'
occupation.
L'histoire à ce sujet est assez fournie; le souvenir
le plus vivace dans les esprits reste celui de l'occupation du KOWEIT par
l'armée irakienne en août 1990. La réalité la plus
flagrante est celle des territoires occupés de Palestine.
Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, les citoyens
ont été tantôt internés, tantôt
assignés à résidences surveillées ou
régulièrement contrôlés au mépris de la
pratique légale internationale prévue par les Conventions de
Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977. Ces textes
s'insurgent de façon générale contre les atteintes aux
personnes et aux biens et préconisent la survivance et la
continuité de l'Etat.
A - LA PROTECTION DES PERSONNES ET DES BIENS.
Protéger une personne, fusse-t-elle en territoire
ennemi consiste à lui garantir malgré toute la suspicion qui
pèse sur elle l'exercice de ses libertés et à la
protéger contre toute atteinte à sa personne d'une part, et
d'autre par à respecter son droit de propriété.
De façon fort simpliste, la IV ème
Convention de Genève établit la protection de la population
civile des territoires occupés contre la puissance occupante, stipulant
qu'elle sera traitée sans discrimination, protégée contre
toute forme de violence et que, son épanouissement sera respecté
à travers la reconnaissance de ses cultures et de ses traditions. Ce
texte sauvegarde donc à la fois, l'intégrité physique, les
libertés publiques et éventuellement la dignité et
l'honneur.
Les droits de la personne au pouvoir de l'ennemi sont
intangibles et inaliénables :
- L'intangibilité des droits des personnes
protégées résulte de l'article 6 de la IV
ème Convention de 1949 qui stipule que les parties
belligérantes ne peuvent
conclure des accords susceptibles de porter atteinte à
la situation des personnes
protégées, soit de restreindre les droits que la
convention leur accorde.
- L'inaliénabilité des droits des personnes
protégées implique qu'elles ne peuvent renoncer involontairement
aux droits qui leur sont accordés.
De même que les personnes protégées auront
droit au ravitaillement et à l'assistance spirituelle, de même est
interdit l'enrôlement 36 et toute forme de
contrainte37. Ces droits s'étendent à travers
l'interdiction des transferts forcés individuels ou collectifs ainsi que
les déportations des habitants d'un territoire occupés vers le
pays occupant ou un autre38.
L'internement qui peut se justifier par des raisons de
sécurité, bien qu'admis reste fort contrôlé. La
puissance occupante doit accorder à ceux - ci un traitement au moins
équivalent à celui des prisonniers de guerre en se rappelant
qu'il s'agit des civils et par conséquent ne pas les soumettre aux
rigueurs qu'impose la discipline militaire. C'est ce qui se traduit par une
réglementation plus favorable des visites, du retour en famille en cas
de maladie grave39 ... Le travail de l'interné est
subordonné ici à son accord et sa libération est presque
de droit
36 - Art 30 et s IV ème C.V.G
37 -Art 51 IV ème C.V.G 38 - Art 49 IV
ème CV.G 39-Art116 IVème
C.V.G
lorsque les causes qui ont motivé son internement
n'existent plus. A la fin de l'occupation, le retour des internés
à leur dernière résidence ou leur rapatriement doit
être favorisé par les Etats40. Toute cette protection a
pour but de favoriser la continuité de l'Etat.
B- LA CONTINUITE DE L'ETAT OCCUPE
Le territoire occupé, nous l'avons mentionné ci
- haut et celui qui se <trouve placé de fait sous l'autorité
de l'armée ennemie >>. De cette situation de fait, l'article 43 du
règlement de La Haye tire une double conséquence:
D'une part la puissance occupante < prendra toutes les
mesures qui dépendent d'elle en vue de rétablir et d'assurer
autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics>>;
D'autre part elle devra, se faisant, respecter sauf
empêchement absolu les lois en vigueur dans le pays.
Complétant ce règlement, l'article 4 du
Protocole I précise que le statut juridique du territoire occupé
reste le même, inchangé. Pour mieux comprendre l'esprit de ce
texte, il convient d'adopter une démarche négative, consistant
à appréhender l'occupation par rapport aux notions voisines, en
établissant ce que l'occupation n'est pas.
1- Occupation et subrogation
La subrogation suppose une soumission complète du
vaincu au vainqueur, entraînant la fin de la guerre et la disparition de
l'Etat vaincu avec tout ce que cela suppose comme cortège d'abus face
à une population asservie.
L'occupation se caractérise au contraire par le maintien
d'une autorité de l'Etat vaincu même en exil, seule garante des
droits de la populatio
2- Occupation et annexion
Le droit dans le cadre du Jus In Bello d'occuper un
territoire n'entraîne pas celui de l'annexer car le Jus Contra Bello
interdit toute conquête territoriale fondée sur l'emploi de
la force. Cette règle classique a été rappelée
à maintes reprises pour les territoires occupés en Israël en
général, notamment à propos des mesures d'annexion prises
par l'Etat hébreu à l'égard de Jérusalem Est en
1962 et du Golan en 1981, également à l'occasion du conflit
Iran-Irak et la guerre du Koweït.
40 - ART 132? 133 ET 134 IVème C.V.G
3-La survivance des lois de l'Etat occupé.
Les lois de l'Etat occupé continuent à s'appliquer
à son territoire.
La sujétion de la population de l'Etat occupant ne doit
pas lui faire oublier son devoir d'allégeance envers son Etat d'origine.
Cette question relève cependant plus du droit interne de ce dernier que
du droit international. Le droit pénal de l'Etat occupé continu
à s'appliquer41 tout comme la loi de l'Etat occupé au
plan testamentaire et successoral. Quant aux lois et mesures adoptées
par le gouvernement en exil de l'Etat occupé pendant l'occupation, il
est admis qu'elles s'appliquent aux territoires occupés puisque la
souveraineté de l'Etat occupé demeure malgré l'occupation.
Cette règle traduit une autre selon laquelle le gouvernement en exil de
l'Etat occupé représente valablement celui - ci à
l' étranger.
Par ailleurs, les effets des mesures juridiques prises par
l'Etat occupant cessent avec la fin de l'occupation. Les effets juridiques de
certains actes accomplis survivent néanmoins à la fin de
l'occupation42.
L'Etat occupant, dans la mesure du possible apportera une
contribution sous forme d'aide aux populations si la nécessité
l'impose.
P2- L'AIDE AUX POPULATIONS
L'examen de l'aide aux populations dans le cadre de la
protection des populations contrairement aux usages qui consistent à
n'analyser que la protection sous les aspects touchant au physique et aux biens
se justifie par le fait que cette approche à notre sens paraît
parcellaire et même lacunaire, ne traitant la protection de la population
qu'en amont. Quel est donc le sort de la population lorsqu'elle est en proie
aux hostilités ou déjà victime des effets des
hostilités? Doit-elle être abandonnée à
elle-même? Telles sont les idées qui guident notre
réflexion quand nous greffons à cette protection en amont, une
protection en aval basée sur l'aide aux populations à travers
deux mécanismes forts louables: l'assistance humanitaire et le secours
aux victimes. Si les deux notions restent voisines en ce qu'elles concourent
toutes à améliorer le sort des populations, elles sont
fondamentalement différentes dans leur modalité d'exercice. A
l'assistance humanitaire se greffe de plus en plus la notion d'ingérence
humanitaire.
41 - Art64IVeC.V.G
42 - Un mariage célébré selon le droit de
l'Etat occupant mais contraire au droit de l'Etat occupé est valable sur
la base de la non contrariété avec l'ordre public de l'Etat
occupé
A - L'ASSISTANCE HUMANITAIRE
La base la plus générale du droit à
l'assistance en tant que droit de la personne prenant sa source dans le droit
international public peut être trouvée dans la DUDH qui dispose en
son article 28 que <toute personne à le droit à ce que les
droits et libertés énoncés dans la présente
déclaration puisse y trouver plein effet.> Cette disposition exprime
le lien qui existe entre les droits abstraitement formulés par la
déclaration dont le droit à la vie (art 3), le droit à
l'intégrité physique (art 5), à un niveau de vie suffisant
(art 25)... Dans ce contexte, l'aide humanitaire ne peut dans son principe
être qualifié d'illicite. En particulier, on ne peut l'assimiler
à une ingérence.
L'assistance humanitaire est à la fois une obligation
des Etats dans leur ensemble et une obligation de l'Etat territorial avec pour
créancier la population civile en détresse.
1- l'admission du principe
Ce rôle prioritaire de l'Etat territorial est absolument
reconnu par les résolutions de l'assemblée générale
des NU instaurant ce qu'on a appelé le nouvel ordre
international humanitaire. A ce sujet, les termes de la résolution
adoptée le 17 décembre 1991 sont forts évocateurs:
<c'est à chaque Etat qu'il incombe au premier chef de prendre soin
des victimes des catastrophes naturelles et autres situations d'urgence se
produisant sur son territoire. > Le rôle premier revient donc à
l'Etat touché dans l'initiative, la coordination, l'organisation et la
mise en oeuvre de l'aide humanitaire sur son territoire.
Ce principe est également réaffirmé par
la IV eme Convention de Genève dans son article 4 al1 en
vertu duquel <lorsque la population d'un territoire occupé ou une
partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée, la puissance
occupante acceptera les actions de secours faites en faveur de ses populations
et les facilitera dans la mesure de ses moyens.>
Parallèlement, le Protocole I prévoit que des
actions de secours seront menées sans délai ou seront
entreprises43.
Dans sa résolution 688 édictée à
la suite des évènements du Kurdistan irakien, il insiste pour que
< l'Irak autorise l'accès immédiat des organisations
humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance
dans toutes
43 - Art 69 Pa et 70 Pa PI
les régions de l'Irak et qu'ils mettent à leur
disposition tous les moyens nécessaires à leur
intervention.»
L'assistance humanitaire contre la volonté du souverain
territorial qui alléguerait des contre-mesures pour sa défense
est une pratique non interdite pour les ONG. Le principe de
non-intervention s'adresse exclusivement aux Etats et non aux particuliers.
Ainsi appréhendée, l'assistance humanitaire se
transforme dans son application pratique en un véritable droit dont les
modalités sont clairement définies dans la IV eme
Convention de Genève et les Protocoles additionnels.
2 - Les modalités de l'assistance
L'assistance dans son déploiement prend la forme d'un
secours à accorder aux victimes civiles des conflits armées.
Ainsi, qu'on soit en face d'un conflit armée à
caractère international ou non, les secours qui peuvent être
individuels ou collectifs sont admis pour des personnes internées ou
non.
En cas d'occupation, lorsque la population d'un territoire est
insuffisamment approvisionnée, la puissance occupante acceptera les
actions de secours faites en faveur de cette population et les facilitera dans
toute la mesure de ses moyens44
Ces actions de secours peuvent être tantôt
l'oeuvre des Etats tantôt l'oeuvre d'un organisme impartial tel que le
CICR. Pour un succès de l'opération, les Etats
doivent favoriser le passage des convois humanitaires destinés à
la population du territoire occupé. La puissance occupante se doit de
protéger ces convoies afin que les bénéficiaires puissent
être desservis dans les meilleurs délais. L'obligation qui
pèse sur la puissance occupante s'étend au respect des
destinataires, à la distribution rapide sans taxes et gratuite des
envois45
La composition des envois n'est pas expressément
définie. Aussi s'agit - il de façon générale des
biens destinés à l'alimentation, aux soins médicaux, des
vêtements. Il s'agit également des déplacements des
populations des zones dangereuses et à leur regroupement46
Ces secours s'étendent dans les prisons ou les
internés ont besoin de d'aide. Ils peuvent recevoir par voie postale ou
tout autre moyen des secours collectifs et individuels. Ces envois peuvent
être réglementés par des accords spéciaux entre
44 - Art 59 IV eme CVG. Ces travaux nécessaires
à leur survie ne devront en aucun cas avoir trait avec les
opérations militaires.
45 art 59 et s IV eme CVG
46art68ets pI
les puissances intéressées qui ne peuvent en aucun
cas entraver ou différer leur perception.
B- L'INGERENCE HUMANITAIRE
<Le devoir de non-ingérence s'arrête ou
naît le risque de non-assistance>> Déclarait le
président de la République française le 30 mai 1989
à l'ouverture de la réunion sur la compétence, la
sécurité et la coopération en Europe sur les droits de
l'homme. Après avoir appréhendé plus haut le concept
d'assistance qui serait en définitive tantôt un devoir des Etats,
tantôt un devoir des organisations humanitaires ou des particuliers,
l'ingérence se justifie au nom de l'humanité. Il faut donc que
les ONG en particulier mais aussi les Etats tiers le cas échéant
puissent intervenir lorsque la population civile est profondément
menacée au touchée. Selon une formule chère à
Loysel, <qui peut et n'empêche pêche.>> La transposition
de cette pensée ici a pour but de faire ressortir l'idée selon
laquelle l'ingérence est à la fois un droit et un devoir chez les
Etats et chez les organisations ayant un caractère humanitaire.
1 - L'ingérence des Etats et des NU
Elle concerne, nous venons de le mentionner le droit
d'ingérence et le devoir d'ingérence des Etats.
- Le droit d'ingérence des Etats et des
NU.
C'est le droit pour les Etats d'ouvrir les yeux, de
s'intéresser et même de s'interroger sur ce qui se passe dans les
autres Etats. Même si ceux-ci bien souvent s'en offusquent, ce droit ne
fait pas de doute. Des mécanismes ont été mis en place
à cet égard par et pour l'ensemble notamment dans le cadre du
Conseil économique et social. L'observation du respect des droits de
l'homme s'étend aussi aux situations de conflit armé. C'est en ce
sens que le Conseil de Sécurité semble confirmer le droit
d'accès aux victimes avec une certaine retenue. Il n'exige pas, il
<insiste pour que l'Irak permettent un accès immédiat des
organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin
d'assistance dans toutes les parties de l'Irak et qu'ils mettent à leur
disposition tous les moyens nécessai res à leur
action>>47.
- Le devoir d'ingérence des NU et des
Etats
Les Etats n'ont pas seulement le droit d'ouvrir les yeux, mais
le devoir de le faire. La charte des NU fixe bien les
principes d'action pour l'organisation et ses membres dans la poursuite des
buts des NU. Le DIH, en introduisant pour
tous les Etats parties aux conventions de Genève l'obligation de faire
respecter celles - ci impose pour le moins une obligation de
vigilance48. Bref, L'interdépendance
47Résolution 688 - 1991 48Art1
commun a IVG
toujours plus marquée de l'ensemble des Etats et
l'émergence d'un principe de solidarité permettent de conclure
qu'on laisse plus aujourd'hui aux Etats un devoir d' ingérence.
En revanche il serait abusif de tirer de cela la conclusion
d'un devoir d'intervenir par la force en dehors d'un système de
sécurité conforme à la Charte.L'analyse faite de
l'obligation de faire respecter le droit international humanitaire contenu dans
les conventions de Genève ne laisse planer aucun doute à ce
sujet.
2 - L'ingérence des organisations humanitaires.
Cette question est totalement différente de la
précédente en ce sens qu'elle repose sur une donnée
incontournable : Les organisations humanitaires ne disposent pas de moyens de
coercition. En réalité les questions posées jusque
là sont essentiellement les suivantes: Les organisations humanitaires
ont - elles un devoir absolu de se conformer à la volonté des
gouvernements des Etats sur le territoire desquelles elles souhaitent agir? Les
organisations humanitaires ont - elles obligation d'utiliser la seule arme dont
elles disposent, celle de la dénonciation quand elles constatent de
graves violations du D.I.H? Ce devoir est presque reconnu aux
organisations tels que le CICR dont le rôle sera bien
plus exposé vers la fin de cette étude, après l'examen du
régime général de protection.
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