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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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3. La différenciation lexicale des partis gouvernementaux au pouvoir.

Le maintient d'une fracture discursive au Québec.

La principale opposition, nous l'avons montrée précédemment, concerne le projet de société. Or celui-ci a des incidences sur les thèmes développés par les partis. Le Parti québécois s'est parfois interrogé sur son positionnement politique, car l'indépendance n'est pas une fin en soit, et il a alors investi le champ du social. D'après Denis Monière, le problème de la souveraineté serait lié à ce dernier thème, et certains avancent un écueil théorique qui consiste à :

« assimiler le nationalisme à l'idéologie bourgeoise et au capitalisme, et à postuler que seuls la lutte des classes et le passage du capitalisme au socialisme permettront spontanément de résoudre la question nationale133(*). »

Sans adhérer à cette vision trop radicale et simpliste, les péquistes se sont lancés dans un vaste projet de social-démocratie. Les spécificités lexicales sont sur ce point très explicites134(*). Bouchard et Landry vont parler de réforme (+4) de la sécurité sociale (+4), mais surtout de solidarité (+5) qui sera un de leurs objectifs prioritaires. En outre, c'est le PQ qui mobilise le plus d'adjectifs liés à social135(*). Bernard Landry développe particulièrement un discours de gauche. De plus, on constate une sur-utilisation des vocables de la jeunesse (+3) car les souverainistes ont mis en place de nombreuses actions (+4) envers les étudiants (+3) afin de favoriser une économie du savoir. L'emploi (+16) apparaît comme le vocable qui caractérise le plus ce parti. Les deux hommes politiques ont mobilisé particulièrement d'énergie pour présenter des conditions favorables à la création d'emplois (+3).

Le Parti libéral du Québec, pour sa part, n'a pas d'autres choix que de se positionner à l'opposé du Parti québécois. Toute la politique de Jean Charest se concentre sur l'économie et la santé. L'actuel Premier ministre s'attaque aux finances publiques, un segment très répété (11 fois)136(*). Il soulève le spectre de la dette (+6), et situe sa responsabilité (+3) dans la relance de la croissance (+3). C'est particulièrement grâce aux revenus tirés de l'énergie (+5) qu'il pourra favoriser (+3) la baisse du fardeau fiscal (+3)137(*). D'autre part, il agit sur le développement économique (11) des régions du Québec (15). Il avance que ses efforts (+3) seront synonymes de richesse (+5) et de prospérité (+4).

Jean Charest opte volontiers pour un discours alarmiste afin de s'imposer comme l'unique homme capable de redresser le Québec. Il use abondamment du concept de système (+4) dans un sens très négatif, et il a récemment essayé d'introduire le concept de crise138(*).

Enfin, le cheval de bataille des libéraux québécois est le domaine de la santé (+9). Comme on peut le voir ci-dessous, le PLQ impose sont leadership (+4) sur un thème qui lui a toujours réussi. Il est important (+2) de revoir (+3) les services aux citoyens (+6), donc Jean Charest a choisi de faire appel à l'initiative privée en mettant en place des projets de partenariat. Il agit pour le bien commun (+3) face à ces lourds défis (+3) et le coût trop élevé des infrastructures (+4) publiques (+3).

Graphique n°12 : Fréquences relatives des vocables santé et soin par année.

Les mêmes mots pour les mêmes thèmes en France

Comme le soulignent Pascal Marchand et Laurence Monnoyer-Smith dans leur étude très complète des discours de politique générale en France139(*), on ne peut plus catégoriser l'énonciateur selon son appartenance à une idéologie de gauche ou de droite. Pour eux, la crise structurelle qui frappe la France depuis la fin des années 1970 a conduit à une technicisation du discours au détriment de l'aspect idéologique. Au-delà, c'est « un vocabulaire unique » qui tend à rapprocher des discours flous « au contenu vague ».

Valeurs abstraites, considérations sociales, il existe un discours type qui serait reproduit par tradition. En s'attardant sur les spécificités de chaque parti que le logiciel a extraites, nous pouvons percevoir qu'elles sont très peu nombreuses140(*). L'UMP se distingue par le sur-emploi du seul adjectif sociale (+4) et du seul verbe agit (+3). On remarque aussi que les écarts sont relativement faibles : le plus important est de +5 pour le PS et +4 pour l'UMP, alors qu'au Québec on trouve par exemple les vocables emploi et président avec une spécificité de +16. Cela signifie que les discours de notre corpus « France » sont trop proches et trop semblables pour pouvoir extraire des caractéristiques fortes.

Le constat est renforcé par l'analyse des segments répétés141(*). Les trois groupes les plus fréquents, soit il faut, j'ai, et notre pays, sont les mêmes pour la gauche comme la droite. Quel résultats devons-nous établir à partir de cela ? Les discours se rapprochent par leurs usages lexicaux, et à l'heure du déclin des idéologies, les gouvernants semblent s'être résignés à toute introduction d'un lexique partisan. Dominique Labbé, grâce à une analyse poussée de rapprochement lexical par dendrogramme, a démontré avec les couples Cresson-Balladur et Juppé-Jospin que le clivage droite-gauche avait disparu142(*). De plus, il laisse entendre que l'influence du temps n'a pas d'effets sur des discours qui ne changent pas.

Prenons l'exemple du champ lexical de social. Ces termes ont généralement été davantage employés par les gouvernements de gauche que par ceux de droite. Or on constate ici que c'est Lionel Jospin, dont la rhétorique a d'ailleurs souvent été qualifiée de libérale, qui emploie le moins ces termes. Sociale (+4) apparaît comme une spécificité de l'UMP, mais il convient de minimiser la portée de ce résultat ainsi que de la pointe de Juppé sur la courbe ci-dessous car ces discours ont essentiellement porté sur la sécurité sociale. Nous pouvons seulement constater que Lionel Jospin investit le champ du service public en s'opposant aux privatisations et en réaffirmant les fonctions essentielles (+3) des organisations (+3) publiques (+3) dont les différents mandats (+3) permettent aux citoyens (+3) de bénéficier de services équitables.

Graphique n°13 : Fréquences relatives des vocables sociale, sociaux, social par année

Retenons que ce mouvement global en France n'est pas nouveau : Jean-Marie Cotteret évoquait déjà la dépolitisation des discours il y a 30 ans dans son étude sur Mitterrand et Giscard d'Estaing. Il soulignait à l'époque que « la coloration politique du vocabulaire n'est pas immuable ; certains mots circulent dans l'éventail des idéologies, adoptés par les uns pour être ensuite récupérés par les autres143(*) ». Une fois de plus, il convient de replacer notre propos dans le cadre du corpus. Cette analyse s'applique uniquement aux déclarations de politique générale en France, et n'est en aucun cas réductible au discours gouvernemental ou même au discours politique.

* 133 Denis Monière, Les enjeux du Référendum, Montréal, Éditions Québec-Amérique, 1979, page 36.

* 134 Cf. annexes, tableau n°4, page 6.

* 135 Cf. annexes, graphiques n°2 et n°3, page 19.

* 136 Cf. annexes, graphique n°7, page 22.

* 137 Cf. annexes, graphique n°3, page 19.

* 138 Cf. annexes, graphique n°4, page 20.

* 139 Pascal Marchand, Laurence Monnoyer-Smith, « Les discours de politique générale français : la fin des clivages idéologiques ? », Lexicométrica-Mots, mars 2000, 13 pages.

* 140 Cf. annexes, tableaux n°5 et graphique n°6, pages 7 et 21.

* 141 Cf. annexes, tableau n°8, page 9.

* 142 Dominique Labbé, Denis Monière, Le discours gouvernemental - Canada, Québec, France (1945-2000), Paris, Éditions Honoré Champion, Collection Lettres numériques, 2003, chap. 6.

* 143 Jean-Marie Cotteret, et al., Giscard d'Estaing/ Mitterand, 54774 mots pour convaincre, Paris, Presses Universitaires de France, 1976, page 124.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault