3. La
différenciation lexicale des partis gouvernementaux au pouvoir.
Le
maintient d'une fracture discursive au Québec.
La principale opposition,
nous l'avons montrée précédemment, concerne le projet de
société. Or celui-ci a des incidences sur les thèmes
développés par les partis. Le Parti québécois s'est
parfois interrogé sur son positionnement politique, car
l'indépendance n'est pas une fin en soit, et il a alors investi le champ
du social. D'après Denis Monière, le problème de la
souveraineté serait lié à ce dernier thème, et
certains avancent un écueil théorique qui consiste
à :
« assimiler le
nationalisme à l'idéologie bourgeoise et au capitalisme, et
à postuler que seuls la lutte des classes et le passage du capitalisme
au socialisme permettront spontanément de résoudre la question
nationale133(*). »
Sans adhérer à
cette vision trop radicale et simpliste, les péquistes se sont
lancés dans un vaste projet de social-démocratie. Les
spécificités lexicales sont sur ce point très
explicites134(*).
Bouchard et Landry vont parler de réforme (+4) de la
sécurité sociale (+4), mais surtout de
solidarité (+5) qui sera un de leurs objectifs prioritaires. En
outre, c'est le PQ qui mobilise le plus d'adjectifs liés à
social135(*).
Bernard Landry développe particulièrement un discours de gauche.
De plus, on constate une sur-utilisation des vocables de la jeunesse
(+3) car les souverainistes ont mis en place de nombreuses actions
(+4) envers les étudiants (+3) afin de favoriser une
économie du savoir. L'emploi (+16) apparaît comme le
vocable qui caractérise le plus ce parti. Les deux hommes politiques ont
mobilisé particulièrement d'énergie pour présenter
des conditions favorables à la création d'emplois
(+3).
Le Parti libéral du
Québec, pour sa part, n'a pas d'autres choix que de se positionner
à l'opposé du Parti québécois. Toute la politique
de Jean Charest se concentre sur l'économie et la santé. L'actuel
Premier ministre s'attaque aux finances publiques, un segment
très répété (11 fois)136(*). Il soulève le
spectre de la dette (+6), et situe sa responsabilité
(+3) dans la relance de la croissance (+3). C'est
particulièrement grâce aux revenus tirés de
l'énergie (+5) qu'il pourra favoriser (+3) la baisse
du fardeau fiscal (+3)137(*). D'autre part, il agit sur le
développement économique (11) des régions du
Québec (15). Il avance que ses efforts (+3) seront
synonymes de richesse (+5) et de prospérité
(+4).
Jean Charest opte volontiers
pour un discours alarmiste afin de s'imposer comme l'unique homme capable de
redresser le Québec. Il use abondamment du concept de
système (+4) dans un sens très négatif, et il a
récemment essayé d'introduire le concept de crise138(*).
Enfin, le cheval de bataille
des libéraux québécois est le domaine de la
santé (+9). Comme on peut le voir ci-dessous, le PLQ impose
sont leadership (+4) sur un thème qui lui a toujours
réussi. Il est important (+2) de revoir (+3) les
services aux citoyens (+6), donc Jean Charest a choisi de faire appel
à l'initiative privée en mettant en place des projets de
partenariat. Il agit pour le bien commun (+3) face à ces lourds
défis (+3) et le coût trop élevé des
infrastructures (+4) publiques (+3).
Graphique n°12 :
Fréquences relatives des vocables santé et soin
par année.
Les mêmes mots pour
les mêmes thèmes en France
Comme le soulignent Pascal
Marchand et Laurence Monnoyer-Smith dans leur étude très
complète des discours de politique générale en
France139(*), on ne peut
plus catégoriser l'énonciateur selon son appartenance à
une idéologie de gauche ou de droite. Pour eux, la crise structurelle
qui frappe la France depuis la fin des années 1970 a conduit à
une technicisation du discours au détriment de l'aspect
idéologique. Au-delà, c'est « un vocabulaire
unique » qui tend à rapprocher des discours flous
« au contenu vague ».
Valeurs abstraites,
considérations sociales, il existe un discours type qui serait reproduit
par tradition. En s'attardant sur les spécificités de chaque
parti que le logiciel a extraites, nous pouvons percevoir qu'elles sont
très peu nombreuses140(*). L'UMP se distingue par le sur-emploi du seul
adjectif sociale (+4) et du seul verbe agit (+3). On remarque
aussi que les écarts sont relativement faibles : le plus important
est de +5 pour le PS et +4 pour l'UMP, alors qu'au Québec on trouve par
exemple les vocables emploi et président avec une
spécificité de +16. Cela signifie que les discours de notre
corpus « France » sont trop proches et trop semblables pour
pouvoir extraire des caractéristiques fortes.
Le constat est
renforcé par l'analyse des segments
répétés141(*). Les trois groupes les plus fréquents, soit
il faut, j'ai, et notre pays, sont les mêmes
pour la gauche comme la droite. Quel résultats devons-nous
établir à partir de cela ? Les discours se rapprochent par
leurs usages lexicaux, et à l'heure du déclin des
idéologies, les gouvernants semblent s'être résignés
à toute introduction d'un lexique partisan. Dominique Labbé,
grâce à une analyse poussée de rapprochement lexical par
dendrogramme, a démontré avec les couples Cresson-Balladur et
Juppé-Jospin que le clivage droite-gauche avait disparu142(*). De plus, il laisse entendre
que l'influence du temps n'a pas d'effets sur des discours qui ne changent
pas.
Prenons l'exemple du champ
lexical de social. Ces termes ont généralement
été davantage employés par les gouvernements de gauche que
par ceux de droite. Or on constate ici que c'est Lionel Jospin, dont la
rhétorique a d'ailleurs souvent été qualifiée de
libérale, qui emploie le moins ces termes. Sociale (+4)
apparaît comme une spécificité de l'UMP, mais il convient
de minimiser la portée de ce résultat ainsi que de la pointe de
Juppé sur la courbe ci-dessous car ces discours ont essentiellement
porté sur la sécurité sociale. Nous pouvons seulement
constater que Lionel Jospin investit le champ du service public en s'opposant
aux privatisations et en réaffirmant les fonctions essentielles
(+3) des organisations (+3) publiques (+3) dont les
différents mandats (+3) permettent aux citoyens (+3)
de bénéficier de services équitables.
Graphique n°13 :
Fréquences relatives des vocables sociale, sociaux,
social par année
Retenons que ce mouvement
global en France n'est pas nouveau : Jean-Marie Cotteret évoquait
déjà la dépolitisation des discours il y a 30 ans dans son
étude sur Mitterrand et Giscard d'Estaing. Il soulignait à
l'époque que « la coloration politique du vocabulaire n'est
pas immuable ; certains mots circulent dans l'éventail des
idéologies, adoptés par les uns pour être ensuite
récupérés par les autres143(*) ». Une fois de plus, il convient de
replacer notre propos dans le cadre du corpus. Cette analyse s'applique
uniquement aux déclarations de politique générale en
France, et n'est en aucun cas réductible au discours gouvernemental ou
même au discours politique.
* 133 Denis Monière,
Les enjeux du Référendum, Montréal,
Éditions Québec-Amérique, 1979, page 36.
* 134 Cf. annexes, tableau
n°4, page 6.
* 135 Cf. annexes, graphiques
n°2 et n°3, page 19.
* 136 Cf. annexes, graphique
n°7, page 22.
* 137 Cf. annexes, graphique
n°3, page 19.
* 138 Cf. annexes, graphique
n°4, page 20.
* 139 Pascal Marchand,
Laurence Monnoyer-Smith, « Les discours de politique
générale français : la fin des clivages
idéologiques ? »,
Lexicométrica-Mots, mars 2000, 13 pages.
* 140 Cf. annexes, tableaux
n°5 et graphique n°6, pages 7 et 21.
* 141 Cf. annexes, tableau
n°8, page 9.
* 142 Dominique Labbé,
Denis Monière, Le discours gouvernemental - Canada, Québec,
France (1945-2000), Paris, Éditions Honoré Champion,
Collection Lettres numériques, 2003, chap. 6.
* 143 Jean-Marie Cotteret,
et al., Giscard d'Estaing/ Mitterand, 54774 mots pour convaincre,
Paris, Presses Universitaires de France, 1976, page 124.
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