La
négativité
Sur ce dernier point, il
s'agit une fois de plus de faire émerger des similitudes entre les
différents discours. Le discours d'ouverture présente-t-il des
aspects relevant de la critique ou de la polémique ? Le graphique
n°6 montre que les discours en France comme au Québec ont des
caractéristiques identiques quand à la négativité.
Nous avons retenu les vocables pas, n' et ne comme
révélateurs de cette situation.
Comme dans notre sous-partie
précédente, les seconds discours d'un même Premier ministre
présentent tous la même baisse. Il apparaît en effet logique
que les locuteurs ne vont pas effectuer un bilan négatif de leur action
mais au contraire user du discours pour renforcer un sentiment de
réussite et assurer du respect de leurs engagements. La courbe rouge de
l'article pas est très représentative de cette
tendance.
Les résultats
concernant les discours de Jospin et De Villepin dévient de la norme
avec une négativité un peu plus élevée. Nous
attribuons cela à la situation de cohabitation pour Lionel Jospin et au
besoin de rupture que Dominique de Villepin a voulu apporter à la suite
de Jean-Pierre Raffarin.
Graphique n°6 :
Fréquences relatives des adverbes de négation pas,
n' et ne

Cependant, ces écarts
semblent minimes s'ils sont comparés à d'autres corpus
politiques. Il est indéniable que le poids de l'institution contraint
ces discours à être peu critiques car davantage
préoccupés d'obtenir la confiance de tous. L'attitude d'un chef
de gouvernement le conduit à ne pas polémiquer au contraire des
autres discours dans le Parlement. En effet, notre corpus ne peut en aucun cas
être généralisé au discours d'assemblée, ni
même au discours gouvernemental comme l'ont fait Labbé et
Monière. La déclaration est l'antithèse des propos que
pourrons tenir les partis d'opposition110(*). Ainsi, il semble évident dans le graphique
ci-dessous que les répliques des chefs de l'opposition officielle sont
toutes tournées vers une négativité de mise pour un tel
exercice.
Le discours de
réplique des chefs de l'opposition officielle au Québec est
l'excellent exemple d'un exercice destiné à critiquer et remettre
en cause les propos tenus la veille lors du discours d'investiture. Les
conditions d'énonciation sont identiques, l'auditoire est le même,
mais la visée est bien différente. De la sorte se
développe un discours polémique avant tout.
Graphique n°7 :
Fréquences absolues cumulées des articles pas et ne

Nous pouvons un instant
examiner ce discours sur le discours, car le Premier ministre au Québec
va devoir anticiper sur cette réplique tant attendue par les
médias. Par exemple, chez Jean Charest, on trouve un emploi important de
guillemets car le libéral reprend les propos péquistes pour mieux
les renverser. Aussi le verbe citer apparaît parmi les
spécificités positives du PLQ dans notre ensemble des
répliques de 1999 et 2001, et le segment et je cite est parmi
les plus répétés. De même, l'utilisation de la
question rhétorique permet de mettre l'accent sur une affirmation. Le
recours important à cette figure de style (32 et 29 fois) ainsi
qu'à la citation amènera à des phrases
caractéristiques telles : « le premier ministre nous dit que,
et je cite, « créer de l'emploi, c'est notre priorité »
» ; ou encore cet enchaînement d'interrogations
très révélateur :
« Et qu'avons nous
en retour pour notre argent ? Parce que c'est ça, la question que ces
gens là doivent se poser. Quand on paie plus, on doit se demander : on
reçoit quoi en retour? Il se peut très bien, monsieur le
Président, qu'on fasse un choix de société, un choix
collectif de payer davantage, et, en retour, on se dit : on s'offre plus de
services, le système de soins de santé est meilleur,
extraordinaire, différent de celui des juridictions qui nous entourent.
Ce n'est pas évident111(*) ».
Dans ce chapitre, nous avons
montré que la fréquence des vocables permet de mettre en relief
un certain nombre d'éléments caractéristiques des discours
québécois et français. Il est saisissant d'observer
combien ils sont proches sur de nombreux points. De la contrainte
institutionnelle au style, il a été mis de l'avant le recours
à des mots-outils communs et à des mots-thèmes peu
éloignés. De plus, nous avons souligné que
l'énonciation relève davantage du genre écrit que de
l'oral. Nous allons désormais examiner les aspects nationaux grâce
auxquels les discours se distinguent.
* 110 Régine Robin,
Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, 1973, page 26.
* 111 Extrait de la
réplique de Jean Charest en 1999.
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