2 - L'action en responsabilité civile
L'action en responsabilité civile obéit, comme
nous le verrons dans les développements qui vont suivre, aux principes
généraux de la responsabilité.
Le créancier doit justifier d'un préjudice
causé par l'acte attaqué et établir la faute du
défendeur.
En effet, la réparation de ce préjudice ne peut
être demandée qu'au débiteur et aux acquéreurs ou
sous acquéreurs complices de la fraude.
Néanmoins, si l'action paulienne suppose une faute du
débiteur et un préjudice subi par ses créanciers, elle se
rapproche vraisemblablement d'une action en responsabilité civile, mais
ne consiste pas simplement en la mise en jeu de celle-ci au débiteur,
dans la mesure où ses conditions et ses effets ne sont pas exactement
ceux d'une action en responsabilité (1)
De prime abord, la socialisation grandissante du droit de la
responsabilité lié à l'apparition et au
développement de mécanismes de garantie collective a-t-elle
contribuée à distendre plus ou moins les liens attachant la
réparation des dommages à l'existence de responsabilités
individuelles déterminées.
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(1) IN : Traité de droit civil - les effets du
contrat à l'égard des tiers par CHRISTIAN LARROUMET - Action
paulienne & Fraude n° 763
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En effet, réparer un dommage c'est faire en sorte qu'il
n'ait pas existé et de surcroît
« rétablir » différemment la situation
antérieure.
Force est pourtant de constater qu'un tel effacement est loin
d'être toujours possible, auquel cas dans certaines situations, la
réparation se traduit par la compensation du dommage.
A s'en tenir à cette réparation proprement dite,
nous sommes alors portés à considérer que le juge
bénéficie d'une appréciation souveraine pour ordonner une
réparation en nature ou une réparation en équivalant
à savoir les dommages et intérêts.
L'objet de l'obligation inexécutée par le
débiteur (défendeur) à travers l'aliénation du bien
n'est pas indifférent au mécanisme de l'évaluation si
celui-ci est, en effet, inspiré en général par un principe
de réparation intégrale, l'évaluation des dommages et
intérêts relève d'un régime spécifique qui
fait place au forfait (1).
En principe, le montant des dommages sus visés
alloués par le juge doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi par le créancier sans pour autant le
dépasser, c'est là une règle essentielle qui s'applique en
matière de responsabilité civile.
Pour sa part, le professeur GENEVIEVE VINEY (2) a pu mettre en
exergue l'apport de cette action en responsabilité en analysant le
caractère prépondérant de la réparation du dommage
ou sa compensation.
Elle affirme que : » incontestablement,
l'idée dominante dans tous les systèmes juridiques consiste
à assurer à la personne lésée les
réparations de son dommage. Cette place essentielle de l'idée de
réparation ou de compensation demandée au débiteur et aux
acquéreurs ou sous acquéreurs complices de la fraude,
s'accompagne d'ailleurs
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(1) IN : Droit Civil - Les Obligations
par A. WEIL & F. TERRE - Ed. DALLOZ - Prg 780 et suivant.
(2) Professeur à l'Université
de PARIS I (Panthéon - Sorbonne)
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D'une prééminence de fait, sinon de droit de
l'indemnisation pécuniaire » (1)
Cette caractéristique essentielle apparaît
clairement dans le texte que le Dahir format Code des obligations et contrats
du 12/8/1913 a consacré aux effets.
Cependant, nous pouvons remarquer que l'article 78 du D.O.C.
fait allusion à la finalité réparatrice de la dette du
responsable : » chacun est responsable du dommage moral ou
matériel qu'il a causé non seulement par son fait, mais par sa
faute, lorsqu'il est établi que cette faite en est la cause
directe » (2)
Ceci étant, nous sommes en mesure d'affirmer que
l'action en responsabilité civile apparaît comme une institution
orientée vers la réparation des dommages, celle-ci étant
assurée normalement par le paiement au créancier d'une
indemnité correspondant, en principe, à la
« perte » qu'il a subi ou au « gain »
dont il a été privé.
La portée de cette règle est clairement
exprimée par de nombreux arrêts qui affirment
que « le propre de la responsabilité est de
rétablir aussi exactement que possible, l'équilibre
détruit par le dommage et de replacer le créancier dans la
situation où il serait trouvé si l'acte dommageable n'avait pas
eu lieu » (3)
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(1) IN : Traité de Droit Civil -
effets de la responsabilité - par G. VINEZ - op. Supra - édition
L.G.D.J. - 1988
(2) En droit comparé, l'article 1382
du Code civil français évoque la réparation du
préjudice « tout fait quelconque de l'homme qui cause à
autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé de le
réparer »
(3) Arrêt de la Cour de Cassation
française - chambre civile - du 4/2/1982 - IN : semaine juridique
1982 - tome II - 19894 - note du professeur J.F. BARBIERI
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De surcroît, les juges déduisent que les dommages
intérêts doivent être évalués de façon
à compenser intégralement tous les préjudices
résultant du fait don le débiteur, la caution ou son
acquéreur, répondent sans toutefois procurer l'enrichissement au
créancier.
Autrement dit, la somme due au titre de dommages et
intérêts doit correspondre rigoureusement à la perte
causée par le fait dommageable.
Le responsable de mauvaise foi devra réparer
« tout le dommage » mais « rien que le
dommage ».
Par ailleurs, en droit comparé notamment marocain et
égyptien, la notion de réparation du préjudice et celle de
l'exigence de dommages et intérêts, suscitent un
intérêt considérable.
Entre autre la doctrine Marocaine admet que le
créancier ayant subi un préjudice causé par l'acte du
débiteur, puisse exiger, aux côtés de
l'inopposabilité de ce dernier à son égard, des dommages
intérêts selon les règles générales de
droit.
De son côté, le Docteur ABDERRAZAK SANHOURI n'a
pas omis de traiter de la réparation du préjudice à
travers l'action en responsabilité civile jointe à l'action
paulienne.
L'auteur admet, explicitement, la preuve faite par le
créancier que le débiteur a aliéné un bien
donné en cautionnement d'un emprunt l'empêchant ainsi de recourir
sa créance à temps, ce qui lui a causé un préjudice
manifeste supérieur aux intérêts légaux ou
conventionnels qui lui reviennent de plein droit.
En effet, le créancier est en droit d'exiger des
dommages intérêts compensatoires supplémentaires
versés par le « consilium fraudis ».
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Il y a lieu, également, de verser des
intérêts complémentaires en cas de mauvaise foi, avec
application, bien évidemment, des règles générales
de responsabilité délictuelle et non les règles
spécifiques à l'action paulienne.
De plus, et à titre d'exemple significatif, il
résulte de l'application des règles générales de
responsabilité que si un bien péri entre les mains d'un
acquéreur ou un donataire de mauvaise foi, chacun d'eux devra
répondre de sa propre responsabilité, surtout s'il est
prouvé que ledit bien n'aurait certainement pas pu périr s'il
était resté entre les mains du créancier.
A contrario, si un bien périt chez le donataire de
bonne foi, le créancier ne peut prétendre à des dommages
intérêts même en cas de faute du débiteur ou du
donataire, car il s'agira d'un bien périssable n'empêchant pas le
créancier de le récupérer par la voie paulienne.
D'autre part, le créancier demandeur à l'action
ne saurait bénéficier de l'inopposabilité de l'acte
attaqué sans délai de prescription.
En effet, nous prenons en considération le fait que ce
dernier n'est pas partie à l'acte querellé, l'application de la
prescription de droit commun semble adéquate soit 15 ans par application
des dispositions de l'article 387 du Dahir formant code des obligations et
contrats.
Néanmoins, ce délai nous paraît trop long
et constitue une menace qui pèsera sur le tiers acquéreur pendant
longtemps avec cette crainte que la preuve de la fraude ne
dépérisse.
L'application du délai de droit commun commencera
à courir à compter du jour de l'acte attaqué.
Ceci étant, nous pouvons dire que, si en pratique,
l'exercice de l'action paulienne au Maroc connaît un essor remarquable,
notamment à travers les nombreuses jurisprudences ayant admis ces
mesures de protection, la doctrine marocaine, en revanche, est très
timide ce qui nous laisse croire que l'absence de texte spécifique
réglementant de manière expresse l'action paulienne engendre des
répercussions sur le travail doctrinal.
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En définitive, pour une meilleure protection des
intérêts des tiers, le législateur Marocain est tenu de
réglementer l'action paulienne « telle qu'elle est
distinguée de l'action en déclaration de simulation article 22 du
D.O.C. » car le fardeau de la preuve de la fraude du débiteur
demeure difficile à apporter surtout par le créancier poursuivant
considéré tiers à l'acte attaqué.
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