1.2.2 Les microfibrilles de cellulose : des
éléments essentiels de renfort pariétal
Le regroupement en « bâtonnets » rigides
rectangulaires des chaînes linéaires cellulosiques est
fortement favorisé par la présence de
groupements hydroxyles périphériques sur chaque maillon
(monomère) cellobiose. Cette association supramoléculaire est
appelée « microfibrille
de cellulose ». La taille de ces « segments
» cellulosiques, quasi cristallins, varie
généralement en fonction de l'espèce ligneuse
considérée. En dépit de cette variabilité
de
7
Inventaire des facteurs essentiels de la variabilité intra
arbre des propriétés mécaniques des tissus ligneux
dimension, il est possible de donner une estimation de
la longueur de la microfibrille de
l'ordre de 1,5 à 5 nm. Les faisceaux de
microfibrilles, séparés les uns des autres par des couches
de cellulose (plus ou moins organisée) ou
d'hémicelluloses, se regroupent pour former des agrégats,
nommés fibrilles, dont l'épaisseur est
généralement comprise entre la dizaine et la vingtaine de nm
(Hult et al, 2000).
1.2.2.1 Prise en compte des différents caractères
de la structure microfibrillaire dans une perspective mécanicienne
Un renfort filamentaire régulier en dépit d'une
structure discontinue
Depuis longtemps, des études, menées à
l'échelle sub-microscopique (Mark, 1967, Fengel et
al, 1984) ont souligné le caractère
discontinu des microfibrilles. Par diffraction des rayons X puis par
microscopie électronique, la présence systématique de
zones amorphes désordonnées distribuées sur la longueur de
la microfibrille a été montrée. Les cristallites de
cellulose ne représentent ainsi pas une phase continue. De
surcroît, ces éléments cristallins apparaissent fortement
variables dans leurs dimensions (Mark, 1967). L'organisation exacte des
cristallites dans la microfibrille n'a, jusqu'alors, pas
été parfaitement élucidée (nombre, disposition
spatiale). Elle a donc été sujette à de multiples
interprétations et a donné lieu à plusieurs
modélisations (en particulier celles de Fengel, 1968, et de Mark,
1980).
Diverses techniques expérimentales (localisation de
l'accessibilité de la cellulose amorphe à certaines
molécules, diffraction rayons X, ...) conduisent à une
évaluation du taux de cristallinité de la cellulose du bois de
l'ordre de 60 à 70% (Preston, 1964 dans Panshin et al,
1980). Devant une telle proportion de cristallites, et une
longueur de segment cristallin bien supérieure à celle de la
zone amorphe, les descriptions mécaniciennes envisagées
à cette échelle considèrent que les microfibrilles
assurent un renfort filamentaire régulier et continu à
la sous couche S2. La justification de cette
approximation de continuité a été décrite
par
Salmèn et al (1985, 1986) avec son modèle
de fibre aplatie. Celui-ci, reprenant les équations
de Halpin Tsai (évaluation des
caractéristiques élastiques d'un composite renforcé
par des fibres courtes), a montré, expérimentalement
(fibres mercerisées et régénérées),
qu'une diminution de la rigidité axiale de la fibre n'est
observée que dans le cadre de modifications simultanées du taux
de cristallinité et de la longueur des zones cristallines. Des
modifications locales (ponctuelles) de cristallinité le long de la fibre
ne conduisent pas à des changements majeurs de rigidités. En
quantifiant l'impact d'une modification de la longueur des renforts
cellulosiques, sur les modules élastiques de sous couche
(méthode « auto cohérente »), Vieville (1992) est
également arrivé, de manière plus théorique,
à la même conclusion.
Des fibres cellulosiques aux propriétés
mécaniques homogènes
Bien que de nombreux travaux (Mark, 1967, Fengel
et al, 1984) aient montré d'une part l'existence
d'incrustations lenticulaires (lignines mêlées
d'hémicelluloses) séparant les microfibrilles, et d'autre
part la présence de liens désordonnés entre
microfibrilles d'une même lamelle (ou entre lamelles adjacentes
d'une même sous couche, Boyd et al, 1975, Figure 1.2), le
renfort cellulosique pariétal est très généralement
décrit comme étant assuré par des fibres
mécaniquement homogènes.
Certaines modélisations d'effet mécano sorptif
survenant lors de la morphogenèse cellulaire
(déformations résiduelles de maturation) ne
négligent pas l'incidence de ces interactions
« fibres - matrice » sur les propriétés
mécaniques du réseau microfibrillaire.
8
Inventaire des facteurs essentiels de la variabilité intra
arbre des propriétés mécaniques des tissus ligneux
Ainsi, la modélisation monodimensionnelle de Gril (1987),
inspirée de celle de Boyd et al,
(1975), schématise la nappe microfibrillaire par un
réseau de poutres cellulosiques élastiques encastrées, au
sein duquel les incrustations lenticulaires de matrice, localisées aux
noeuds du milieu périodique, sont assimilées, par leur fonction,
à des ressorts. Ces ressorts, schématisant
le rôle joué par la lignine lors de la
maturation cellulaire, tendraient à « dilater » le
réseau cellulosique dans les directions transverses aux
microfibrilles et à le raccourcir dans la direction axiale,
à la manière d'un « vérin mécanique ».
Un comportement élastique anisotrope
L'hypothèse d'un comportement élastique
anisotrope de la microfibrille, imputé à une orientation
spécifique des cristallites par rapport au grand axe
microfibrillaire a déjà été avancée
(Mark, 1975). La prise en compte d'un tel comportement mécanique
anisotrope de la fibre dans le comportement mécanique de la
paroi n'est cependant pas unanime. Généralement
intégré dans les modèles de paroi multicouches à
fibres parallèles (Bergander,
2001), il n'intervient sur les modules élastiques de
paroi que comme un paramètre de second ordre. Ce degré de
sophistication n'est en conséquence pas retenu, dans d'autres approches
sélectives du rôle mécanique de chaque sous couche (Guitard
et al, 1999).
Superposition « locale » des microfibrilles dans la
sous couche S2
Récemment (Daniel et al, 1998, dans Bergander,
2001), des microphotographies électroniques
de microfibrilles dans la direction longitudinale de la
cellule ont montré l'existence de structures ondulantes dans la
paroi secondaire assez semblables à la configuration en
« treillis » observée en son temps par Boyd
et al (1975) (Figure 1.2).
D'autres auteurs (Kataoka et al, 1992),
considèrent que la construction de la sous couche S2
est assurée par des dépôts successifs et
croisés de faisceaux microfibrillaires (Figure 1.3).
Figure 1.2 Micrographie électronique montrant la
configuration en forme de treillis observée entre les
microfibrilles de lamelles adjacentes lors de la
lignification, tiré de Boyd et al (1975). L'intervalle entre les deux
repères correspond à 0.3 m
Cet empilement ordonné conduirait, selon ces derniers,
à l'existence d'une architecture locale
en treillis dans l'épaisseur de S2. Les angles de
croisement des microfibrilles relevés par
Kataoka et al sur Cryptomeria Japonica D (Sugi) sont
périodiques et leurs valeurs vont de 11
à 35 degrés. Cette configuration en
treillis semble assez semblable à celle relevée
habituellement dans la sous couche S1 (les angles de croisement dans S2 sont
néanmoins plus faibles que ceux obtenus dans S1). Bien que l'AMF ait
été souvent mesuré, les mécanismes
9
Inventaire des facteurs essentiels de la variabilité intra
arbre des propriétés mécaniques des tissus ligneux
cellulaires à l'origine de sa mise en place ne sont encore
pas, à l'heure actuelle, bien élucidés
(Chaffey et al, 2000).
Figure 1.3 Croisement et superposition des microfibrilles
(mis en évidence par microscopie électronique)
dans les parois radiales de la sous couche S2
.
Dans l'ensemble des travaux cherchant à
modéliser les voies de passage micro-macro, les microfibrilles
dans la sous couche S2 (et dans les autres sous couches) sont
néanmoins considérées comme étant strictement
parallèles entre elles. On notera que l'observation des architectures
des différentes sous couches (de type treillis ou proche de celles des
feutres) est fortement dépendante de la technique expérimentale
utilisée (effet de contraste).
Disparité bibliographique des caractéristiques
élastiques de la microfibrille de cellulose
Dans leurs propositions de modèles, visant
à évaluer les propriétés élastiques de
la paroi cellulaire, les mécaniciens du bois utilisent
très généralement un module élastique
longitudinal de microfibrille (dit « module d'Young des microfibrilles
») assimilé à celui des chaînes de cellulose purement
cristalline (cellulose I). Les paragraphes précédents ont
évoqué
la structure discontinue de cet élément
essentiel du renfort filamentaire de la paroi. Il convient donc de
préciser les « limites » de la prise en compte de
telles valeurs dans les différents modèles
proposés.
Une banque de données assez variée
La littérature, qu'elle soit issue d'études
ultrastructurales ou plus mécaniciennes, fait état, de diverses
valeurs numériques caractérisant, à priori, la
rigidité axiale des microfibrilles. L'examen de cet ensemble
d'éléments bibliographiques, assez
hétérogène, amène quelques commentaires.
Des valeurs représentatives de la structure
microfibrillaire ?
La valeur de 137 GPa, obtenue par Sakurada et al (1962)
est à l'heure actuelle, la référence la plus couramment
utilisée dans les modélisations du comportement
mécanique de la paroi
(Salmèn et al, 1985, 1986, 1998,
Yamamoto et al, 1998,1999, Guitard et al, 1999). Elle
y représente la rigidité supposée des microfibrilles
(Tableau 1.1). Pourtant, l'insertion de telles rigidités de
microfibrilles au sein de descriptions « composite multicouche» du
comportement élastique de la paroi, conduit à une surestimation
des rigidités transverses pariétales en regard
de certaines observations expérimentales (Bergander,
2001).
10
Inventaire des facteurs essentiels de la variabilité intra
arbre des propriétés mécaniques des tissus ligneux
Ce module d'élasticité expérimental a
été établi par Sakurada et al sur une fibre
de Ramie
blanchie soumise à une traction sous charge.
L'exploitation d'un ensemble de spectres de diffraction des rayons X (plan
réticulaire 040), a fourni une évaluation de l' « extension
» du réseau cristallin de la cellulose I, puis a permis
aux auteurs l'estimation indirecte du déplacement de la fibre. Il
s'agit donc d'un module d'élasticité de la « région
cristalline » de
la microfibrille. Des évaluations plus directes
de la rigidité microfibrillaire n'ont malheureusement pas
encore été mentionnées dans la littérature.
Il existe en outre, quelques désaccords entre les
mesures micromécaniques de l'élasticité de certaines
fibres de cellulose et celles obtenues via des « mesures » du
déplacement des plans réticulaires. L'exemple de la cellulose II
(isomère de conformation de la cellulose I) est assez significatif. De
récents essais de traction sur ce type de fibre (Kompella et
al, 2002) ont en effet montré que le module
d'élasticité longitudinal déterminé par
exploitation de courbes force - déplacement est très
éloigné (2 GPa) de celui calculé par la méthode de
diffraction rayons X (valeur de 70-90 GPa obtenue par Bledzki et al,
1999).
En employant la même technique (sur le même type de
fibres) que Sakurada et al, Ishikawa et
al (1997), ont fait état, via l'utilisation
d'un méthode inverse (zones amorphes et cristallines associées
en série comme Sakurada et al, ou plus originalement
en série et parallèle) de valeurs de module élastique
de la cellulose I de 114 GPa et 90 GPa.
L'ensemble de ces résultats suggèrent donc que si
le module d'élasticité de la cellulose I est sans aucun doute
proche de la centaine de GPa, l'alternance de zones amorphes et cristallines
au sein d'une même microfibrille, peut lui
conférer un module élastique axial sensiblement inférieur
à la valeur de Sakurada et al. Bledzki et al
(1999), proposent ainsi un module de microfibrilles situé
entre 61 et 130 GPa tandis que Michell (1989) et Fink et al
(1994) adoptent une valeur moyenne de 70 GPa (Tableau 1.1).
|
Références
|
Module d'élasticité longitudinal de la
cellulose I
(GPa)
|
Cités dans Sakurada et al
(1962)
|
Meyer et al (1936)
|
79-123 et 80-110
|
Lyons (1959)
|
180
|
Cités dans Salmèn et al
(1984)
|
Treloar (1960)
|
56,5
|
Jaswon et al (1968)
|
56,6
|
Gillis (1969)
|
246
|
Gillis (1969) : valeur admise comme majorant
|
319
|
|
Sakurada et al (1962)
|
134
|
Mark (1967-1970-1980)
|
137
|
Ishikawa et al (1997)
|
90
|
Michell (1989), Fink et al, (1994) dans Bledzki
(1999)
|
70
|
Tableau 1-1Modules élastiques longitudinaux de la
cellulose I considérés comme représentatifs de la
rigidité microfibrillaire axiale
11
Inventaire des facteurs essentiels de la variabilité intra
arbre des propriétés mécaniques des tissus ligneux
D'après les résultats de Mott et al
(1996), suggérant des variations ponctuelles de rigidité
le
long de la microfibrille, les valeurs affichées
ne peuvent, en outre, représenter que des estimations moyennes,
résultant de l'intégration sur toute la microfibrille de
modules d'élasticité supposés plus « locaux
».
Enfin, d'autres auteurs estiment qu'assimiler le
déplacement des chaînes de cellulose, lors d'un essai
micromécanique, au seul déplacement des plans réticulaires
conduit à majorer la rigidité des fibres. Ils soulignent en
effet que le déplacement d'une fibre de cellulose sous charge
résulte non seulement d'une élongation des
chaînes cristallines (donc d'un déplacement monodimensionnel
des plans réticulaires) mais aussi d'une rotation des chaînes
autour de l'axe de la fibre (Northolt et al, 2001).
|