CHAPITRE 2. DES DÉFINITIONS IMPRÉCISES ET
AMBIGUËS.
En matière de terrorisme, les législations
nationales ont fréquemment recours à des définitions
vagues, ambiguës, imprécises qui permettent parfois de criminaliser
des formes légitimes d'exercice des libertés fondamentales,
d'opposition politique et/ou sociale. Ceci a conduit le Comité des
droits de l'Homme à formuler des observations à l'égard de
nombreux États (entre autres l'Égypte, l'Algérie, le
Pérou ou le Portugal... )19.
Il a ainsi considéré que la définition
Égyptienne du terrorisme est <<si large qu 'elle
englobe tout un éventail d'actes de gravité différente
>>20.
19 Voir par exemple : << Observations finales du
Comité des Droits de l'Homme- Algérie >>, document des
Nations Unies, CCPR/C/79/Add.95 du 18 août 1998, § 11, et <<
Observations finales du Comité des droits de l 'Homme - Portugal
>>, document des Nations Unies, CCPR/C/79/Add. 115, du 4 novembre
1999, § 12.
20 Observations et recommandations du Comité des Droits de
l'Homme- Egypte>>, 1er novembre 2002.
En effet, selon le code pénal égyptien21
est considéré comme terroriste
<<tout recours à la force, à la
violence, à la menace ou à l 'intimidation qui pourrait servir
à
l 'exécution de projets criminels, individuels ou
collectifs, visant à troubler l 'ordre public et à menacer la
sécurité et l 'intégrité de la
société, dans l 'intention de porter préjudice aux
individus, de les terroriser ou de menacer leur vie, leurs libertés ou
leur sécurité, de nuire à l 'environnement, de causer des
dommages, aux communications ou de s 'en emparer, d 'empêcher les
pouvoirs publics
d 'exercer leurs fonctions ou d 'entraver leurs actions,
ou enfin d 'obtenir la suspension de la Constitution, des lois ou des
décrets >>.
Le Comité suggère donc que cette
définition soit revue et précisée par les autorités
égyptiennes22 <<compte tenu, en
particulier, du fait qu 'elle augmente le nombre d'actes passibles de la peine
de mort>>
De même, le Comité des droits de l'Homme a
considéré que <<le décret-loi n°
25 475 (du Pérou) contient une définition très large du
terrorisme, en vertu de laquelle des innocents ont été
incarcérés et demeurent en détention
>>.23
La Commission Interaméricaine des droits de l'Homme,
qualifie également la définition péruvienne de
<<vague et imprécise >>, et estime qu'elle
<<porte atteinte au principe de légalité
inhérent au droit pénal, principe qui a pour but de garantir la
sûreté de l 'individu en lui permettant de connaître les
actions qui engagent sa responsabilité pénale
>>24.
Dans son rapport de 2004, Amnesty International souligne
également à de nombreuses reprises la dangerosité de
définitions extrêmement vastes du terrorisme.
En effet, dans le cadre d'une lutte mondiale contre le
terrorisme, de nombreux États25 ont procédé
à des réformes législatives et/ou constitutionnelles,
élargissant au passage la gamme des infractions susceptibles
d'être qualifiée de "terroristes"26.
21 Loi n° 97 de 1992.
22 << Observations et recommandations du Comité des
Droits de l'Homme- Egypte>>, 1er novembre 2002.
23 <<Observations et recommandations du Comité des
Droits de l'Homme- Pérou >>, CCPR/C/79/add.67, 25 juillet 1996,
§ 12.
24 Informe Anual de la Comisión Interamericana de Derechos
Humanos, 1983-1984, p. 85, § 80.
25 Voir en ce sens la réforme législative au
Bahamas, à propos de laquelle, Amnesty International fait part de ses
inquiétudes quant à la définition <<
extrêmement large des actes de terrorisme qui risque de porter
sérieusement atteinte aux droits fondamentaux, notamment à la
liberté d 'expression, de réunion et d 'association ».
(Rapport d'Amnesty International sur les Bahamas, 2004, p. 161).
26 Font, entre autres, l'objet de telles critiques les Bahamas,
la république du Guyana, Pérou, Chine, Corée du Sud,
Singapour, Algérie, Maroc, Tunisie...
Que dire enfin, de la définition Algérienne qui
qualifie d'acte de terrorisme27:
<<Tout acte visant la sûreté de l'État,
l'intégrité du territoire, la stabilité et le
fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de:
- Semer l'effroi au sein de la population et créer un
climat d'insécurité, en portant atteinte moralement ou
physiquement aux personnes ou en mettant en danger leur vie, leur
liberté ou leur sécurité, ou en portant atteinte à
leurs biens.
- Entraver la circulation ou la liberté de mouvement sur
les voies et occuper les places publiques par attroupements.
- Attenter aux symboles de la Nation et de la République
et profaner les sépultures;
- Porter atteinte aux moyens de communication et de transport,
aux propriétés publiques et privées, d'en prendre
possession ou de les occuper indûment;
- Porter atteinte à l'environnement ou introduire dans
l'atmosphère, sur le sol, dans le soussol ou dans les eaux y compris
celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en
péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel;
Quelle action politique va pouvoir échapper à
l'incrimination ainsi définie par la loi algérienne?
Ces imprécisions des définitions nationales sont
autant de possibilités pour les États (notamment les moins
démocratiques) de réprimer toute sorte de contestation
politiques.
Les nombreuses différences de définitions du
terrorisme d'un État à un autre et leur imprécision
souvent dangereuse sont autant d'obstacles à une meilleure
coopération internationale des États en matière de lutt e
antiterroriste.
En effet, comment se mettre d'accord sur des mesures
antiterroristes si l'on ne parvient pas à s'entendre sur la
définition même du "terrorisme".
Pourtant, comme le souligne très justement la
Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée
nationale Française, le développement de la coopération
internationale antiterroriste est incontournable: <<Pour
faire face à une menace déterritorialisée et qui concerne
chacun, la seule réponse adaptée est une coopération
internationale étroite qui est à la fois inévitable et
très difficile à mettre en oeuvre »28.
27 Article 87 bis du code pénal algérien
(Ordonnance n° 95-11 du 25 février 1995)
28 Assemblée Nationale : Rapport d'information de la
Commission des affaires étrangères, <<La
coopération internationale pour lutter contre le terrorisme »,
n° 1716, Enregistré à la présidence de
L'Assemblée Nationale le 6 juillet 2004 (p. 5).
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