Mémoire de recherche du Master 2 Droit
Public International et Européen Août 2005
Faculté Jean Monnet Université PARIS XI
VERS UNE DÉFINITION UNIVERSELLE DU
TERRORISME?
Par SOUFI Johann
SOMMAIRE
Introduction.
- 1ère PARTIE: LA
NECESSITÉ D'UNE DÉFINITION UNIVERSELLE DU
TERRORISME.
TITRE 1: DISPARITÉS ET INSUFFISANCES DES
DÉFINITIONS NATIONALES. Chapitre 1 :
Hétérogénéité des définitions
nationales.
Chapitre 2 : Des définitions imprécises et
ambiguës.
TITRE 2. ENJEUX ET OBJECTIFS D'UNE DÉFINITION
UNIVERSELLE. Chapitre 1. L'adaptation du droit à la "mondialisation" du
terrorisme.
Chapitre 2. L'évaluation statistique et ses
conséquences.
Chapitre 3. Une définition universelle du
terrorisme comme garantie contre une utilisation politique de la
notion?
Chapitre 4. Une définition universelle comme
garantie contre les dérives des mesures antiterroristes?
- 2ème PARTIE. VERS UNE
DÉFINITION UNIVERSELLE DU TERRORISME?
TITRE 1: LES TENTATIVES DE DÉFINITIONS DU
TERRORISME PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE : UN PARCOURS SEMÉ
D'EMBUCHES. Chapitre 1. Des tentatives avortées de définition
universelle.
Chapitre 2. L'action de l'ONU contre le terrorisme
international : la lutte contre un ennemi non défini. Chapitre 3. 2005 :
La fin d'un vide juridique?
TITRE 2: ANALYSE ET PERSPECTIVES DE LA DÉFINITION.
Chapitre 1 : Un consensus sur certains actes constitutifs du terrorisme?
Chapitre 2 : L'épineuse question du terrorisme
d'État.
Chapitre 3 : Terrorisme et mouvements de
libération nationale.
Conclusion : «Une chance à saisir, un
défi à relever ».
INTRODUCTION
<<Terrorisme>> !
Ce mot s'est à ce point imposé dans notre
vocabulaire quotidien qu'il est malheureusement devenu un élément
incontournable du langage du début du XXIe siècle.
Pourtant, si la plupart des gens perçoivent
confusément de quoi il s'agit, ils ne peuvent en proposer une
définition précise, concrète ni vraiment satisfaisante.
Cette imprécision est d'ailleurs encouragée par
les médias: leur objectif, qui est de transmettre une information
souvent complexe en un minimum de temps, les a conduit à taxer de
"terrorisme" une très large gamme d'actions violentes aussi
différentes que le détournement d'avion, l'assassinat d'un
préfet, le massacre de civils par des militaires, l'enlèvement de
journalistes, l'explosion d'une bombe dans un bus ou dans un métro.
De même, qu'il s'agisse d'actions émanant
d'opposants au pouvoir en place ou du pouvoir en place lui-même, de
groupes militants ou d'organisations maffieuses ou encore de
déséquilibrés isolés, tout acte mettant en jeu une
violence particulièrement atroce est souvent perçu comme
dirigé contre la société et qualifiée de
"terroriste".
Mais alors qu'est ce que le terrorisme?
Le premier réflexe lorsqu'on recherche une
définition est de se pencher sur le sens courant, celui donné par
un dictionnaire.
Le Petit Robert, après un bref rappel historique,
définit le terrorisme dans son sens courant comme l'
<<emploi systématique de la violence pour atteindre
un but politique (prise, conservation ou exercice du pouvoir)>>
et spécialement comme l' <<ensemble des actes de
violences, des attentats, des prises d 'otages civils, qu 'une organisation
politique commet pour impressionner un pays (le sien ou un autre)
>>1.
Cependant d'un point de vue strictement juridique, ces
définitions, ne sont, pas très utiles à la
compréhension d'un phénomène aussi complexe et polymorphe
que le terrorisme.
1 Le Petit Robert, édition 2006.
En effet, si elles insistent bien sur la notion de violence
elles ne déterminent ni la nature de la violence en question (homicide,
blessure, violences morales...), ni les cibles de celle-ci (civiles ou
militaires, politiques ou économiques...).
Mais alors pourquoi celui ci reste t'il si difficile à
définir?
La raison la plus manifeste tient peut être au fait que le
mot a très souvent changé de signification au cours de
l'histoire.
Le "terrorisme" est un concept relativement récent. Il
apparaît pour la première fois au XVIIIème siècle,
peu après la révolution française.
Le "terrorisme" désigne alors un système de
gouvernement révolutionnaire, "la Terreur", qui sévit de
septembre 1793 à juillet 1794.
L'objectif de "la Terreur" est de consolider le pouvoir
nouvellement établi en "terrorisant" les contre-révolutionnaires,
les factieux et tous les opposants que le nouveau régime
considère comme des ennemis du peuple.
Le Comité de sûreté générale
et le Tribunal populaire se voient accorder à cette fin, de larges
pouvoirs de police et de justice, condamnant à la guillotine les
personnes soupçonnées d'être coupables de trahison: un
exemple particulièrement dissuasif est ainsi offert à tous ceux
ayant la volonté de s'opposer à la révolution ou ayant la
nostalgie de l'ancien régime2.
A l'origine, le terrorisme naît donc au coeur de l'Etat.
Le sens du mot « terrorisme » va évoluer
dès le début XIXe siècle.
Il désigne alors une stratégie de contestation
violente de l'Etat.
De méthode de conservation et de protection de l'Etat, le
terrorisme devient l'outil de sa remise en cause.
Le premier groupe "terroriste" moderne, est certainement la
"Narodnaïa Volia"3, , un groupe de constitutionalistes russes,
fondé en 1878 pour s'opposer à l'autocratie tsariste.
2 Les premiers à être appelés "terroristes"
sont par conséquent les conventionnels envoyés en mission en
province pour assurer la répression du royalisme et du
fédéralisme : le terme de "terroriste est alors synonyme de
républicain.
3 "Volonté du peuple"
Le programme de l'organisation définit ainsi le rôle
du terrorisme:
<<L 'action terroriste consiste dans la
suppression des hommes du gouvernement les plus nuisibles, dans la
défense du parti contre l 'espionnage, et dans le châtiment des
actes les plus saillants de violence et
d 'arbitraire, commis par le gouvernement et l
'administration. Elle a pour but de compromettre le prestige de la force
gouvernementale, de donner une preuve constante de la possibilité d 'une
lutte contre le gouvernement, de fortifier ainsi l 'esprit
révolutionnaire du peuple et sa foi dans le succès de la cause et
enfin de former des cadres capables et entraînés à la lutte
>>.
Néanmo ins la "Narodnaïa Volia", contrairement
à de nombreux autres groupes terroristes qui justifient le meurtre
"aveugle" de civils pour parvenir à leurs fins, effectue un choix
sélectif de ses cibles qu'elle considère comme l'incarnation de
l'État autocratique et oppressif4.
C'est toujours cette volonté de lutter contre le pouvoir
en place, mais avec un sentiment nationaliste exacerbé, qui va
caractériser le terrorisme du début du XXe siècle. Ainsi,
le 28 juillet 1914, le groupe "Mlada Bona" ou jeune Bosnie, assassine à
Sarajevo l'archiduc François Ferdinand de Hasbourg, mettant en branle la
succession d'événements qui aboutit au déclenchement de la
première guerre mondiale.
Dans les années 30, le terme retrouve sa signification
initiale et désigne l'abus de pouvoir par l'État. Il s'applique
spécifiquement aux régimes autoritaires de l'Allemagne Nazie, de
l'Italie Fasciste et de la Russie Stalinienne.
En 1933, Hermann Goering, récemment nommé ministre
de l'intérieur, annonce:
<<Les mesures que je prendrai ne seront pas
rendues boiteuses par des préoccupations d 'ordre juridique [...J. Ici
je n 'ai pas à me préoccuper de la justice. Ma mission est
simplement de détruire et d'exterminer, rien de plus >>.
Après la seconde guerre mondiale, le "terrorisme" retrouve
des connotations plus ou moins révolutionnaires.
Le terme est alors utilisé pour désigner les
violentes révoltes menées par les différents groupes
nationalistes et anticolonialistes contre les colonisateurs européens,
en Asie, en Afrique et au Moyen Orient après la seconde guerre mondiale
et pendant les années 505. C'est également à
cette époque que se répand la terminologie politiquement
correcte, de "combattant de la liberté" comme marque de la
légitimité politique des combats pour la libération
nationale et l'autodétermination, accordée par la
communauté internationale, dont le soutien est activement
recherché par la plupart de ces mouvements.
4 L'action la plus spectaculaire du groupe fut l'assassinat du
Tsar Alexandre II, le 1 er mars 1881.
5 Ainsi, les membres du FLN (Front de Libération National)
Algérien était considérés comme des terroristes par
la France.
Beaucoup de nouveaux États parvenus à
l'indépendance adoptent cette terminologie selon laquelle, tout
mouvement qui lutte contre l'oppression colonialiste ne doit pas être
qualifié de "terroriste" mais mérite le titre de <<
combattants de la liberté >>6.
Enfin, depuis les années 70, l'usage du terme
terrorisme s'applique à de nombreux groupes aux motivations très
diverses: Le terrorisme nationaliste ou séparatiste de mouvements tel
que l'ETA7, ou l'IRA8, le terrorisme d'organisations
criminelles plus ou moins "politisées" (Cosa Nostra, cartels de la
drogue en Amérique latine, triades...etc), le terrorisme "apocalyptique"
de certaine sectes (La Secte Aüm) ou encore le terrorisme religieux
(GIA9, Al Quaïda,...).
Ce bref aperçu historique nous permet de constater une
chose: depuis longtemps déjà le terrorisme est international.
D'ailleurs, par essence, le terrorisme n'est presque jamais
exclusivement interne.
En effet, même dans le cas des luttes de certains
mouvements contre un État déterminé, comme les
nationalistes basques ou Tchétchènes, l'objectif est de nature
internationale puisqu'il s'agit de rompre avec l'État de
rattachement.
De plus, bien souvent, les ramifications de ces mouvements
plongent assez loin à l'extérieur du territoire étatique
concerné
Mais depuis une décennie est apparu un nouvel acteur
dans les relations internationales: le terrorisme
transnational10.
En effet, contrairement au terrorisme international classique
qui consiste à "exporter" des conflits locaux au moyen d'attentats
terroristes sur des territoires étrangers pour sensibiliser ou faire
pression sur la communauté internationale11 ce nouvel acteur
peu être considéré comme une "internationale du
terrorisme".
6 Yasser Arafat, président de l'OLP, dans son discours
devant l'assemblée générale des Nations Unies en novembre
1974 donna une explication de cette prise de position: <<La
différence entre le révolutionnaire et le terroriste
réside dans les motifs pour lesquels chacun se bat. Car il est
impossible d 'appeler terroriste celui qui soutient une cause juste, qui se bat
pour la liberté, pour la liberté de sa terre des envahisseurs,
des colons et des colonialistes... >>.
7Euskadi Ta Askatasuna, ou Liberté pour la
patrie Basque
8 Irish Republican Army
9 Groupe Islamique Armé (Algérie).
10 Selon l'expression du Secrétaire
Général des Nations Unies, Kofi Annan, « Dans une
liberté plus grande: développement, sécurité et
respect des droits de l'homme pour tous >>, présentée
à l'Assemblée Générale le 21 mars 2005,
(A/59/2005), p. 31
11 On peut citer à titre d'exemple l'assassinat des
athlètes israéliens pendant les Jeux Olympiques de Munich en
1972
Ainsi un groupe comme Al Quaïda, avait implanté sa
base stratégique en Afghanistan, où les coûts en terme de
sécurité et de logistique étaient minimes, recruté
les volontaires aux quatre coins de la planète, et commis des attentats
sur les lieux les plus symboliques12.
La réponse des États face à cette menace
"déterritorialisée"13 doit être
nécessairement collective voire universelle.
Or pour lutter efficacement contre un ennemi, il faut le
connaître. Le connaître c'est l'identifier et l'identifier c'est
d'abord le définir.
Toute discussion de fond, comme toute action collective,
nécessite un accord préalable sur les concepts
utilisés.
Il est donc nécessaire pour la communauté
internationale de trouver un consensus sur la définition du terrorisme
(I).
En effet, si le terrorisme est généralement
défini dans les différents ordres juridiques internes, il
n'existe toujours pas de consensus sur une définition universelle du
terrorisme (A).
Or une définition universelle du terrorisme
présenterait le double intérêt de permettre à la
communauté internationale de lutter plus efficacement contre le
terrorisme, tout en évitant autant que possible les dérives
liberticides de certains régimes d'exceptions. Voilà entre autres
les enjeux d'une telle définition. (B).
L'année 2005 marquera t'elle la fin du paradoxe qui veut
que l'on lutte au quatre coins du monde contre un ennemi que l'on a toujours
pas défini ? (II)
L'Organisation des Nations Unies joue un rôle central
dans la lutte contre le terrorisme international. Il est donc naturel que les
propositions de définitions universelles émanent de ses
instances. Après de nombreux échecs une définition
universelle du terrorisme va être de nouveau proposée aux
États à l'occasion du Sommet de New York de septembre 2005.
(A)
Il conviendra alors, de s'interroger sur la pertinence et les
perspectives de cette dernière (B).
12 Les attentats du 11 septembre 2001 en sont une illustration
parfaite avec pour cibles le World Trade Center, le Pentagone, ou la Maison
Blanche
13 Assemblée Nationale : Rapport d'information de la
Commission des affaires étrangères, «La
coopération intern ationale pour lutter contre le terrorisme
», n° 1716, Enregistré à la présidence de
L'AN le 6 juillet 2004 (p. 5).
1ère PARTIE : LA NECESSITÉ D'UNE DÉFINITION
UNIVERSELLE DU TERRORISME.
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TITRE 1. DISPARITÉS ETINSUFFISANCES
DES DÉFINITIONS NA TIONALES.
S'il n'existe pas de définition universelle du terrorisme,
celui fait néanmoins l'objet de définitions nationales.
Après une brève étude des
législations antiterroristes des différents systèmes
juridiques nationaux, deux remarques s'imposent:
- Les définitions du terrorisme en droit interne sont
très différentes d'un État à un autre et parfois
même entre différents services d'un même État (1).
- Ces définitions sont souvent vagues, imprécises
et ambiguës (2).
CHAPITRE 1. HÉTÉROGÉNÉITÉ
DES DÉFINITIONS NATIONALES.
D'un État à un autre, les définitions du
terrorisme sont différentes: certaines mettent sur les formes qu'il
revêt, d'autres sur ses effets et d'autres enfin sur sa finalité
politique, religieuse ou idéologique.
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