Le contrat cadre en droit internationalpar Mohammed Lamhamedi Cherradi Université de Bourgogne - Master Recherche Droit des marchés, des affaires et de l'économie 2006 |
Section II: La loi applicable97(*)La question de la loi applicable aux contrats cadres internationaux est essentielle, cela peut aller jusqu'à remettre en cause la validité de l'accord. Parler de contrat cadre en droit international suppose que l'accord en question comporte au moins un élément d'extranéité98(*), le plus souvent cela tiendra à la différence de nationalité des parties, mais cela peut aussi être dû aux lieux d'exécution du contrat de base et des contrats d'exécution. Dès lors intervient l'idée que plusieurs ordres juridiques et/ou économiques seront touchés et donc qu'il est nécessaire de prendre en compte les dispositions impératives qu'ils prévoient.
Comme les autres contrats internationaux le contrat cadre international est soumis aux règles de droit international privé des contrats. C'est-à-dire qu'en principe, il est soumis à une loi étatique mais qui pourrait aussi faire l'objet d'une délocalisation législative afin d'être soumis aux usages du commerce ou à ce que l'on appelle la lex mercatoria. Il peut s'agir du principe de souveraineté, qui permet un Etat souverain d'exiger que certaines situations soient soumises à sa loi99(*), du principe de proximité qui permet de rattacher le rapport de droit à la loi avec laquelle il entretient les liens les plus étroits100(*), du principe de l'autonomie de la volonté qui permet à la volonté de choisir la loi qui sera applicable aux rapports de droit101(*) ou en fin, d'un rattachement à finalité matérielle dans lequel la règle de rattachement poursuit un objectif qui peut être par exemple un objectif de protection de la partie faible. Ce sont surtout les principes d'autonomie de la volonté, de proximité et de souveraineté que l'on retrouve de diverses manières dans le droit des contrats internationaux. En effet, les parties ont toujours la possibilité de choisir le droit applicable à leur contrat cadre international (§1). Si elles ne le font pas, c'est le principe de proximité qui va s'appliquer, plus précisément c'est la présomption posée par la convention de Rome qui déterminera la loi applicable (§2). §1: Le jeu de la convention de Rome en cas de choix de loi applicable par les parties à leur contrat cadre internationalLa convention de Rome102(*) du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, conclue entre les Etats membres de la communauté européenne est en vigueur depuis le premier avril 1991. Elle s'applique à tous les contrats conclus postérieurement à cette date de manière universelle, c'est-à-dire que la loi qu'elle désigne par le jeu des règles de conflit qu'elle édicte s'appliquera même si c'est celle d'un Etat non contractants (article 2). Le jeu que la convention institue est dualiste en ce sens qu'elle envisage des hypothèses selon que les parties ont ou n'ont pas choisi une loi (ou plusieurs lois du fait du possible dépeçage du contrat). Le champ d'application de la convention est assez large, les contrats exclus étaient limitativement énumérés, il est aisé de voir que les contrats cadre n'y figurent pas. La convention de Rome est donc disposée à régir les conflits de lois s'y rapportant. Seront seules exclues les éventuelles questions relatives à l'état et à la capacité des personnes physiques, au pouvoir de représentation envers les tiers des intermédiaires et des organes de personnes morales, à la preuve et à la procédure, et tous ce qui se rapporterait au droit des sociétés, associations et personnes morales. Nous parlerons d'abord des modalités du choix du droit par les parties (A) puis nous aborderons la possibilité de l'extension de la clause d'electio juris au sein de l'ensemble contractuel (B). A) Les modalités du choix du droit par les parties L'article 3 de la convention de Rome pose le principe que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties »103(*). Ce choix est important car il permet aux parties de choisir la loi qui semble la plus adéquate pour régir leurs rapports contractuels et leur garantie une certaine sécurité et prévisibilité juridiques, le professeur Lagarde écrit ainsi : « l'utilité la moins contestable de l'autonomie de la volonté est précisément de prémunir les parties contre l'incertitude dont ce pouvoir correcteur du juge (reposant sur le principe de proximité) menace la détermination de la loi applicable »104(*). Les parties peuvent également procéder à un dépeçage du contrat du fait de la formule de l'article 3-1, qui dispose « par ce choix les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ». Le choix du droit applicable se fait habituellement par désignation de la loi applicable, c'est-à-dire par electio juris. Mais il peut se faire par exclusion. On parle alors d'exclusio juris105(*) Aussi grande que soit la liberté reconnue aux parties elle est encadrée par des limites posées par la convention. Ce choix ne saurait porter atteinte d'une part aux dispositions impératives du pays où serait localisés tous les éléments du contrat (article 3 - 3) et d'autre part, ne saurait porter atteinte aux lois de police du for (article 7 - 2) enfin, il est fait réserve de l'application des dispositions impératives d'un pays avec lequel la situation présente un lien étroit, cette application étant laissée à l'appréciation du juge saisi en fonction de la nature et de l'objet de ces dispositions (article 7 - 1). Ces limites doivent être prises en compte lorsque les parties choisissent la loi applicable à leurs rapports contractuels. En matière de contrat cadre, les contractants doivent être d'autant plus vigilants que la figure instaure une dualité contractuelle et multiplie ainsi le potentiel des dispositions impératives ainsi que des lois de police106(*) applicables surtout en matière de contrat de distribution, où le droit tant national que communautaire de la concurrence exerce une empreinte croissante qui se traduit par l'application immédiate de lois de police régulatrice du marché ajoutées aux lois de police protectrices du distributeur. Lorsque les parties à un contrat choisissent la loi applicable elles devront tenir compte de l'ensemble de leurs relations d'affaire afin que le système qu'elles mettent en place soit cohérent (1). Elles pourront également prévoir qu'une loi différente régisse les contrats d'application. Dans ce cas elles procéderaient à un dépeçage de l'ensemble contractuel (2). 1) Le choix d'une loi unique pour l'ensemble contractuel Les motivations qui animent les cocontractants lorsqu'il procède au choix de la loi applicable peuvent être diverses. Ils peuvent viser l'application des dispositions substantielles spécifiques, ou encore rechercher seulement la neutralité que la loi présente avec la situation en cause. Quelle que soit cette motivation, les parties doivent s'assurer que la loi qu'elles désignent reconnaît l'accord qu'elles concluent comme valable. Lorsque le contrat en question est un accord-cadre, cette préoccupation est d'autant plus importante que cette figure n'est pas uniformément reconnue par tous les ordres juridiques. S'il est reconnu que les parties peuvent volontairement choisir une loi qui ne reconnaît pas leur contrat, en matière de contrat cadre ce choix aurait de lourdes conséquences. En effet, ce type de contrat a vocation à s'inscrire dans le temps. Son but est d'instaurer un courant d'affaires sur le long terme, la nullité de celui-ci à l'origine serait source de grandes complications. D'autant que sur le plan pratique, ces contrats correspondent souvent à d'importants enjeux économiques et la nullité pourrait être catastrophique pour les cocontractants. Il est aussi préférable que la loi choisie par les parties soit adaptée aux caractéristiques du rapport contractuel déterminé. Sur ce point il est difficile d'être plus précis car le contrat cadre rayonne dans de nombreux domaines si bien qu'on ne peut embrasser chaque matière de manière exhaustive. On notera toutefois que le domaine de prédilection de la figure reste la distribution et que dans ce cas, les parties devront porter une attention toute particulière aux dispositions relatives à la concurrence et au droit de la consommation de la loi choisie (ainsi qu'aux celles des lois de pays entretenant des liens étroits avec la situation). Du point de vue de la dualité contractuelle, il paraît souhaitable que lorsque les parties s'accordent sur la loi applicable à l'accord-cadre, elles décident que cette même loi s'applique également aux contrats d'application. L'unification du régime juridique du groupe de contrats (contrat de base et contrat d'application) présente des avantages. Pour reprendre la formule d'un auteur « cette solution présente en effet le mérite d'écarter le risque, en cas de difficultés, de solutions contradictoires obtenues par l'application de droits différents »107(*). 2) Le dépeçage de l'ensemble contractuel Ce qui nous intéresse ici est la question de savoir si les parties peuvent choisir des lois différentes pour régir au fond différentes parties de leurs contrats. La convention de Rome a clairement admis le dépeçage, en précisant dans son article 3-1 Que « par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie de leur contrat »108(*). À la lettre, le texte semble signifier que les parties peuvent désigner la loi applicable à une partie de leur contrat et que le juge désignera lui-même la loi applicable au reste. Mais des auteurs ont interprété ce texte comme permettant aux parties de soumettre telle partie de leur contrat à une loi par elles choisie, et telle autre partie de leur contrat à une autre loi également choisie par elles. D'après le professeur Paul Lagarde, la seule limite au dépeçage doit être le respect du principe de cohérence du contrat. Par exemple, le contrat ne pourrait pas soumettre la résolution pour inexécution à une loi pour le vendeur est à une autre pour l'acheteur, alors qu'il y a interdépendance des obligations. Face à un tel dépeçage incohérent, il appartiendrait au juge d'appliquer la loi objectivement applicable109(*). Le choix de la loi applicable aux contrats d'exécution peut indifféremment être prévu dès l'accord de base ou au fur et à mesure de leurs conclusions. Mais il est raisonnable de se demander si une approche homogène de l'ensemble contractuel ne paraît pas justifier l'extension d'une clause d'electio juris à l'intérieur du groupe de contrats. Cette idée trouve un certain appui dans le contentieux relatif à la clause attributive de compétence. B) L'extension de la clause d'electio juris dans un ensemble contractuel Lorsque les parties à une convention choisissent la loi applicable à celle-ci, il s'agit de savoir si cette volonté peut avoir un effet sur d'autres contrats formant avec la convention en cause un ensemble contractuel. D'après l'esprit de la convention et la formule de l'article 3 - 1, il semble possible de justifier l'extension d'une clause d'electio juris. Plusieurs hypothèses sont à envisager ici selon l'endroit où figure cette clause et selon le contrat auquel on veut l'étendre. En effet, lorsque le groupe du contrat en cause est le fruit d'un accord-cadre, il faut prendre en compte la hiérarchie contractuelle. On distinguera selon que la clause d'electio juris figure dans le contrat cadre (a) ou dans un contrat d'application (b).
1) L'extension du contrat cadre au contrat d'application On part de l'hypothèse que figure dans le contrat cadre une clause de choix exprès de la loi qui lui est applicable, alors que les contrats d'application sont silencieux sur ce sujet, peut-il être donné effet au choix de cette loi pour régir les contrats d'exécution ? Dans le rapport des commentateurs officiels de la convention de Rome110(*), on trouve une esquisse de réponse. La « convention admet la possibilité que le juge puisse, en considération de l'ensemble des circonstances de la cause, constater que les parties ont fait un véritable choix de la loi encore qu'ils ne soient pas expressément déclaré dans le contrat (...) le fait qu'un contrat antérieur entre les parties au contrat contenait un choix exprès de la loi peut permettre au juge de n'avoir aucun doute que le contrat sera régi par la même loi précédemment choisie, même si la clause de choix de la loi a été omise dans des circonstances qui ne font pas apparaître un changement d'attitude entre les parties »111(*). Il semble que l'extension de la loi choisie par les parties dans le contrat cadre aux contrats d'application soit possible. Mais c'est au titre de la volonté des parties. La clause d'electio juris serait un indice fort du choix des parties quant à la loi applicable au contrat satellite mais ne lierait pas le juge : on ne peut étendre de facto les effets de la clause sans porter atteinte à l'effet relatif des contrats. Dans son travail de recherche de la volonté des parties, le juge tiendra certainement compte de la position qu'occupe le contrat de base par rapport au contrat accessoire. On remarquera que la formule relative à l'éventuel changement d'attitude des parties est large, en pratique il sera sûrement très difficile de prouver que les parties n'ont pas changé d'avis.
2) L'extension de la clause d'electio juris figurant dans les contrats d'application On peut imaginer deux cas de figure ; d'abord une extension d'un contrat d'application vers un autre contrat d'application, en suite on traitera une extension vers le haut, soit du contrat d'application vers le contrat cadre.
-Entre contrat d'application : Seul le premier contrat d'application comporte une clause d'electio juris alors que l'accord-cadre ne prévoit aucune disposition générale, dans ce cas il y a peu de doutes que l'unité de l'opération contractuelle justifie l'extension de la clause aux contrats subséquents. On s'appuiera alors sur l'article 3 - 1 de la convention qui prévoit que le choix peut résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. -Des contrats d'application au contrat cadre Le rapport officiel112(*) n'est ici d'aucun secours car les contrats d'application ne remplissent pas le critère d'antériorité retenu. De plus par comparaison avec la question de l'extension de la clause attributive de juridiction on peut douter que l'extension soit possible dans ce sens. L'argument selon lequel on pourrait porter atteinte au principe de l'effet relatif des contrats du fait de la primauté hiérarchique du contrat ne tient plus. Dans cette hypothèse on reviendra aux dispositions prévues par la convention en l'absence de choix par les parties. Si on ne peut déterminer la prestation caractéristique de l'accord-cadre (comme cela arrive souvent en pratique), le choix de la loi applicable au contrat d'exécution jouera au mieux le rôle d'un indice dans la recherche de la localisation du contrat de base par le juge. * 97 V. P. Mayer, Droit international privé, Paris, Montchrestien, 2004, p. 59 et s. * 98 L'élément d'extranéité est l'élément par lequel le contrat est en contact, ne serait-ce que partiellement, avec un ordre juridique étranger. Il y a de nombreux éléments d'extranéités qui peuvent conférer au contrat un caractère international. Ce peut être le domicile à l'étranger d'un sujet de droit, sa nationalité, la situation géographique d'un bien ou encore le lieu de conclusion du contrat, etc * 99 P. Lagarde, le nouveau droit international privé des contrats après l'entrée en vigueur de la convention de Rome de 19 juin 1980, Rev. Crit. DIP. 1991, p 49 et s. * 100 « Le principe de proximité dans le droit international contemporain », Cours général de droit international privé, Rec. Cours La Haye, t.196, 1986-I, Martinus Nijhoff Publishers. * 101 P. Lagarde, op. cit., p 61 et s. * 102 V. A. Kassis, Le nouveau droit européen des contrats internationaux, Paris, L.G.D.J., 1993. * 103 Cass. Ire civ.,25 janvier 2000, Rev. Crit. DIP., 2000, p. 737, note J. -M. Jacquet. * 104 Voir: P. Lagarde, op. cit. p. 64. * 105 V.Heuzé, Rev. Crit. DIP, 1990, p. 505. * 106 Selon la CJCE dans un arrêt du 23 novembre 1999 : « constitue, au sens du droit communautaire, une loi de police la disposition nationale dont l'observation est jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'Etat au point d'en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire ou localisée dans celui-ci », Rev. crit. DIP 2000, p. 710, note Fallon. * 107 D. Berlin, « la distribution internationale », in Droit et pratique du commerce international, 1993, p. 43 * 108 Un tel dépeçage est également admis dans la convention de La Haye du 22 décembre 1986 (art 7-1) sur la loi applicable à la vente internationale de marchandises, qui n'est pas encore en vigueur. * 109 Giuliano (M.) et Lagarde (P.), Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, JOCE 31 Oct. 1980, n° C282, p. 17 * 110 Giuliano (M.) et Lagarde (P.), Rapport précit., p 1 et s. * 111 Ibid, p. 17. Pour une illustration jurisprudentielle voir Cass. 1 ère civ., 17 décembre 1990, JCP G 1992 II 21824, note D. Amar, citée par D. Berlin, op. pré., p. 46. * 112 Ibid, p. 17 |
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