La perche tendue par les institutions
internationales
Le virage récemment entamé par le FMI et la
Banque mondiale a permis d'évoluer d'une approche allant du haut vers
le bas (des bailleurs de fond vers les populations) vers une approche plus
équilibrée dans laquelle l'Etat et les autorités
locales, les organisations de la société civile et le
secteur privé doivent s'associer, et a provoqué de profonds
bouleversement dans la coopération internationale au
développement - en premier lieu, il est observé au moins un
changement d'objectif par rapport aux politiques antérieures
d'ajustement structurel où l'accent est dorénavant mis sur
la réduction de la pauvreté.109 Cette nouvelle
approche découle du constat de l'existence de graves lacunes
dans les
``anciens'' programmes économiques contre lesquelles les
IBW entendent y remédier en associant les
acteurs nationaux, Etat et société civile,
dans la conception, la mise en oeuvre et le suivi des
``nouvelles'' réformes réunies sous couvert du
Document stratégique de réduction de la pauvreté
(DSRP). Rappelons que l'une des hypothèse à
la base de cette démarche est que les programmes
108 JACOB Sergot, Op. cit., p. 80
109 L'imposition depuis 1999 par les institutions
de Bretton Woods du thème de la réduction de la pauvreté
dans l'espace public des pays bénéficiaires de l'aide
internationale ont provoqué d'autres changements tels les
bouleversements institutionnels importants au sein des gouvernements dans
la gestion du dossier pauvreté, la reconnaissance du rôle de la
société civile.
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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d'ajustement structurel n'ont pas été bien
appliqués en raison du manque d'engagement des concernés. Cette
nouvelle approche qui suscite d'énormes espoirs, est censée
aboutir à une plus grande efficacité des institutions dans le
caractère soutenable des processus de réformes, la mobilisation
et la croissance
du capital humain dans le cadre de la globalisation et de la
libéralisation du commerce mondial. La question qui survient est
qu'en introduisant la nouvelle démarche des stratégies de
réduction la pauvreté, les institutions de Bretton Woods
entendent-elles effectivement donner aux pays pauvres la liberté pour
choisir et établir leurs politiques économiques, comme semble le
plaider Stiglitz110, et ce, jusqu'à quelles limites ?
La réussite de cette mission confiée aux Etats
« dépend d'un certain nombre de conditions préalables qui
ne sont généralement pas remplies compte tenu du contexte
actuel dans les pays pauvres
[particulièrement en Haïti], et ce d'autant
que des pressions diverses s'exercent pour l'obtention de résultats
rapides. [...] Les limites en termes de capacité institutionnelle et
les coûts exorbitants pour gérer et maintenir la mobilisation
des parties prenantes sur le long terme limiteront l'ampleur du
processus »111 . Si ce processus offre certaines
possibilités pour élaborer des politiques en faveur des pauvres,
il comporte autant de risques qui tirent leur origine des limites
mêmes de ce processus et d'autres facteurs inhérents aux
structures du pays et à des facteurs institutionnels et
conjoncturels d'autant qu'«élaborer des politiques qui
permettent le retour aux équilibres sans obérer les
potentialités de croissance future ni le développement, tout en
restant supportables à court terme est un exercice complexe, dans
lequel de nombreux aspects sociaux et politiques doivent être
pris en compte »112. L'appropriation et la
responsabilisation effective des acteurs nationaux sont parmi les
principales interrogations que suscitent les nouvelles approches
internationales. Si ces éléments sont vues comme indispensables
à l'élaboration de stratégies de réduction de la
pauvreté constituant une alternative réelle et plus
efficace aux reformes économiques et aux politiques
d'ajustement précédemment mises en oeuvre, jusqu'à quel
point arrivent cette responsabilisation et cette autonomie décisionnelle
?
En dépit du fait que les objectifs visant la longue
durée sont généralement évoqués dans le
cadre des nouvelles approches internationale de lutte contre la
pauvreté, cela ne semble pas suffisant pour établir
un lien intrinsèque entre les stratégies
anti-pauvreté et les stratégies de développement à
long terme. Compte tenu de l'évolution historique d'Haïti, de
ses handicaps structurels, de ses relations de dépendance
à l'égard d'acteurs extérieurs, de l'incidence de la
pauvreté et des effets des politiques antérieures
concoctées dans le cadre des programmes d'ajustement structurels,
les stratégies anti- pauvreté ne sauraient suffire à
elles seules et doivent de ce fait s'inscrire dans la stratégie globale
de
110 STIGLITZ Joseph E., La grande
désillusion, Fayard, 2002, p. 125.
111 CLING Jean -Pierre et al., Les nouvelles
stratégies..., p. 194.
112 Ibid., pp. 195-204
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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développement du pays. La nécessité de
rompre le processus de régression en Haïti n'implique-t-elle pas
la révision complète des politiques mises en place dans le
cadre des programmes d'ajustement structurel et l'adoption de
stratégies plus soucieuses d'améliorer le sort de la
majorité - l'élaboration
de politique de développement productif - qui
prennent en compte les insuffisances nationales, les contraintes
structurelles du pays, tels le manque d'infrastructures
économiques et sociales, l'informalisation de
l'économie, les faibles capacités de production du secteur
privé?
Aujourd'hui il y va de la nécessité de formuler
de manière démocratique de véritables politiques de
développement national qui prennent en compte les objectifs
prioritaires et fondamentaux de la majorité des haïtiens,
comme le veut la constitution du pays élaboré en 1987.
Dans le cadre des stratégies de réduction de
pauvreté compte tenu de ce qui précède
l'accent devra être mis parallèlement aux objectifs
socio-économiques ponctuelles, sur des objectifs à terme
visant entre autres le renforcement des capacités productives. Il
s'agira de promouvoir une stratégie de croissance rapide, soutenue et
équitable les mesures à prendre ; de faciliter la
création de synergie dynamique entre investissement et exportations,
l'adoption de mesures anti-marginalisation et le ciblage des
interventions . On insiste sur le rôle que peut et doit jouer le secteur
agricole en Haïti dans la stratégie
de lutte contre la pauvreté et le développement
du pays. notamment dans l'amélioration des revenus, dans l'emploi et
donc de la sécurité alimentaire. A ce titre, il faudra poursuivre
avec le processus de réformes agraires entamées en 1996,
moyennant certaines rectifications voire des réorientations.
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